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— Filez !

Elle y tenait ! Dollent n’avait aucune envie de s’en aller ! Depuis quelques instants, il était devenu très rouge. Il regardait le gosse s’éloigner avec son ballon rouge et bleu. Puis il regardait le terrible balcon.

Puis…

La brise qui venait de la mer avait tourné la page de son journal. Machinalement, il avait baissé le regard.

Maintenant, il relevait la tête. Il avait pâli. Il s’efforçait de prendre un air joyeux.

— J’accepte votre invitation, disait-il, mais à une condition. C’est que, de votre côté, vous consentiez à prendre toutes deux l’apéritif avec moi au bar de l’hôtel… Jef prépare les cocktails à la perfection…

— Je ne bois pas de cocktails ! Laissa tomber Lina.

— Taisez-vous ! Ordonna sa camérière. Monsieur est trop aimable, après ce qu’il a fait pour vous, de vous inviter par surcroît, surtout que vous ne lui témoignez guère de reconnaissance… Si vos parents étaient ici…

N’y eut-il pas comme un voile sur les prunelles de la jeune fille ?

— Nous acceptons, monsieur, continua la vieille. À quelle heure voulez-vous ?…

— Mais il me semble que maintenant… Si du moins cela vous convient…

— Lina ! Passez votre robe de plage… Je vous ai toujours répété que ce maillot est d’une indécence…

Et le Petit Docteur, en se levant, avait la gorge sèche, les mains moites. Manque d’habitude ! Certes, presque tous les jours il jouait la vie des autres. Mais c’était la première fois qu’il jouait la sienne !

IV

Où le Petit Docteur aurait préféré travailler pour son compte

Choisir le moment ! Toute la question était là ! Des quantités d’imbéciles, pendant ce temps, le regardaient avec une douce ironie parce qu’il promenait gravement une vieille demoiselle au maquillage aussi ridicule qu’insolent. Peut-être certains pensaient-ils : « Un malin ! Il fait la cour à la vieille pour avoir la jeune fille…»

Personne ne se doutait que jamais de sa vie il ne s’était senti aussi près d’une mort violente. Est-ce que Bernard s’en doutait, la nuit précédente, quand dans sa chambre il se déshabillait tranquillement ?

Choisir le moment ! Et le choisir de telle sorte que…

C’était affreusement compliqué. Le bar, par sa configuration, ne s’y prêtait pas trop mal ; le principal avantage qu’il présentait était de ne comporter qu’une seule porte, pas très large, en dehors de la petite porte de service située derrière le comptoir.

C’était l’heure creuse. La foule se baignait encore et n’arriverait pour l’apéritif que vers une heure. Seuls étaient là les quelques habitués qui continuent, à Royan, comme à Deauville ou à Biarritz, leur vie de Paris et qui, à peine levés, soignent par un violent cocktail leur gueule de bois.

— Trois Roses, Jef… Asseyez-vous, miss… Car c’est miss n’est-ce pas ?…

Son œil brillait. Il se souvenait du ballon rouge et bleu. Il était tellement content de lui, de tout ce qu’il avait découvert et du chemin assez subtil qu’avait pris sa pensée pour y arriver, qu’il en oubliait son angoisse.

— Vous fermerez la fenêtre, Jef… Il y a un courant d’air…

Ce n’était pas vrai, mais la fenêtre était une issue par trop commode, car cette fois on n’était pas au troisième étage mais au rez-de-chaussée.

Le journal, il l’avait toujours sous le bras. Son doigt trouverait facilement la page huit…

Voyons, combien y avait-il de personnes dans le bar ? Jef et son garçon… Un chasseur qui, n’ayant rien à faire, regardait chacun avec ennui… Deux jeunes gens sur les hauts tabourets… Un groupe de trois hommes à une petite table, des hommes d’affaires que les vacances n’empêchaient pas de se mettre l’esprit à la torture pour gagner de l’argent…

— Ce cocktail n’est pas trop sec, miss ?… Excusez-moi… Je voudrais demander à Mlle Lina… C’est bien son prénom, n’est-ce pas ?… Je voudrais lui demander, en souvenir, de me signer son nom sur une carte postale… Et je voudrais qu’elle choisisse celle-ci elle-même… Elle en trouvera chez le portier… J’ai conscience d’abuser, mais je suis un peu maniaque…

Ce n’était peut-être pas très malin ; seulement il n’avait pas le choix. Il fallait l’écarter à tout prix.

Elle s’éloignait, résignée, ou plutôt furieuse. Le chasseur restait près de la porte. Jef était costaud. Il devait avoir eu, dans sa vie, quelques algarades avec des ivrognes…

— Je disais, miss, que la lecture des journaux anglais… Quand je dis lecture… Mon anglais est devenu si mauvais… Heureusement qu’il y a les images…

Elle avait une main prise par son verre, dont elle sirotait lentement le contenu, et soudain, alors qu’il venait d’ouvrir le journal à la page huit, le Petit Docteur se conduisit comme un fou – du moins ce fut un moment l’impression de Jef et de ceux qui étaient là…

Sans crier gare, il saisit la main gauche de la vieille Anglaise tandis que, de l’autre main, il lui empoignait la chevelure et… l’arrachait d’un seul coup.

L’instant d’après, tous deux avaient roulé par terre, Dix secondes ne s’étaient pas écoulées qu’un coup de feu éclatait et qu’une balle allait s’enfoncer dans l’acajou du bar.

Le Petit Docteur savait bien que, tout seul, il ne pouvait avoir le dessus. Il savait aussi que Jef et les autres interviendraient. Il savait qu’il n’y avait qu’une seule issue et qu’ainsi il tenait le bon bout.

La perruque de miss Esther était quelque part sur le tapis et on voyait maintenant, aux prises avec Dollent, un être extraordinairement nerveux et musclé qui n’avait plus rien d’une vieille gouvernante.

— Appelez la police ! criait le Petit Docteur en frappant de toutes ses forces son partenaire au visage.

Car c’était un homme, cela ne faisait plus aucun doute.

Il haletait encore. Son veston s’était déchiré à l’épaule. Il avait le visage couvert de sueur, ce qui faisait ressortir l’ombre de sa barbe.

Le directeur de l’hôtel, qui avait mis son bureau à la disposition de « ces messieurs », le regardait d’un air féroce, tandis que le commissaire de police ne cachait pas son étonnement.

— Vous prétendez que cette vieille demoiselle… je veux dire cet homme… enfin cette personne…

— Il m’est difficile, monsieur le commissaire, de vous résumer en quelques minutes, alors que je suis à bout de souffle, des choses que j’ai mis des heures et des heures à penser, bout à bout, idée par idée… Tout est parti du vol du casino… Si vous aviez à commettre un vol…

— Je vous prie, docteur, de ne pas faire de personnalités…

Tous les mêmes, ces policiers ! Et personne pour comprendre ses méthodes à lui ! Tant pis !

— Je prétends, pour résumer, que la personne qui a commis ce vol l’a commis pour se faire prendre, c’est-à-dire pour être pendant un certain temps sous la protection de la police, donc pour se mettre à l’abri d’un danger…

« La preuve, c’est qu’après mon accès de don-quichottisme, cette jeune fille m’a traité d’imbécile, sauf votre respect, monsieur le commissaire…

« Vous me suivez ?

Ils ne le suivaient pas. Mais il parlait pour lui-même.

— Bernard Villetan est amoureux de la jeune fille… Il ne peut jamais l’approcher, à cause de la terrible gouvernante… Il en a le cafard… Il boit… Puis il tombe sur un journal… Il aperçoit une annonce et cette annonce lui donne une idée…

« Il faut réfléchir, messieurs… La garde que monte cette gouvernante autour de Lina a quelque chose d’anormal… Elle-même semble plutôt sortir d’une caricature du Punch que de la vie…

« Or, l’annonce… La voici… Je vous traduis le texte : Elle devenait chauve… Elle vieillissait de dix ans chaque mois… Les Perruques Sander…