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Il rentra se coucher à l’hôtel. On ne lui avait trouvé qu’une chambre qui, en temps ordinaire, devait être une chambre de domestique, presque sous les toits. Il ferma la porte à clé, ouvrit la fenêtre, éteignit la lumière et chercha le sommeil.

— Étant donné, se répétait-il, que le vol n’était possible qu’au moment de la cohue provoquée par le coup de tonnerre et l’averse…

Il tenait à son idée. Puisque ça lui avait réussi une fois de suivre farouchement une idée jusqu’au bout, il n’y avait pas de raison pour…

Malheureusement, il avait commis une faute. Lors de l’affaire de la Maison-Basse, il avait beaucoup bu, sans le vouloir. Cette fois, il l’avait fait exprès, pour retrouver l’inspiration. Et, avant de monter dans sa chambre, il avait encore avalé un whisky au bar, lui qui ne buvait jamais de whisky. Cela lui valait une étrange somnolence. Il était à la fois lucide et engourdi. Il ne dormait pas, mais ce n’était pas non plus l’état de veille absolu. Longtemps un moustique l’agaça. Puis ce fut un bruit léger qu’il ne parvenait pas à déterminer, comme le grattement d’une souris quelque part dans un coin de la chambre.

Pourquoi cette Lina avait-elle…

Soudain, il se leva en sursaut. Il était certain que la souris était là, près de sa table. Il cherchait le bouton électrique. Il ne le trouvait pas. Il perdit quelques secondes. Enfin, il tint la poire, pressa le bouton d’ivoire, et la lumière inonda la pièce.

Rien ! Pas de souris ! La fenêtre toujours ouverte sur un ciel pâle. Sa montre marquait deux heures du matin. Il était sûr de n’avoir pas dormi, de s’être assoupi tout au plus. Il voulut boire un verre d’eau. Avant de se coucher, il avait mis son veston (il était soigneux, car il n’avait que deux complets) sur le dossier d’une chaise.

Or, au revers de son veston, tranchait une tache blanche, une feuille de papier attachée par une épingle…

Quelqu’un était donc entré dans la pièce tandis qu’il était étendu sur son lit, et c’était ce quelqu’un qui avait fait ce bruit à peine perceptible de souris trottinante.

On n’avait pu entrer par la porte, qui était fermée à clé et dont le verrou était tiré. Pour entrer par la fenêtre…

Il se pencha. Il était au cinquième étage. Pour arriver jusqu’à lui, il aurait fallu se hisser le long du tuyau de gouttière et effectuer un rétablissement ahurissant…

Toujours en chemise, car il n’avait pas apporté de pyjama, il revint vers son veston et lut enfin le billet, rédigé en lettres majuscules :

Si vous vous obstinez à vous mêler de ce qui ne vous regarde pas, il vous arrivera malheur. Si, au contraire, vous rentrez sagement chez vous, vous recevrez un joli cadeau.

Pas de signature, comme de juste ! Ce qui était le plus hallucinant, c’est que le quidam qui avait écrit ça avait trouvé le moyen de pénétrer quelques minutes plus tôt, sans faire de bruit, sans trahir sa présence autrement que par un grattement de souris, dans la chambre où le Petit Docteur se trouvait et ne dormait pas !

Il aperçut soudain un appareil téléphonique à la tête de son lit. Il se souvint qu’il y avait le téléphone dans toutes les chambres.

— Allô ! Donnez-moi Mlle Lina Grégoire, s’il vous plaît…

La sonnerie retentit trois fois. Enfin une voix endormie fit péniblement :

— Allô ?… Qui est là ?…

Il raccrocha, appela la gouvernante. La voix fut plus sèche, l’accent anglais très prononcé.

— Allô !…

Il raccrocha encore.

— Donnez-moi la chambre de M. Bernard Villetan, s’il vous plaît…

Pas de réponse. Il rappela la téléphoniste, demanda le portier.

— Allô ! M. Villetan n’est pas à l’hôtel ?

— Pardon, monsieur. Il est toujours au bar. Si vous voulez que je l’appelle… Mais j’aime mieux vous prévenir qu’il a fêté sa victoire avec ces messieurs du Yacht Motor Club et qu’en ce moment…

— Je vous remercie !

Malheur ou joli cadeau ?

Il n’était pas question d’hésiter : il resta ! Et toute la nuit il rêva qu’il était chargé de voler les billets posés devant une vieille joueuse de boule et qu’il étudiait le meilleur moyen d’arriver à ses fins.

Pouvait-il se douter que, pendant ce temps-là, un crime se commettait à quelques mètres de lui ?

II

Si des gens entrent volontairement par les fenêtres, d’autres sortent involontairement par le même chemin

À six heures du matin, alors qu’il avait les yeux ouverts depuis une bonne heure, le Petit Docteur, constatant que sa montre ne consentait à marquer la fuite du temps qu’à une lenteur irritante, sauta de son lit et décida :

— Je vais prendre un bain !

Il n’avait pas de maillot, pas le moindre bagage. Il se contenta de s’envelopper dans un immense peignoir d’hôtel, persuadé qu’il trouverait à louer un caleçon sur la plage. Et, comme il y serait à peu près seul à cette heure matinale, peu importait que le caleçon fût ou non à sa mesure.

Il descendit l’escalier en sifflotant, parce qu’il était toujours gai le matin, surtout quand, comme ce matin-là, il y avait un soleil couleur de champagne. Il enjamba presque une femme de ménage qui nettoyait les dernières marches et, au moment où il allait traverser le hall, une voix l’appela :

— Hé ! Dollent…

C’était Ricou, un camarade de la Faculté qui s’était installé à Royan. Solennel comme un bon médecin de petite ville, il portait déjà, malgré l’heure, son faux col à pointes cassées, son veston noir et son pantalon rayé.

— Où vas-tu ? questionna-t-il.

— Dans l’eau… Et toi ?

— Il y a une demi-heure que j’ai été appelé par la direction de l’hôtel. Un accident stupide…

Les petits yeux de Jean Dallent se firent plus vifs. On aurait dit que son regard devenait soudain pointu comme un crayon que l’on taille.

— Raconte…

— Un type qui est resté trop longtemps au bar cette nuit et qui a pris le rebord de son balcon pour son lit. C’est miracle qu’il ne se soit pas tué. Il est tombé du troisième étage et il a d’abord rebondi sur la pergola. Sur la terrasse, il n’a pas dit ouf, puisque c’est seulement à cinq heures ce matin que les femmes de ménage, en arrivant, l’ont découvert.

— Fracture du crâne ?

— Même pas ! Je l’ai envoyé à la Clinique Chevrel. Il en a pour quelques semaines et il en sortira amoché pour un bout de temps…

— Tu connais son nom ?

— Bernard Villetan, le type des roulements à billes… Il avait gagné je ne sais quelle course l’après-midi…

Eh bien ! il faut faire un aveu. Pensant au magnifique garçon de la veille, le Petit Docteur ne put s’empêcher de murmurer, rêveur :

— Et tu dis qu’il sera amoché pour quelque temps ?

— Tu le connais ?

— Très peu… À propos, comment était-il habillé, ton blessé ?

— Pantalon de smoking et chemise blanche… Il avait déjà retiré son faux col et sa cravate… Ses chaussures aussi… Il était pieds nus…

L’autre fut bien étonné de voir le Petit Docteur rebrousser chemin sans mot dire et remonter chez lui. Le directeur de l’hôtel courut après lui.

— Un instant, monsieur Dollent… Je voudrais vous demander d’être discret… Il est inutile que nos clients apprennent ce qui s’est passé cette nuit… Nous n’y sommes pour rien, certes, mais ces accidents-là font toujours tort à un hôtel…

— Vous êtes sûr qu’il était pieds nus ?

— Absolument sûr…

— Le sol du balcon est en quoi ?

— En béton, comme tous nos balcons…

— Merci !

Si Bernard Villetan était pieds nus… si le sol du balcon était en béton… Voyons ! Toujours se mettre dans la peau des gens… On rentre dans sa chambre… Si on a une demi-cuite et si on veut prendre l’air, on retire à la rigueur son faux col et son smoking avant d’aller s’accouder au balcon… Mais pas ses souliers !… Pas ses chaussettes !…