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— C’est exact, Anna… Préparez ma valise avec du linge de rechange… Par ce temps-là, mettez-y aussi une bonne paire de chaussures…

Une demi-heure plus tard, sa minuscule voiture, qui depuis qu’elle était voiture avait toujours eu des ratés, s’élançait sur la route, que balayait un froid vent d’automne.

Il y avait un mois à peu près, le 2 octobre, Jérôme Espardon, garagiste au hameau d’Ecoin, à cinq kilomètres de Nevers, sur la grand-route de Paris, s’était présenté dès cinq heures du matin à la gendarmerie la plus proche et avait fait la déclaration suivante, que tous les journaux avaient reproduite et qui devait donner du fil à retordre à des tas de gens :

— Hier soir, 1er octobre, j’ai veillé plus tard que d’habitude, parce que je n’avais pas terminé mes comptes de fin de mois. Je me trouvais à onze heures dans le petit bureau vitré qui est au fond du garage. Le volet mécanique était baissé, la lampe de la pompe à essence éteinte ; cependant, un peu de lumière devait filtrer sous le volet.

« Soudain, j’ai entendu une voiture qui s’arrêtait, et des coups ont été frappés à la porte. D’habitude, j’évite autant que possible de servir des clients la nuit, car quelques-uns de mes confrères ont été attaqués de la sorte par des malandrins.

« Étant encore tout habillé, j’ai néanmoins ouvert la petite porte dans le volet. Il faisait très noir, car il n’y avait pas de lune et il avait plu un peu plus tôt.

« Un homme de forte corpulence, dont je ne distinguais pas les traits, m’a demandé de lui servir trente litres d’essence. Les phares de la voiture étaient en veilleuse, ce qui m’empêcha de faire les constatations que j’aurais faites autrement.

« J’ai manœuvré la pompe. J’avais le numéro de l’auto sous les yeux et, si je ne fis pas attention aux lettres, je retins machinalement les chiffres : 87.75.

« Par la glace arrière, je remarquai aussi qu’il y avait deux personnes sur la banquette arrière, un homme et une femme.

« Mon client me remit cent francs, sur lesquels je lui redevais deux francs vingt-cinq, mais il dit :

« — C’est bien comme ça…

« C’est au moment où il reprenait sa place et où il mettait le moteur en marche que la vitre arrière se baissa. J’entrevis une main, une main de femme. Une voix cria :

« — Au secours !… À moi !…

« C’était aussi une voix de femme, mais elle se perdit aussitôt dans le vacarme de l’auto qui démarrait et qui s’éloignait à toute vitesse dans la direction de Paris.

« Faute d’être relié la nuit, je n’ai pu téléphoner à la gendarmerie. D’autre part, j’étais seul au garage, ma femme étant encore en vacances dans sa famille, en Savoie.

« Enfin, je n’ai pas attaché trop d’importance à cet incident, pensant que c’était sans doute une plaisanterie.

Il faut ajouter que la gendarmerie, sur le moment, ne prit pas davantage la chose au tragique. On se contenta de téléphoner au District pour savoir si, cette nuit-là, il y avait eu dans la région quelque événement anormal.

On ne signalait aucun accident, aucune alerte. En outre, à cause d’un vol de lapins, un gendarme était en faction sur la route, toute la nuit, à l’entrée de la petite ville de Pouilly, à vingt kilomètres de là. Il avait machinalement noté le numéro de toutes les voitures qui passaient. Il n’avait pas vu de plaque d’immatriculation se terminant par 87.75.

Donc, l’auto que signalait le garagiste n’était pas allée bien loin.

Mieux, on l’avait retrouvée, et le marchand d’essence avait passé un vilain quart d’heure. Comme il prenait volontiers l’apéritif, les autorités n’avaient pas hésité à l’accuser d’être ivre ce soir-là et de s’être moqué d’elles.

Une seule voiture, en effet, répondait au signalement donné : celle de l’avocat Humbert, de Nevers.

Et voici ce que l’avocat Humbert, qui était plus qu’honorablement connu, fils de magistrat par surcroît, déclarait sous la foi du serment :

— Le vendredi 1er octobre, comme tous les vendredis, nous avons pris l’auto avec ma femme pour aller dîner chez nos amis Lajarrigue, place Gambetta. Nous devions, ainsi que chaque semaine, y retrouver les Dormois et les Vercel, et faire ensuite une partie de bridge jusqu’à minuit.

« Il en a été comme prévu. Il pleuvait quand nous sommes arrivés place Gambetta. J’ai arrêté ma voiture derrière celle des Dormois, qui étaient arrivés avant nous. Quant aux Vercel, qui habitent quatre maisons plus loin, ils étaient naturellement venus à pied.

« La partie de bridge, une fois de plus, s’est prolongée, et c’est seulement un peu avant une heure du matin que nous nous sommes séparés. Les autos étaient toujours à la porte. Nous sommes rentrés nous coucher, ma femme et moi. Nous n’avons rien remarqué d’anormal.

Et pourtant, le pauvre garagiste, en qui personne ne voulait plus croire, maintenait ses affirmations.

— J’ai mis trente litres d’essence dans cette voiture le vendredi 1er octobre à onze heures du soir…

Il avait raison. On l’apprit le surlendemain seulement, grâce à Mme Humbert. Elle se servait souvent de l’auto l’après-midi. Elle se souvint que, le 1er octobre, elle s’était promis de faire le plein d’essence. Le surlendemain, alors que la voiture n’avait pas servi le samedi, elle remarqua qu’il y en avait une notable quantité dans le réservoir.

— Tu avais fait le plein ? demanda-t-elle à son mari.

— Moi ? Non…

— Pourtant…

Et voilà comment il fallut convenir que Jérôme Espardon n’avait pas menti, ni rêvé. Quelqu’un avait emprunté l’auto pendant la partie de bridge, l’avait conduite sur la route de Paris, avait été surpris de trouver le réservoir à peu près vide et s’était arrêté devant le garage d’Ecoin.

Il n’avait pu aller très loin, puisque le gendarme en faction à Pouilly ne l’avait pas vu. Et il était rentré à Nevers, où la voiture était à sa place un peu avant une heure du matin.

Or, une femme avait appelé au secours !

Il y avait un mois que le Petit Docteur enrageait.

— Il faudra bien qu’un jour ou l’autre j’aille faire un tour là-bas ! répétait-il presque chaque jour à Anna.

Ce n’est pas exagéré de dire que l’enquête avait été molle. D’abord, personne n’avait porté plainte. Ensuite, que savait-on ? Y avait-il meurtre ? Y avait-il vol ?

Enfin, qui cela regardait-il ? La police de Nevers ou la gendarmerie ? Et, si c’était la gendarmerie, de quel district, de quelle brigade s’agissait-il ?

Qui était cette femme qui avait attendu la dernière minute pour appeler au secours ? Pourquoi ne l’avait-elle pas fait plus tôt, alors que son compagnon, hors d’état de mettre l’auto en marche, puisqu’il était dehors, ne pouvait pas intervenir ?

Qui était cet homme corpulent ? Et l’autre, à l’intérieur, dont le garagiste n’avait aperçu qu’une vague silhouette ?

« Des chasseurs, exposait le journal, en parcourant le marais de Bois-Bezard, à dix kilomètres de Nevers, ont découvert dans les roseaux le cadavre d’un homme paraissant âgé d’une cinquantaine d’années et de forte corpulence.

« Le corps n’a pas encore été identifié. Les autorités sont sur les lieux. On se demande si cette affaire a quelque rapport avec la déposition du garagiste d’Ecoin, dont nos lecteurs doivent se souvenir.

« Cette énigmatique histoire pourrait réserver des surprises. »

Le Petit Docteur mettait tous les gaz, mais sa 5 CV, vieille de huit ans déjà, ne pouvait en faire plus qu’elle ne faisait et parfois une rafale de vent la secouait au point qu’on pouvait croire qu’elle allait être emportée dans le fossé.

En somme, il n’y avait pas de malade grave pour le moment. Pas d’accouchement en perspective non plus. La série était finie et Dollent en avait pour quelques jours à respirer. Quant aux petits malades, aux maux de gorge et aux furoncles, ils n’avaient qu’à attendre…