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Cela me paraissait la chose la plus naturelle du monde. La lettre de Jacques avec ses histoires de vieux marquis m'avait troublé la cervelle, à coup sûr. Quoi qu'il en soit, à mesure que je montais l'escalier, ma certitude devenait plus grande: secrétaire du sous-préfet! je ne me sentais pas de joie, En tournant le corridor, je rencontrai Roger, Il était très pâle; il me regarda comme s'il voulait me parler; mais je ne m'arrêtai pas: le sous-préfet n'avait pas le temps d'attendre.

Quand j'arrivai devant le cabinet du principal, le cœur me battait bien fort, je vous jure. Secrétaire de M. le sous-préfet! Il fallut m'arrêter un instant pour reprendre haleine; je rajustai ma cravate, je donnai avec mes doigts un petit tour à mes cheveux et je tournai le bouton de la porte doucement.

Si j'avais su ce qui m'attendait!

M. le sous-préfet était debout, appuyé négligemment au marbre de la cheminée et souriant dans ses favoris blonds. M. le principal, en robe de chambre, se tenait près de lui humblement, son bonnet de velours à la main et M. Viot, appelé en hâte, se dissimulait dans un coin.

Dès que j'entrai, le sous-préfet prit la parole.

«C'est donc monsieur, dit-il en me désignant, qui s'amuse à séduire nos femmes de chambre?» Il avait prononcé cette phrase d'une voix claire, ironique et sans cesser de sourire. Je crus d'abord qu'il voulait plaisanter et je ne répondis rien, mais le sous-préfet ne plaisantait pas; après un moment de silence, il reprit en souriant toujours:

«N'est-ce pas à monsieur Daniel Eyssette que j'ai l'honneur de parler, à monsieur Daniel Eyssette qui a séduit la femme de chambre de ma femme?» Je ne savais de quoi il s'agissait; mais en entendant ce mot de femme de chambre, qu'on me jetait ainsi à la figure pour la seconde fois, je me sentis rouge de honte, et ce fut avec une véritable indignation que je m'écriai:

«Une femme de chambre, moi!… Je n'ai jamais séduit de femme de chambre.» À cette réponse, je vis un éclair de mépris jaillir des lunettes du principal, et j'entendis les clefs murmurer dans leur coin: «Quelle effronterie!»

Le sous-préfet, lui, ne cessait pas de sourire; il prit sur la tablette de la cheminée un petit paquet de papiers que je n'avais pas aperçus d'abord, puis se tournant vers moi et les agitant négligemment:

«Monsieur, dit-il, voici des témoignages fort graves qui vous accusent. Ce sent des lettres qu'on a surprises chez la demoiselle en question. Elles ne sont pas signées, il est vrai, et, d'un autre côté, la femme de chambre n'a voulu nommer personne. Seulement, dans ces lettres il est souvent parlé du collège, et, malheureusement pour vous, M. Viot a reconnu votre écriture et votre style…» Ici les clefs grincèrent férocement et le sous-préfet, souriant toujours, ajouta: «Tout le monde n'est pas poète au collège de Sarlande.» À ces mots, une idée fugitive me traversa l'esprit: je voulus voir de près ces papiers. Je m'élançai; le principal eut peur d'un scandale et fit un geste pour me retenir. Mais le sous-préfet me tendit le dossier tranquillement. «Regardez!» me dit-il.

Miséricorde! ma correspondance avec Cécilia.

… Elles y étaient toutes, toutes! Depuis celle qui commençait: «O Cécilia, quelquefois sur un rocher sauvage…» jusqu'au cantique d'actions de grâces:

«Ange qui as consenti à passer une nuit sur la terre…» Et dire que toutes ces belles fleurs de rhétorique amoureuse, je les avais effeuillées sous les pas d'une femme de chambre!… dire que cette personne, d'une situation tellement élevée, tellement, etc, décrottait tous les matins les socques de la sous-préfète!… On peut se figurer ma rage, ma confusion.

«Eh bien, qu'en dites-vous, seigneur don Juan? ricana le sous-préfet, après un moment de silence.

Est-ce que ces lettres sont de vous, oui ou non?»

Au lieu de répondre, je baissai la tête. Un mot pouvait me disculper; mais ce mot, je ne le prononçai pas. J'étais prêt à tout souffrir plutôt que le dénoncer Roger… Car remarquez bien qu'au milieu de cette catastrophe, le petit Chose n'avait pas un seul instant soupçonné la loyauté de son ami. En reconnaissant les lettres, il s'était dit tout de suite: «Roger aura eu la paresse de les recopier; il a mieux aimé faire une partie de billard de plus et envoyer les miennes.» Quel innocent, ce petit Chose! Quand le sous-préfet vit que je ne voulais pas répondre, il remit les lettres dans sa poche et, se tournant vers le principal et son acolyte:

«Maintenant, messieurs, vous savez ce qui vous reste à faire.» Sur quoi les clefs de M. Viot frétillèrent d'un air lugubre, et le principal répondit en s'inclinant jusqu'à terre, «que M. Eyssette avait mérité d'être chassé sur l'heure; mais qu'afin d'éviter tout scandale, on le garderait au collège encore huit jours»: Juste le temps de faire venir un nouveau maître.

À ce terrible mot «chassé», tout mon courage m'abandonna. Je saluai sans rien dire et je sortis précipitamment. À peine dehors, mes larmes éclatèrent… Je courus d'un trait jusqu'à ma chambre, en étouffant mes sanglots dans mon mouchoir…

Roger m'attendait; il avait l'air fort inquiet et se promenait à grands pas, de longs en large.

En me voyant entrer, il vint vers moi:

«Monsieur Daniel!…» me dit-il, et son œil m'interrogeait. Je me laissai tomber sur une chaise sans répondre «Des pleurs, des enfantillages! reprit le maître d'armes d'un ton brutal, tout cela ne prouve rien.

Voyons… vite!… Que s'est-il passé?» Alors je lui racontai dans tous ses détails toute l'horrible scène du cabinet a mesure que je parlais, je voyais la physionomie de Roger s'éclaircir; il ne me regardait plus du même air rogue, et à la fin, quand il eut appris comment, pour ne pas le trahir, je m'étais laissé chasser du collège, il me tendit ses deux mains ouvertes et me dit simplement:

«Daniel, vous êtes un noble cœur.» À ce moment, nous entendîmes dans la rue le roulement d'une voiture; c'était le sous-préfet qui s'en allait.

«Vous êtes un noble cœur, reprit mon bon ami le maître d'armes en me serrant les poignets à les briser, vous êtes un noble cœur, je ne vous dis que ça… Mais vous devez comprendre que je ne permettrai à personne de se sacrifier pour moi.» Tout en parlant, il s'était rapproché de la porte:

«Ne pleurez pas, monsieur Daniel, je vais aller trouver le principal, et je vous jure que ce n'est pas vous qui serez chassé.» Il fit encore un pas pour sortir; puis, revenant vers moi comme s'il oubliait quelque chose:

«Seulement, me dit-il à voix basse, écoutez bien ceci avant que je m'en aille… Le grand Roger n'est pas seul au monde; il a quelque part une mère infirme dans un coin… Une mère!… pauvre sainte femme!… Promettez-moi de lui écrire quand tout sera fini.» C'était dit gravement, tranquillement, d'un ton qui m'effraya.

«Mais que voulez-vous faire?» m'écriai-je.

Roger ne répondit rien; seulement il entrouvrit sa veste et me laissa voir dans sa poche la crosse luisante d'un pistolet.

Je m'élançai vers lui, tout ému:

«Vous tuer, malheureux? vous voulez vous tuer?» Et lui, très froidement: