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Des silhouettes sombres dans le bois. La nuit était tombée. On voyait aller et venir les petits cercles blanchâtres des torches électriques et on entendait des voix qui s’appelaient.

Le Petit Docteur passa près d’un gendarme, qui ne le reconnut pas dans l’obscurité. Il se heurta presque au procureur de la République, qui était déjà sur les lieux.

— Vous !… commença une voix furieuse. Ah ! Çà… je vous prie… au besoin je vous ordonne…

C’était la voix du commissaire en chef, qui se tourna vers le procureur.

— Monsieur le procureur, cet homme, qui se dit médecin et que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, a eu le toupet, cet après-midi, de se faire passer pour le médecin légiste et…

— Pardon ! Vous m’avez pris pour le médecin légiste, mais, comme vous ne m’avez rien demandé, je n’ai pas eu, à vous répondre. Quant à présent, je me suis dérangé tout exprès avec Ferblantine…

— Qui est Ferblantine ?

— Un petit nom d’amitié que je donne parfois à ma voiture. Je me suis dérangé avec Ferblantine pour vous donner des nouvelles de l’auto.

Il n’était pas toujours aussi farceur, mais n’avait-il pas déjà bu quatre apéritifs ?

— Quelle auto ?

— L’auto d’Isidore Borchain…

— Vous l’avez retrouvée ? s’étonna le procureur.

— Il y a une heure… Elle est au fond de la Loire, dans un trou qui se trouve devant le quai des Tanneurs…

— Vous l’avez vue ?

— Je ne peux pas l’avoir vue, puisqu’elle est par six mètres de fond…

— Alors, comment…

N’étaient-ce pas des moments qui le payaient de toutes ses peines ?

— Une idée… Je me suis dit… Au fait, quel est le nom du second cadavre ?

L’identification n’avait pas été difficile. Dans les poches du mort, on avait trouvé un portefeuille contenant des papiers d’identité au nom de René Juillet, industriel à Roubaix.

Le commissaire n’osait plus, maintenant, se débarrasser du Petit Docteur, dont l’intervention avait forcé l’admiration du procureur. Le magistrat n’avait-il pas murmuré :

— Ou c’est un fumiste, ou c’est un garçon extraordinaire ! Voyons donc ce qu’il a dans le ventre…

C’est pourquoi, à dix heures du soir, Dollent se trouvait dans les locaux de la police, où l’enquête se poursuivait malgré la nuit.

Dès les premiers mots au téléphone, la police de Roubaix sursautait.

— Vous dites Juillet ?… Vous avez retrouvé René Juillet ?… Des renseignements sur lui, on en avait à revendre, sauf les renseignements qui auraient pu avoir quelque intérêt. Le père Juillet possédait une petite filature. Son fils, René Juillet, âgé de trente ans, célibataire, y travaillait avec lui. Le fils s’occupait surtout de la partie commerciale et circulait beaucoup. Il possédait un abonnement de chemin de fer pour toute la France.

Depuis trois semaines et plus qu’on n’avait pas de nouvelles de lui, le père Juillet avait alerté la police, mais toutes les recherches avaient été inutiles.

— Lui connaissait-on une liaison ?

— Aucune…

— Ses affaires pouvaient-elles le conduire à Nevers ?

— C’est improbable…

— Où avait-il été vu pour la dernière fois ?

— Il a quitté Roubaix le 29 septembre pour se rendre à Paris, d’abord, ensuite dans l’Est, où il ne devait rester que trois ou quatre jours. C’est quand il ne l’a pas vu rentrer et qu’il a appris, par ses correspondants, que son fils n’était allé ni à Colmar, ni à Mulhouse, que le père Juillet s’est adressé à la police…

— Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur le commissaire ?

Le Petit Docteur affectait un profond respect, qui n’était pas exempt d’ironie.

— Je pense, répliqua le fonctionnaire assez sec, que nous connaîtrons bientôt la solution de cette énigme…

— Moi aussi !

Et il dit cela de telle sorte que le commissaire le regarda avec méfiance, persuadé que son interlocuteur lui cachait quelque chose.

— Pourriez-vous me dire par quel hasard, vous, médecin à Marsilly, d’après ce que vous déclarez, vous vous trouvez à Nevers, loin de votre clientèle, qui doit avoir besoin de vos soins éclairés ?

— Je suis venu tout exprès pour cette affaire…

— Vous étiez donc au courant ?…

— Par les journaux, comme tout le monde…

— Et votre curiosité a été telle que vous avez tout abandonné pour…

Le Petit Docteur ne put s’empêcher de sourire, car il sentit qu’il devenait suspect et il prévit le moment où le commissaire lui mettrait la main au collet !

— … Pour trouver la solution, oui, monsieur le commissaire ! C’est une manie chez moi, depuis quelques mois. D’autres jouent aux échecs ou collectionnent les timbres-poste… Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps… Bonne nuit, monsieur le commissaire… À propos…

Il était déjà près de la porte. Il l’avait entrouverte. Il feignait d’avoir oublié quelque chose.

— Une question encore… Si demain matin… mettons vers neuf heures… j’avais découvert l’assassin d’Isidore Borchain… est-ce à vous que je dois m’adresser, ou directement au Parquet ?

— Je serai à mon bureau toute la matinée. Mais je doute que… Hum !… En tout cas, si vous trouvez l’assassin de Borchain et de René Juillet…

— Je ne trouverai pas celui de Juillet…

— Pourquoi ?

— Parce que !

Décidément, si cela continuait, il allait se mettre à dos tous les commissaires de police de France.

— Il est vrai, constata-t-il avec sincérité, en s’endormant dans une petite chambre de l’Hôtel de la Paix, que si des amateurs s’amusaient à venir soigner mes malades…

III

Où la lettre rose et la lettre verte jouent leur rôle et où le Petit Docteur tire des conclusions tandis que le commissaire le regarde férocement

Six heures du matin. La fortune, dit-on, est à ceux qui se lèvent tôt. Le Petit Docteur se rase devant un mauvais miroir, descend, ne trouve qu’un gardien de nuit, qui lui réchauffe du mauvais café, et préfère avaler un verre de calvados pour se mettre l’estomac d’aplomb.

Le ciel est plus clair. Tous les nuages venus de l’ouest sont partis vers l’est et il ne reste plus au-dessus des toits qu’une toile de fond bleu pâle.

Quai des Tanneurs. Un vacarme inusité. Des ferraille grincent, un moteur halète, des gens crient, des coups de sifflet doivent faire sauter dans leur lit les braves habitants du quai qui dorment encore.

Le procureur et le commissaire n’ont pas perdu leur temps. On dirait que, comme le Petit Docteur, ils tiennent à battre un, record. Une grue fonctionne. Un bateau plat des Ponts et Chaussées. Un autre bateau avec une pompe pour scaphandre.

Et déjà la tête de cuivre d’un scaphandrier émerge, tandis que les appareils photographiques la mitraillent.

Le Petit Docteur croyait être en avance et il est presque en retard, puisque les autorités et les journalistes sont déjà là.

Maintenant, il est vrai, il s’agit de René Juillet, gros fortune, grosse situation politique dans le Nord, et la presse parisienne marche à fond.

Les mystères de Nevers.

En manchette ! Comme on écrivait jadis Les mystères de Chicago.

Alors, des ordres ont été donnés : en finir au plus vite avec cette histoire !

Des chaînes ont été amarrées à l’auto par le scaphandrier. La grue fonctionne et une chaîne casse, qu’il faut remplacer. Des journalistes entourent le Petit Docteur, dont c’est le premier contact avec la presse en tant que détective.

— Il paraît que c’est vous qui avez découvert…

Il fait le modeste, mais il est bien content. On l’emmène dans un bistrot voisin pour qu’il raconte l’histoire de son raisonnement.