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Ils parlaient entre eux à voix basse et gravement, en remuant la tête comme des magistrats. Pierrotte, qui n'y mettait pas tant de mystère, les regardait tous d'un air étonné… Quand tout le monde fut arrivé, on se plaça. J'étais assis, le dos au piano; l'auditoire en demi-cercle autour de moi, à l'exception du vieux Lalouette, qui grignotait son sucre à la place habituelle. Après un moment de tumulte, le silence se fit, et d'une voix émue je commençai mon poème…

C'était un poème dramatique, pompeusement intitulé La Comédiepastorale. Dans les premiers jours de sa captivité au collège de Sarlande, le petit Chose s'amusait à raconter à ses élèves des historiettes fantastiques, pleines de grillons, de papillons et autres bestioles. C'est avec trois de ces petits contes, dialogués et mis en vers, que j'avais fait La Comédie pastorale. Mon poème était divisé en trois parties; mais ce soir-là, chez Pierrotte, je ne leur lus que la première partie. Je demande la permission de transcrire ici ce fragment choisi de littérature, mais seulement comme pièces justificatives à joindre à l'Histoire du petit Chose. Figurez-vous pour un moment, mes chers lecteurs, que vous êtes assis en rond dans le petit salon jonquille, et que Daniel Eyssette tout tremblant récite devant vous.

LES AVENTURES D'UN PAPILLON BLEU!

Le théâtre représente la campagne. Il est six heures du soir; le soleil s'en va. Au lever du rideau, un Papillon bleu et une jeune Bête à bon Dieu, du sexe mâle, causent à cheval sur un brin de fougère. Ils se sont rencontrés le matin, et ont passé la journée ensemble. Comme il est tard, la Bête à bon Dieu fait mine de se retirer.

LE PAPILLON

Quoi!… tu t'en vas déjà?…

LA BETE À BON DIEU

Dame! il faut que je rentre; Il est tard, songez donc!

LE PAPILLON

Attends un peu, que, diantre! Il n'est jamais trop tard pour retourner chez soi…

Moi d'abord, je m'ennuie à ma maison; et toi?

C'est si bête une porte, un mur, une croisée, Quand au-dehors on a le soleil, la rosée. Et les coquelicots, et le grand air, et tout.

Si les coquelicots ne sont pas de ton goût, Il faut le dire…

LA BETE À BON DIEU

Hélas! monsieur, je les adore.

LE PAPILLON

Eh bien! alors, nigaud, ne t'en va pas encore; Reste avec moi. Tu vois! il fait bon; l'air est doux.

LA BETE À BON DIEU

Oui, mais…

LE PAPILLON, la poussant dans l'herbe.

Hé! roule-toi dans l'herbe; elle est à nous.

LA BETE À BON DIEU, se débattant.

Non! laissez-moi; parole! il faut que je m'en aille.

LE PAPILLON

Chut! Entends-tu?

LA BETE À BON DIEU, effrayée.

Quoi donc?

LE PAPILLON

Cette petite caille, Qui chante en se grisant dans la vigne à côté…

Hein! la bonne chanson pour ce beau soir d'été, Et comme c'est joli, de la place où nous sommes!…

LA BETE À BON DIEU

Sans doute, mais…

LE PAPILLON

Tais-toi.

LA BETE À BON DIEU

Quoi donc?

LE PAPILLON

Voilà des hommes.

(Passent des hommes.)

LA BETE À BON DIEU, bas, après un silence.

L'homme, c'est très méchant, n'est-ce pas?

LE PAPILLON

Très méchant.

LA BETE À BON DIEU

J'ai toujours peur qu'un d'eux m'aplatisse en marchant, Ils ont de si gros pieds, et moi des reins si frêles…

Vous, vous n'êtes pas grand, mais vous avez des ailes C'est énorme!;

LE PAPILLON

Parbleu! mon cher, si ces lourdauds de paysans te font peur, grimpe-moi sur le dos; Je suis très fort des reins, moi! je n'ai pas des ailes. En pelure d'oignon comme les demoiselles.

Et je veux te porter où tu voudras, aussi Longtemps que tu voudras.

LA BETE À BON DIEU

Je n'oserai jamais…!

Oh! non, monsieur, merci!

LE PAPILLON

De grimper là?

C'est donc bien difficile

LA BETE À BON DIEU

Non, mais…

LE PAPILLON

Grimpe donc, imbécile!

LA BETE À BON DIEU

Vous me ramènerez chez moi, bien entendu; Car, sans cela…

LE PAPILLON

Sitôt parti, sitôt rendu.

LA BETE À BON DIEU, grimpant sur son camarade.

C'est que le soir, chez nous, nous faisons la prière.

Vous comprenez?

LE PAPILLON

Sans doute… Un peu plus en arrière.

Là… Maintenant, silence à bord! je lâche tout.

(Prri! Ils s'envolent; le dialogue continue en l'air.) Mon cher, c'est merveilleux; tu n'es pas lourd du tout.

LA BETE À BON DIEU, effrayée.

Ah!… monsieur…

LE PAPILLON

Eh bien! quoi?

LA BETE À BON DIEU

Je n'y vois plus… la tête Me tourne; je voudrais bien descendre…

LE PAPILLON

Es-tu bête! Si la tête te tourne, il faut fermer les yeux. Les as-tu fermés?

LA BETE À BON DIEU, fermant les yeux.

Oui…

LE PAPILLON

Ça va mieux?

LA BETE À BON DIEU, avec effort.

Un peu mieux.

LE PAPILLON, riant sous cape.

Décidément on est mauvais aéronaute dans ta famille…

LA BETE À BON DIEU

Oh! oui…

LE PAPILLON

Ce n'est pas votre faute Si le guide-ballon n'est pas encore trouvé.

LA BETE À BON DIEU

Oh! non…

LE PAPILLON

Çà, monseigneur, vous êtes arrivé.

(Il se pose sur un Muguet.)

LA BETE À BON DIEU, ouvrant les yeux.

Pardon! mais… ce n'est pas ici que je demeure.

LE PAPILLON

Je sais; mais comme il est encore de très bonne heure Je t'ai mené chez un Muguet de mes amis.

On va se rafraîchir le bec; – c'est bien permis…