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— Quelqu’un !… Hé ! Monsieur Drouin !…

Il crut qu’on avait bougé dans la pièce voisine ; ce n’était qu’un chat gris, qui glissa le long de ses jambes et sortit. La seconde pièce était la chambre à coucher, meublée d’une façon assez originale, et Drouin avait dû faire certains meubles lui-même.

Il y avait un grand divan qui servait de lit, et ce divan était défait, on y voyait encore, en creux, la trace d’un corps. Quant au téléphone…

Il saisit l’appareil, tourna la manivelle deux fois, trois fois, sans résultat, ce qui prouvait bien que l’appel qu’il avait reçu à midi vingt-cinq ne venait pas de la maison.

Jusqu’alors, le Petit Docteur, dont le vrai nom était Jean Dollent, ne s’était occupé que de médecine. Il n’avait jamais imaginé, dans ses rêves les plus extravagants, qu’il pourrait s’occuper d’autre chose. Il ne se croyait pas des dons exceptionnels d’observation, et encore moins de raisonnement.

Pour le moment, il était gêné et, chose ridicule à avouer, il avait soif. Si soif que…

C’était une indélicatesse. Tant pis ! Des rayonnages contenaient des livres, les derniers romans parus, mais d’autres, à portée de la main quand on se trouvait sur le divan, supportaient des bouteilles d’apéritifs. Il en prit une, de l’apéritif le plus doux. Il chercha un verre. Il avala une gorgée.

Ce fut le troisième étonnement de la journée. Quel était ce goût ?… C’était ridicule… Jamais personne n’aurait l’idée de…

Et pourtant il n’y avait aucun doute. Il but encore, se gargarisa. Inutile d’analyser le liquide. Dans une bouteille de vermouth, on avait bel et bien fait dissoudre du bicarbonate de soude !

Qu’avait contenu le verre qui se trouvait sur la tablette, à côté du divan ? Il renifla. Précisément du vermouth !

N’était-ce pas loufoque ? Cette idée de faire fondre du bicarbonate de soude, le médicament le plus anodin, juste bon à calmer les petites douleurs stomacales, dans un apéritif !

— Quelqu’un !… Voyons ! Il est impossible qu’il n’y ait personne ! cria le Petit Docteur avec colère.

Seul le chat, dans le jardin, l’observait à travers la vitre. Alors, tout naturellement, Jacques Dollent s’assit au bord du divan.

Premièrement : si on s’était donné la peine de lui téléphoner, de le faire venir d’urgence, c’est qu’on avait besoin qu’il fût là.

Or, il n’y avait personne à soigner.

Deuxièmement : à cette heure, on n’avait pu demander la communication que de La Rochelle. C’était à dix kilomètres de là. Drouin n’avait pas d’auto, pas de vélo. Et le dernier autobus était passé à huit heures du matin. Est-ce que Drouin avait fait les dix kilomètres à pied ? Est-ce que sa maîtresse l’accompagnait ?

Troisièmement : une seule personne avait dormi cette nuit-là dans le divan-lit, et c’était sûrement la jeune femme, car il y avait un long cheveu blond sur l’oreiller.

Quatrièmement : aucune trace de petit déjeuner. Il était difficile de croire qu’elle eût bu, en se levant, du vermouth au bicarbonate de soude, ce qui eût été le comble de l’étrangeté.

Le Petit Docteur n’avait pas conscience qu’il était bel et bien en train de se livrer à une enquête et que celle-ci ressemblait terriblement à une enquête policière.

Pourquoi avait-on besoin de lui ? Pour soigner qui ?

À moins… Il sourcilla, car cette idée lui ouvrait de nouveaux horizons… S’il était nécessaire que n’importe qui vienne à la Maison-Basse ?… Les gens du village n’ont pas le téléphone… À midi, au surplus, celui-ci ne fonctionne pas… Et que leur dire ? Pourquoi se dérangeraient-ils ?… Tandis qu’un médecin ! C’est le seul homme qui se dérange toujours, qui est moralement obligé de se déranger…

Mais pourquoi ?

La fraîcheur était délicieuse, la paix absolue… La première maison, la ferme du Renard, où le docteur soignait un mal de Pott, était à plus de six cents mètres. Il n’y avait que les mouches à mettre un peu de vie dans l’atmosphère.

Soudain… Il se leva… Il marcha jusqu’à une ancienne commode, sous laquelle il avait aperçu quelque chose. Il se pencha, retira une paire d’espadrilles, aux semelles desquelles collait de la boue fraîche.

Et cela, c’était plus étonnant que tout. Il y avait des semaines qu’il n’avait plu, et depuis belle lurette les fossés étaient à sec.

Où Drouin avait-il pu aller pour crotter ainsi ses espadrilles ? Pas à la côte, car la terre du rivage, entre les galets, était blanchâtre, excessivement calcaire, et ceci était de la bonne terre brune des prés ou des champs.

Dollent n’était-il pas ridicule ? Ne ferait-il pas mieux de rentrer chez lui, où Anna, sa cuisinière, avait préparé un si odorant ragoût de mouton ?

Le vermouth au bicarbonate de soude n’avait pas étanché sa soif et il choisit une autre bouteille, qui contenait, celle-ci, un apéritif anisé. Il goûta d’abord. Pas de drogue. Pas de bicarbonate. Il se servit un plein verre, puis alla se camper sur le seuil.

La maison comportait en tout cinq ou six pièces, toutes de plain-pied. C’était une ancienne bicoque de paysans, et les Drouin pouvait-on les appeler ainsi ? – s’étaient contentés de quelques aménagements, de l’égayer plutôt avec des tissus bariolés, des meubles en bois blanc, des rayonnages, une décoration qui rappelait les studios de Montparnasse. Il y avait même, pendue à un clou, une assez jolie guitare hawaiienne, et elle devait servir, car pas une corde ne manquait et elle était accordée.

Où donc Drouin avait-il…

Et voilà que le Petit Docteur, au lieu de remonter dans sa voiture, tournait autour de la maison, suivi par le chat, qui venait de temps en temps se frotter à ses jambes en faisant le gros dos. Le bout du jardin, derrière la bicoque, était aussi sec que la campagne. Il se pencha sur le puits : à peine cinquante centimètres d’eau limpide au-delà de laquelle on voyait les cailloux.

Le village semblait très loin, les espaces infinis. Des vaches, dans les prés-marais, étaient couchées, abruties par un sommeil accablant.

Sommeil accablant… Il se souvenait… Mais quel rapport ?…

Quel rapport entre le somnifère que Drouin était venu lui demander et…

Une petite haie, desséchée elle aussi. Il faillit passer outre. Il se pencha néanmoins. De l’autre côté de la haie, sur un court espace, les mottes n’avaient pas un aspect normal. On aurait dit qu’elles avaient été rangées là après coup. Il enjamba la haie, retira une motte qui n’adhérait pas au sol, trouva de la terre meuble, humide, comme celle qui collait aux espadrilles abandonnées dans la maison.

Cela ne le regardait pas. Si quelque chose lui paraissait louche, il n’avait qu’à le signaler à la mairie d’Esnandes, qui préviendrait la gendarmerie. Il était docteur et rien d’autre.

Mais pourquoi diable l’avait-on fait venir ? Pour découvrir quoi ?

Il était sûr d’avoir reconnu au téléphone la voix de Drouin. Donc, si Drouin lui avait téléphoné à midi vingt-cinq…

Il consulta sa montre. Elle marquait une heure et Anna devait déjà s’impatienter. N’empêche qu’il revenait vers la maison, qu’il ouvrait des portes au hasard, qu’il dénichait enfin une remise à outils et qu’il y saisissait une bêche.

C’était au cheveu sur l’oreiller qu’il pensait, à la jeune femme qui ne sortait jamais et qui répandait autour d’elle comme une atmosphère de passion exaltée.

Il retira son veston. La terre était meuble. Il en fit sauter quelques pelletées, puis…

Il avait assez disséqué de cadavres à la Faculté de médecine. Quand même !… de voir ce doigt qui émergeait soudain de la terre…

Il était sidéré : c’était un doigt d’homme. Il creusa, mit à nu toute la main, une grosse patte assez peu soignée.