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– Une robe noire!…

– Mais oui! vous savez bien! cette petite robe noire qui travaillait là-bas avec vous, près de la fenêtre… Maintenant, elle n'y est plus… Mais tout à l'heure je l'ai vue, j'en suis sûr… – Oh! non! Daniel, vous vous trompez… J'ai travaillé ici toute la matinée avec Mme Tribou, votre vieille amie Mme Tribou, vous savez! celle que vous appeliez la dame de grand mérite. Mais Mme Tribou n'est pas en noir… elle a toujours sa même robe verte… Non! sûrement, il n'y a pas de robe noire dans la maison… Vous avez dû rêver cela… Allons! Je m'en vais… Dormez bien…» Là-dessus, Camille Pierrotte s'encourt vite, toute confuse et le feu aux joues, comme si elle venait de mentir.

Le petit Chose reste seul; mais il n'en dort pas mieux. La machine aux fins rouages fait le diable dans sa cervelle. Les fils de soie se croisent, s'enchevêtrent… Il pense à son bien-aimé qui dort dans l'herbe de Montmartre; il pense aux yeux noirs aussi à ces belles lumières sombres que la Providence semblait avoir allumées exprès pour lui et qui maintenant…

Ici, la porte de la chambre s'entrouvre doucement, doucement, comme si quelqu'un voulait entrer; mais presque aussitôt on entend Camille Pierrotte dire à voix basse:

«N'y allez pas… L'émotion va le tuer, s'il se réveille…» Et voilà la porte qui se referme doucement, doucement, comme elle s'était ouverte. Par malheur, un pan de robe noire se trouve pris dans la rainure; et ce pan de robe qui passe, de son lit le petit Chose l'aperçoit…

Du coup son cœur bondit; ses yeux s'allument, et, se dressant sur son coude, il se met à crier bien fort:

«Mère! Mère! pourquoi ne venez vous pas m'embrasser?…» Aussitôt la porte s'ouvre. La petite robe noire qui n'y peut plus tenir, se précipite dans la chambre; mais au lieu d'aller vers le lit, elle va droit à l'autre bout de la pièce, les bras ouverts, en appelant:

«Daniel! Daniel! – Par ici, mère…, crie le petit Chose, qui lui tend les bras en riant… Par ici; vous ne me voyez donc pas?…» Et alors Mme Eyssette, à demi tournée vers le lit, tâtonnant dans l'air autour d'elle avec ses mains qui tremblent, répond d'une voix navrante: «Hélas! non! mon cher trésor, je ne te vois pas…, Jamais plus je ne te verrai… Je suis aveugle!» En entendant cela, le petit Chose pousse un grand cri et tombe à la renverse sur son oreiller…

Certes, qu'après vingt ans de misères et de souffrances, deux enfants morts, son foyer détruit, son mari loin d'elle, la pauvre mère Eyssette ait ses yeux divins tout brûlés par les larmes comme les voilà, il n'y a rien là-dedans de bien extraordinaire… Mais pour le petit Chose, quelle coïncidence avec son rêve!

Quel dernier coup terrible la destinée lui tenait en réserve! Est-ce qu'il ne va pas en mourir de celui-là?…

Eh bien, non!… le petit Chose ne mourra pas. Il ne faut pas qu'il meure. Derrière lui que deviendrait la pauvre mère aveugle? Où trouverait-elle des larmes pour pleurer ce troisième fils? Que deviendrait le père Eyssette, cette victime de l'honneur commercial, ce Juif errant de la viniculture, qui n'a pas même le temps de venir embrasser son enfant malade, ni de porter une fleur à son enfant mort? Qui reconstruirait le foyer, ce beau foyer de famille où les deux vieux viendront un jour chauffer leurs pauvres mains glacées?… Non! non! le petit Chose ne veut pas mourir. Il se cramponne à la vie, au contraire, et de toutes ses forces… On lui a dit que, pour guérir plus vite, il ne fallait pas penser, il ne pense pas; qu'il ne fallait pas parler, il ne parle pas; qu'il ne fallait pas pleurer, il ne pleure pas… C'est plaisir de le voir dans son lit, l'air paisible, les yeux ouverts, jouant pour se distraire avec les glands de l'édredon. Une vraie convalescence de chanoine…

Autour de lui, toute la maison Lalouette s'empresse silencieuse. Mme Eyssette passe ses journées au pied du lit, avec son tricot; la chère aveugle a tellement l'habitude des longues aiguilles qu'elle tricote aussi bien que du temps de ses yeux. La dame de grand mérite est là, elle aussi; puis, à tout moment on voit paraître à la porte la bonne figure de Pierrotte. Il n'y a pas jusqu'au joueur de flûte qui ne monte prendre des nouvelles quatre ou cinq fois dans le jour. Seulement, il faut bien le dire, celui-là ne vient pas pour le malade; c'est la dame de grand mérite qui l'attire surtout… Depuis que Camille Pierrotte lui a formellement déclaré qu'elle ne voulait ni de lui ni de sa flûte, le fougueux instrumentiste s'est rabattu sur la veuve Tribou qui, pour être moins riche et moins jolie que la fille du Cévenol, n'est pas cependant tout à fait dépourvue de charmes ni d'économies. Avec cette romanesque matrone, l'homme flûte n'a pas perdu son temps, à la troisième séance, il y avait déjà du mariage dans l'air, et l'on parlait vaguement de monter une herboristerie rue des Lombards, avec les économies de la dame. C'est pour ne pas laisser dormir ces beaux projets, que le jeune virtuose vient si souvent prendre des nouvelles.

Et Mlle Pierrotte? On n'en parle pas! Est-ce qu'elle ne serait plus dans la maison?… Si, toujours: seulement, depuis que le malade est hors de danger, elle n'entre presque jamais dans sa chambrée.

Quand elle y vient, c'est en passant, pour prendre l'aveugle et la mener à table; mais le petit Chose, jamais un mot… Ah! qu'il est loin le temps de la rose rouge, le temps où, pour dire: «Je vous aime», les yeux noirs s'ouvraient comme deux fleurs de velours! Dans son lit, le malade soupire, en pensant à ces bonheurs envolés. Il voit bien qu'on ne l'aime plus, qu'on le fuit, qu'il fait horreur; mais c'est lui qui l'a voulu. Il n'a pas le droit de se plaindre. Et pourtant, c'eût été si bon, au milieu de tant de deuils et de tristesses, d'avoir un peu d'amour pour se chauffer le cœur! c'eût été si bon de pleurer sur une épaule amie!… «Enfin!… le mal est fait, se dit le pauvre enfant, n'y songeons plus, et trêve aux tracasseries! Pour moi, il ne s'agit plus d'être heureux dans la vie; il s'agit de faire son devoir… Demain, je parlerai à Pierrotte.» En effet, le lendemain, à l'heure où le Cévenol traverse la chambre à pas de loup pour descendre au magasin, le petit Chose, qui est là depuis l'aube à guetter derrière ses rideaux, appelle doucement.

«Monsieur Pierrotte! monsieur Pierrotte!» Pierrotte s'approche du lit; et alors le malade très ému, sans lever les yeux:

«Voici que je m'en vais sur ma guérison, mon bon monsieur Pierrotte, et j'ai besoin de causer sérieusement avec vous, Je ne veux pas vous remercier de ce que vous faites pour ma mère et pour moi…» Vive interruption du Cévenoclass="underline" Pas un mot là-dessus, monsieur Daniel! tout ce que je fais, je devais le faire. C'était convenu avec M. Jacques – Oui! je sais, Pierrotte, je sais qu'à tout ce qu'on veut vous dire sur ce chapitre vous faites toujours la même réponse… Aussi n'est-ce pas de cela que je vais vous parler. Au contraire, si je vous appelle, c'est pour vous demander un service. Votre commis va vous quitter bientôt; voulez-vous me prendre à sa place? Oh! je vous en prie, Pierrotte, écoutez-moi jusqu'au bout; ne me dites pas non, sans m'avoir écouté jusqu'au bout… Je le sais, après ma lâche conduite, je n'ai plus le droit de vivre au milieu de vous. Il y a dans la maison quelqu'un que ma présence fait souffrir, quelqu'un à qui ma vue est odieuse, et ce n'est que justice!… Mais si je m'arrange pour qu'on ne me voie jamais, si je m'engage à ne jamais monter ici, si je reste toujours au magasin, si je suis de votre maison sans en être, comme les gros chiens de basse-cour qui n'entrent jamais dans les appartements, est-ce qu'à ces conditions-là vous ne pourriez pas m'accepter?» Pierrotte a bonne envie de prendre dans ses grosses mains la tête frisée du petit Chose et de l'embrasser bien fort; mais il se contient et répond, tranquillement: