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«Bon! bon! très bien! très bien! Vous voulez que je vous empêche d'être embroché par ce vieux dindon?

«Parfait! Venez à la salle, et, dans six mois, c'est vous qui l'embrocherez.» D'entendre cet excellent Roger épouser ma querelle avec tant d'ardeur, j'étais rouge de plaisir. Nous convînmes des leçons: trois heures par semaine; nous convînmes aussi du prix qui serait un prix exceptionnel (exceptionnel en effet! j'appris plus tard qu'on me faisait payer deux fois plus cher que les autres). Quand toutes ces conventions furent réglées, Roger passa familièrement son bras sous le mien.

«Monsieur Daniel, me dit-il, il est trop tard pour prendre aujourd'hui notre première leçon; mais nous pouvons toujours aller conclure notre marché au café Barbette. Allons! voyons, pas d'enfantillage! Est-ce qu'il vous fait peur, par hasard, le café Barbette?… Venez donc, sacrebleu! tirez-vous un peu de ce saladier de cuistres. Vous trouverez là-bas des amis, de bons garçons, triple nom! de nobles cœurs, et vous quitterez vite avec eux ces manières de femmelette qui vous font tort.» Hélas! je me laissai tenter. Nous allâmes au café Barbette. Il était toujours le même, plein de cris, de fumée, de pantalons garance; les mêmes shakos, les mêmes ceinturons pendaient aux mêmes patères.

Les amis de Roger me reçurent à bras ouverts. Il avait bien raison, c'étaient tous de nobles cœurs! Quand ils connurent mon histoire avec le marquis et la résolution que j'avais prise, ils vinrent, l'un après l'autre, me serrer la main «Bravo, jeune homme, très bien.» Moi aussi j'étais un noble cœur. Je fis venir un punch, on but à mon triomphe, et il fut décidé entre nobles cœurs que je tuerais le marquis de Boucoyran à la fin de l'année scolaire.

X LES MAUVAIS JOURS

L'hiver était venu, un hiver sec, terrible et noir, comme il en fait dans ces pays de montagnes. Avec leurs grands arbres sans feuilles et leur sol gelé plus dur que la pierre, les cours du collège étaient tristes à voir. On se levait avant le jour, aux lumières; il faisait froid; de la glace dans les lavabos…

Les élèves n'en finissaient plus; la cloche était obligée de les appeler plusieurs fois. «Plus vite, messieurs!» criaient les maîtres en marchant de long en large pour se réchauffer… On formait les rangs en silence, tant bien que mal, et on descendait à travers le grand escalier à peine éclairé et les longs corridors où soufflaient les bises mortelles de l'hiver.

Un mauvais hiver pour le petit Chose! Je ne travaillais plus. À l'étude, la chaleur malsaine du poêle me faisait dormir. Pendant les classes, trouvant ma mansarde trop froide, je courais m'enfermer au café Barbette et n'en sortais qu'au dernier moment. C'était là maintenant que Roger me donnait ses leçons; la rigueur du temps nous avait chassés de la salle d'armes et nous nous escrimions au milieu du café avec les queues de billard, en buvant un punch. Les sous-officiers jugeaient. les coups; tous ces nobles cœurs m'avaient décidément admis dans leur intimité et m'enseignaient chaque jour une nouvelle botte infaillible pour tuer ce pauvre marquis de Boucoyran. Ils m'apprenaient aussi comment on édulcore une absinthe, et quand ces messieurs jouaient au billard, c'était moi qui marquais les points…

Un mauvais hiver pour le petit Chose!

Un matin de ce triste hiver, comme j'entrais au café Barbette – j'entends encore le fracas du billard et le ronflement du gros poêle en faïence -, Roger vint à moi précipitamment: «Deux mots, monsieur Daniel!» et m'emmena dans la salle du fond, d'un air tout à fait mystérieux. Il s'agissait d'une confidence amoureuse… Vous pensez si j'étais fier de recevoir les confidences d'un homme de cette taille. Cela me grandissait toujours un peu. Voici l'histoire. Ce sacripant de maître d'armes avait rencontré par la ville, en un certain endroit qu'il ne pouvait pas nommer, certaine personne dont il s'était follement épris, Cette personne occupait à Sarlande une situation tellement élevée.

– Hum! hum! vous m'entendez bien! – tellement extraordinaire, que le maître d'armes en était encore à se demander comment il avait osé lever les yeux si haut.

Et pourtant, malgré la situation de la personne situation tellement élevée, tellement, etc. – il ne désespérait pas de s'en faire aimer, et même il croyait le moment venu de lancer quelques déclarations épistolaires. Malheureusement les maîtres d'armes ne sont pas très adroits aux exercices de la plume.

Passe encore s'il ne s'agissait que d'une grisette; mais avec une personne dans une situation tellement, etc., ce n'était pas du style de cantine qu'il fallait, et même un bon poète ne serait pas de trop.

«Je vois ce que c'est, dit le petit Chose d'un air entendu; vous avez besoin qu'on vous trousse quelques poulets galants pour envoyer à la personne, et vous avez songé à moi.

– Précisément, répondit le maître d'armes.

– Eh bien, je suis votre homme, et nous commencerons quand vous voudrez; seulement, pour que nos lettres n'aient pas l'air d'être empruntées au Parfait secrétaire, il faudra me donner quelques renseignements sur la personne…» Le maître d'armes regarda autour de lui d'un air méfiant, puis tout bas il me dit, en me fourrant ses moustaches dans l'oreille:

«C'est une blonde de Paris. Elle sent bon comme une fleur et s'appelle Cécilia.» Il ne put pas m'en confier davantage, à cause de la situation de la personne, situation tellement, etc.

– Mais ces renseignements me suffisaient, et le soir même – pendant l'étude – j'écrivis ma première lettre à la blonde Cécilia.

Cette singulière correspondance entre le petit Chose et cette mystérieuse personne dura près d'un mois. Pendant un mois, j'écrivis en moyenne deux lettres de passion par jour. De ces lettres, les unes étaient tendres et vaporeuses comme le Lamartine d'Elvire, les autres enflammées et rugissantes comme le Mirabeau de Sophie. Il y en avait qui commençaient par ces mots: «O Cécilia, quelquefois, sur un rocher sauvage…» et qui finissaient par ceux-ci:

«On dit qu'on en meurt…, essayons!» Puis, de temps en temps, la Muse s'en mêlait:

«Oh! la lèvre, ta lèvre ardente! Donne-la-moi! donne-la-moi!»

Aujourd'hui, j'en parle en riant; mais à l'époque, le petit Chose ne riait pas, je vous le jure, et tout cela se faisait très sérieusement. Quand j'avais terminé une lettre, je la donnais à Roger pour qu'il la recopiât de sa belle écriture de sous-officier; lui, de son côté, quand il recevait des réponses (car elle répondait, la malheureuse!), il me les apportait bien vite, et je basais mes opérations là-dessus.

Le jeu me plaisait en somme; peut-être même me plaisait-il un peu trop. Cette blonde invisible, parfumée comme un lilas blanc, ne me sortait plus de l'esprit. Par moments, je me figurais que j'écrivais pour mon propre compte; je remplissais mes lettres de confidences toutes personnelles, de malédictions contre la destinée, contre ces êtres vils et méchants au milieu desquels j'étais obligé de vivre: