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LA BETE À BON DIEU

Oh! je n'ai pas le temps…

LE PAPILLON

Bah! rien qu'une seconde…

LA BETE À BON DIEU

Et puis, je ne suis pas reçu, moi, dans le monde…

LE PAPILLON

Viens donc! je te ferai passer pour mon bâtard; Tu seras bien reçu, va!…

LA BETE À BON DIEU

Puis, c'est qu'il est tard.

LE PAPILLON

Eh! non! il n'est pas tard; écoute la cigale…

LA BETE À BON DIEU, à voix basse.

Puis…, je… n'ai pas d'argent…

LE PAPILLON, l'entraînant.

Viens! le Muguet régale.

(Ils entrent chez le Muguet.) – La toile tombe.

Au second acte, quand le rideau se lève, il fait presque nuit…

On voit les deux camarades sortir de chez le Muguet… La Bête à bon Dieu est légèrement ivre.

LE PAPILLON, tendant le dos.

Et maintenant, en route!

LA BETE À BON DIEU, grimpant bravement.

En route!

LE PAPILLON

Trouves-tu mon Muguet?

Eh bien! comment

LA BETE À BON DIEU

Mon cher, il est charmant; Il vous livre sa cave et tout sans vous connaître…

LE PAPILLON, regardant le ciel.

Oh! oh! Phœbé qui met le nez à sa fenêtre; Il faut nous dépêcher…

LA BETE À BON DIEU

Nous dépêcher, pourquoi?

LE PAPILLON

Tu n'es donc plus pressé de retourner chez toi?…

LA BETE À BON DIEU

Oh! pourvu que j'arrive à temps pour la prière…

D'ailleurs, ce n'est pas loin, chez nous… c'est là. derrière.

LE PAPILLON

Si tu n'es pas pressé, je ne le suis pas, moi.

LA BETE À BON DIEU, avec effusion.

Quel bon enfant tu fais!… Je ne sais pas pourquoi Tout le monde n'est pas ton ami sur la terre.

On dit de toi: «C'est un bohème; un réfractaire!

Un poète! un sauteur!…»

LE PAPILLON

Tiens! tiens; et qui dit ça?

LA BETE À BON DIEU

Mon Dieu! le Scarabée…

LE PAPILLON

Ah! oui, ce gros poussah.

Il m'appelle sauteur, parce qu'il a du ventre.

LA BETE À BON DIEU

C'est qu'il n'est pas le seul qui te déteste…

LE PAPILLON

Ah! dis.

LA BETE À BON DIEU

Ainsi, les Escargots ne sont pas tes amis; Va! ni les Scorpions, pas même les Fourmis.

LE PAPILLON

Vraiment?

LA BETE À BON DIEU, confidentielle.

Ne fais jamais la cour à l'Araignée! Elle te trouve affreux.

LE PAPILLON

On l'a mal renseignée.

LA BETE À BON DIEU

Hé! les Chenilles sont un peu de son avis…

LE PAPILLON

Je crois bien!… Mais, dis-moi! dans le monde où tu vis, Car enfin tu n'es pas du monde des Chenilles, Suis-je aussi mal vu?…

LA BETE À BON DIEU

Dame! c'est selon les familles, La jeunesse est pour toi les vieux, en général, Trouvent que tu n'as pas assez de sens moral.

LE PAPILLON, tristement.

Je vois que je n'ai pas beaucoup de sympathies.

En somme…

LA BETE À BON DIEU

Ma foi! non, mon pauvre! Les Orties t'en veulent. Le Crapaud te hait; jusqu'au Grillon, Quand il parle de toi, qui dit: «Ce p… p… Papillon!»

LE PAPILLON

Est-ce que tu me hais, toi, comme tous ces drôles?

LA BETE À BON DIEU

Moi… Je t'adore; on est si bien. sur tes épaules! Et puis, tu me conduis toujours chez les Muguets.

C'est amusant!… Dis donc, si je te fatiguais, Nous pourrions faire encore une petite pause Quelque part… Tu n'es pas fatigué, je suppose?

LE PAPILLON

Je te trouve un peu lourd, ce n'est pas l'embarras.

LA BETE À BON DIEU, montrant des Muguets.

Alors, entrons ici, tu te reposeras.

LE PAPILLON

Ah! merci!… des Muguets, toujours la même chose J'aime bien mieux à côté…

LA BETE À BON DIEU, toute rouge.

Oh! non, jamais…

Chez la Rose?…

LE PAPILLON, l'entraînant.

Viens donc! on ne nous verra pas.

(Ils entrent discrètement chez la Rose.) – La toile tombe.

Au troisième acte…

Mais je ne voudrais pas, mes chers lecteurs, abuser plus longtemps de votre patience. Les vers, par le temps qui court, n'ont pas le don de plaire, je le sais. Aussi j'arrête là mes citations, et je vais me contenter de raconter sommairement le reste de mon poème.

Au troisième acte, il est nuit tout à fait… Les deux camarades sortent ensemble de chez la Rose… Le Papillon veut ramener la Bête à bon Dieu chez ses parents; mais celle-ci s'y refuse; elle est complètement ivre, fait des cabrioles sur l'herbe et pousse des cris séditieux… Le Papillon est obligé de l'emporter chez elle. On se sépare sur la porte, en se promettant de se revoir bientôt… Et alors le Papillon s'en va tout seul, dans la nuit. Il est un peu ivre, lui aussi; mais son ivresse est triste: il se rappelle les confidences de la Bête à bon Dieu, et se demande amèrement pourquoi tant de monde le déteste, lui qui jamais n'a fait de mal à personne… Ciel sans lune, le vent souffle, la campagne est toute noire… Le Papillon a peur, il a froid; mais il se console en songeant que son camarade est en sûreté, au fond d'une couchette bien chaude… Cependant, on entrevoit dans l'ombre de gros oiseaux de nuit qui traversent la scène d'un vol silencieux. L'éclair brille. Des bêtes méchantes embusquées sous des pierres, ricanent en se montrant le Papillon. «Nous le tenons!» disent-elles. Et tandis que l'infortunité va de droite et de gauche, plein d'effroi, un Chardon au passage le larde d'un grand coup d'épée, un Scorpion l'éventre avec ses pinces, une grosse Araignée velue lui arrache un pan de son manteau de satin bleu, et, pour finir, une Chauve-Souris lui casse les reins d'un coup d'aile. Le Papillon tombe, blessé à mort… Tandis qu'il râle sur l'herbe, les Orties se réjouissent, et les Crapauds disent: «C'est bien fait!» À l'aube, les Fourmis, qui vont au travail avec leurs jaquettes et leurs gourdes, trouvent le cadavre au bord du chemin. Elles le regardent à peine et s'éloignent sans vouloir l'enterrer. Les Fourmis ne travaillent pas pour rien… Heureusement une confrérie de Nécrophores vient à passer par là. Ce sont, comme vous savez, de petites bêtes noires qui ont fait vœu d'ensevelir les morts… Pieusement, elles s'attellent au Papillon défunt et le traînent vers le cimetière…

Une foule curieuse se presse sur leur passage, et chacun fait des réflexions à haute voix…, Les petits Grillons bruns, assis au soleil devant leurs portes, disent gravement: «Il aimait trop les fleurs! – Il courait trop la nuit!» ajoutent les Escargots, et les Scarabées à gros ventre se dandinent dans leurs habits d'or en grommelant: «Trop bohème! trop bohème!» Parmi toute cette foule, pas un mot de regret pour le pauvre mort; seulement, dans les plaines d'aleptour, les grands lis ont fermé et les cigales ne chantent pas.