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Il quitta le centre de la ville et se trouva dans un faubourg où il eut enfin l’impression d’avoir trouvé ce qu’il cherchait : une boutique étroite, moitié mercerie, moitié papeterie, encombrée de journaux et de romans populaires, de modèles de tricots et de cartes postales attendrissantes.

— Je voudrais du papier à lettres de fantaisie, madame, s’il vous plaît… Ce que vous avez de mieux… De préférence du papier de couleur… Par exemple, du papier rose…

Il fut comblé. La marchande lui montra des pochettes de six feuilles et six enveloppes, chacune de couleur différente, du plus beau rose au plus beau vert, moiré par surcroît.

— Voilà ce qui existe de mieux, affirma-t-elle très sérieusement. Cela fait très distingué…

Il acheta la pochette et cinquante timbres à un sou.

— Vous tenez à ce que ce soient des timbres d’un sou ?

— Absolument !

Et ce fut le troisième apéritif. Où écrire, dans une ville qu’on ne connaît pas, sinon dans un café ? Le garçon, de loin, le regardait faire avec quelque étonnement. Sur une enveloppe d’un rose de bonbon fondant, il écrivit d’abord, à l’encre violette, l’adresse suivante :

Mademoiselle Nicole chez M. Isidore Borchain

25, avenue de la République, Nevers.

Or, dans cette enveloppe, il ne glissa qu’une feuille de papier vierge de toute écriture. Par contre, au lieu d’un timbre à quatre-vingt-dix centimes, il entoura l’enveloppe de dix-huit timbres à un sou, ce qui donnait une étrange mine à la missive.

Puis ce fut le tour de l’enveloppe verte, cernée mêmement de timbres mais portant, celle-ci, l’adresse de Marthe Borchain.

— On verra ce que cela donnera !…

Il était loin d’avoir fini sa journée et son cerveau travaillait aussi vite que ses petites jambes nerveuses. Si le commissaire en chef, à cette heure, était déjà avisé par téléphone de la nouvelle découverte dans le Bois-Bezard, il suivait, lui, son idée, et avait une dernière tâche à accomplir avant la nuit.

Ce fut près du pont, sur la route de Moulins, qu’il aborda un agent de police.

— Dites-moi, monsieur l’agent, est-ce qu’il y a un garde-pêche à Nevers ?

— Un garde-pêche ?… Vous voulez savoir s’il y a un garde-pêche ?… Attendez voir, jeune homme… Un garde-pêche, vous devez trouver ça près du barrage… Cela ne regarde pas l’Administration municipale…

Il trouva la maisonnette, près d’un barrage, en effet, et un grand gaillard en casquette d’uniforme qui était occupé à traire une chèvre.

— Pourriez-vous me dire, mon brave, comment étaient les eaux le 1er octobre ?

— Comment étaient les eaux ?

— Oui… Étaient-elles hautes ?… Étaient-elles basses ?…

— Basses, naturellement, puisqu’il n’a plus plu depuis l’été !… Si basses qu’à certains endroits les gamins prenaient les poissons à la main…

— Cependant… Je m’excuse si ma question est ridicule… J’avoue que je n’y connais rien en hydrographie… Est-ce que, dans la traversée de Nevers, il existe des trous… vous appelez peut-être cela autrement… des endroits où l’eau est plus profonde ?…

— Bien entendu ! Près de la troisième pile du pont, il y a un trou d’au moins huit mètres…

— Troisième pile du pont ?… Non, ça ne va pas… Il me faut un autre trou, près de la rive…

Le garde-pêche le regardait, les yeux ronds, se demandant ce que ce quidam voulait faire avec un trou de cette sorte.

— Quelle profondeur il faut qu’il ait, votre trou ?

— À quelle profondeur voit-on à travers l’eau ?

— Ça dépend si elle est claire ou trouble… En ce moment, on voit les cailloux ou le sable à plus d’un mètre, et pourtant il a plu…

— Attendez que je calcule… Trois… Trois et deux… Bon !

Existe-t-il, au bord de la rive, à un endroit accessible aux voitures, un trou d’au moins cinq mètres ?

L’autre réfléchit, hocha la tête, cracha, devint méfiant.

— Ça dépend ce que vous voulez en faire…

— Je ne veux rien en faire du tout… Je cherche une automobile…

— Une automobile ?… Alors, il n’y a qu’un trou assez grand et assez profond… C’est au quai des Tanneurs, juste à côté d’un gros tas de briques…

— Si je vous indemnisais, est-ce que vous accepteriez d’y venir avec moi ?… Vous prendriez une perche et un bachot… Peut-être aussi un grappin…

Une averse aux gouttes épaisses les détrempa comme le garde promenait sans conviction son grappin au fond du trou. Pour lui, ce n’était pas grave, car il portait une veste cirée, mais le Petit Docteur n’avait pas emporté de complet de rechange.

— Eh bien ?

— Pour affirmer que c’est une automobile, je n’oserais pas affirmer que c’est une automobile, vu que je ne l’aperçois pas. Mais quant à y avoir autre chose que le fond…

— On pourrait peut-être en suivre les contours avec la perche ?

Ce qui fut fait. Et l’on eut alors la certitude presque absolue que c’était une voiture qui était tombée au fond de l’eau.

— Comment avez-vous pu deviner ? s’étonnait le garde, pas très rassuré devant cet étrange petit bonhomme.

— Je n’ai pas deviné ! J’ai conclu ! C’était simple. Du moment qu’Isidore Borchain n’était pas parti avec sa voiture… Du moment que c’était lui qui conduisait l’auto empruntée place Gambetta…

Allons ! Se mettre dans la peau des gens ! Borchain allait quelque part dans un but déterminé et il ne voulait pas y aller avec sa voiture à lui. Il comptait revenir, évidemment ! Car il était plus qu’improbable qu’il se fût rendu à Bois-Bezard pour se suicider…

Or, il n’était pas revenu. Par contre, l’auto de l’avocat Humbert, elle, était revenue à sa place !

Pourquoi, dès lors, n’avait-on pas retrouvé la voiture d’Isidore Borchain dans les environs ?

Et comment faire disparaître rapidement une auto gênante dans une ville que traverse une rivière ?

Le secrétaire du commissariat le regardait d’un assez vilain œil. Peut-être son chef lui avait-il raconté son aventure avec le Petit Docteur.

— Il faut que je parle d’urgence à votre patron. J’ai fait une découverte importante.

— Le malheur, c’est que le patron ne soit pas ici. Et si vous voulez parler du second cadavre, vous arrivez trop tard !

Jean Dollent fronça les sourcils.

— Le second cadavre ?

— Mettons que je n’aie rien dit… Pour voir le patron, vous n’avez qu’à revenir demain matin… On saura alors s’il accepte de vous recevoir…

Second cadavre… Second cadavre… Second…

Deux minutes plus tard, le Petit Docteur était au volant de sa voiture et reprenait la route de Bois-Bezard. Il était vexé. Certes, il venait de remporter un joli succès avec l’auto d’Isidore Borchain, mais maintenant cela lui paraissait de second plan.

Pourquoi n’avait-il pas suivi son inspiration première ? Car – personne ne le croirait maintenant ! – il avait failli s’écrier, l’après-midi, alors qu’on pataugeait dans le petit bois : « Il reste maintenant à trouver l’autre ! »

Et ce n’était pas seulement de l’intuition. C’était la suite d’un raisonnement qui n’était peut-être pas encore très serré, mais qui se tenait.

Si on avait trouvé un second cadavre, ce ne pouvait être que sur les lieux de la première découverte.

Le garagiste Espardon avait affirmé :

— Deux hommes et une femme…

Le premier homme, celui de plus de cent kilos, était Isidore Borchain. Bon ! Celui-là était liquidé.

La femme… On verrait cela le lendemain, du moins si le truc des enveloppes réussissait…

— C’est l’autre homme qu’on a retrouvé ! décida-t-il avec un petit sifflement qui avait quelque chose d’admiratif.