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Le lendemain – c’était un samedi – après avoir dormi quatre ou cinq heures à Marseille, il arrivait à Cannes vers dix heures, longeait la mer, aussi calme et aussi bleu qu’un baquet d’eau de lessive, et atteignait le port minus cule de Golfe-Juan.

On était en novembre. Il n’y avait personne. Le soleil était encore assez chaud.

— La villa de M. Marbe, s’il vous plaît ?

— Tout de suite après le Restaurant de la Rascasse, au fond du jardin…

Mais, avant que le Petit Docteur eût conduit sa voiture jusqu’à la grille de la villa ; un curieux personnage sortait du bistrot-restaurant. C’était un vieux monsieur tout petit, tout maigre, paraissant d’autant plus maigre qu’il était vêtu d’un pyjama flottant. La veste laissait entrevoir une poitrine brunie, abondamment couverte de poils gris.

Ses pieds nus étaient chaussés de pantoufles, son crâne coiffé d’un casque colonial tout déformé et tout sali.

— Psitt ! Psitt !… fit-il dans la direction de l’automobiliste. Et il se mit à courir.

— Excusez-moi si je me trompe… Vous n’êtes pas, par hasard, le docteur Jean Dollent ?… Mon ami le procureur m’a appris que vous aviez une amusante petite voiture… j’étais en train de prendre mon déjeuner… quand…

— M. Marbe ? Questionna le Petit Docteur, qui n’aimait pas ces allusions à Ferblantine.

— Moi-même… Très heureux que vous soyez venu… Mais, comme vous ne m’avez pas télégraphié, vous me surprenez en tenue du matin…

Il était terriblement nerveux. Tandis qu’il parlait, ses traits ne cessaient de bouger, de grimacer, ses yeux se plissaient, ses lèvres s’étiraient, ses doigts s’agitaient…

— D’habitude, en me levant, je viens en voisin casser la croûte à la Rascasse… Titin, le patron, est plutôt un ami… Que diriez-vous de quelques anchois avec un verre de vin de Cassis ?… Ensuite, nous irons chez moi et je vous raconterai…

Mon Dieu, pour être franc, il faut avouer que le Petit Docteur n’était pas très rassuré. Certes, il s’était découvert un certain flair pour les choses criminelles. Par deux fois, il avait trouvé la solution de problèmes auxquels la police officielle n’avait rien compris. Et à Nevers, à une erreur près, il avait reconstitué, par ses seuls moyens, une affaire particulièrement compliquée.

Mais, cette fois, il avait bel et bien reçu de l’argent. Et, comme le chèque de cinq mille francs tombait à pic, il n’avait nulle envie de le rendre.

Que faire, pourtant, si c’était Anna qui avait raison et si ce M. Marbe était un fou, ou en tout cas un original ?

— Titin !… Je te présente un vieil ami… – clin d’œil à Dollent – un vieil ami que j’ai rencontré jadis et qui vient passer quelques jours avec moi… Pour bavarder… Parce que nous sommes de bons copains…

Nouveau clin d’œil qui signifiait : « Vous voyez ! Je garde votre incognito ! Ce n’est pas la peine que tout le pays sache ce que vous êtes venu faire…»

— Des anchois, Titin !… Et des olives !… Et une bouteille de cassis bien frais…

À croire que c’était une fatalité. Chaque fois que le Petit Docteur commençait une enquête, il était forcé de boire, pour une raison ou pour une autre. Et, cette fois, il s’agissait d’un vin qui n’avait l’air de rien au moment où on l’avalait, mais dont on ne manquait pas de sentir la chaleur sous le crâne quelques minutes après.

— Venez… Ma sœur n’est sûrement pas levée, mais cela ne fait rien… Nous bavarderons en attendant le déjeuner… Il ne faut pas faire attention à ma tenue… J’ai eu tellement chaud toute ma vie, dans les différentes colonies, que je ne me sens à mon aise qu’en pyjama…

La maison ressemblait exactement à l’homme ! Une heure après, le Petit Docteur en avait fait le tour. C’était une villa comme il y en a tant sur la Côte d’Azur, où l’on aurait pu retrouver des échantillons de tous les styles, y compris une vague esquisse de minaret et une cour intérieure, avec jet d’eau, comme en Afrique du Nord.

Confort : zéro !

Il y avait bien une salle de bains, mais la baignoire était pleine de cartons à chapeau et d’objets de toutes sortes, tandis que le chauffe-bain, de toute évidence, ne marchait plus depuis longtemps.

La salle à manger était humide. Le papier de tenture se décollait. Les meubles étaient tellement disparates qu’on avait plutôt l’impression de pénétrer dans une salle des ventes que dans une habitation particulière.

— Un jour, affirmait le bonhomme Marbe, je classerai tout cela… Pensez qu’il y a ici un véritable musée !… Des objets que j’ai rapportés de partout… J’ai débuté à Madagascar… Vous avez dû reconnaître des armes de là-bas, dans le hall du premier étage…

« Ensuite l’Indochine… Vous avez vu mes kriss gravés ?… Certaines pièces sont rarissimes…

« Un peu d’Afrique du Nord, comme tout le monde… Puis les Hébrides et Tahiti…

On comprenait, après avoir vu ce bric-à-brac, qui laissait à peine la place pour passer, qu’il préférât aller prendre ses repas au bistrot d’à côté…

— Ce sont des souvenirs auxquels je tiens… Quand je mourrai, je les léguerai au musée colonial…

Dans un grenier, parmi des souvenirs indigènes, le Petit Docteur avait remarqué des jouets d’enfant.

— Vous avez été marié ? Questionna-t-il en allumant une cigarette pour chasser l’odeur de toutes ces vieilleries…

— Chut !… À Tahiti… avec la fille d’un chef de district… Elle est morte, mais j’ai ramené mon fils… En ce moment, il est professeur de natation à Nice… Je ne vous ai pas encore parlé du véritable objet de votre visite… Venez par ici, que personne ne puisse nous entendre, car je me méfie même d’Héloïse…

— Héloïse ?

— Ma sœur… Elle vit avec moi… Elle est veuve, sans enfants… Pendant que je voyageais, elle était, elle, la femme d’un chef de gare dans le centre de la France… Maintenant, elle habite ici… Elle est très fatiguée…

« Venez dans mon bureau…

Et le bureau était encore plus encombré que le reste de la maison.

— Figurez-vous qu’il y a quatre ans, que…

Ce fut peut-être parce qu’on le payait pour la première fois, que le Petit Docteur décida de payer d’audace et de jouer les vrais détectives.

Avec un calme que le vin de Cassis l’aidait à affecter, il trancha :

— Permettez ! Si vous le voulez bien, c’est moi qui poserai quelques questions…

Il n’avait jamais eu de carnet en poche, hormis son bloc à ordonnances. C’est celui-ci qu’il saisit avec l’assurance d’un policier blanchi sous le harnais.

— Nous disions que vous êtes à la retraite depuis quand ?

— Six ans… Je vais vous expliquer…

— Permettez ! Vous me donnerez ensuite toutes les indications qu’il vous plaira. Vous êtes à la retraite depuis six ans (il écrivit sur son bloc à ordonnances : six ans) et vous êtes venu aussitôt vous installer ici ?…

— Pardon ! Je n’ai pas dit ça… Quand j’ai quitté Tahiti, voilà six ans, je ne savais pas encore où me fixer… Je suis d’abord allé chez ma sœur, qui avait une toute petite maison à Sancerre…

— Vous y êtes resté combien de temps ?

— Deux ans… Je me demandais quel climat me conviendrait… Je n’avais plus l’habitude de l’Europe…

Sur le bloc à ordonnances s’inscrivit la mention : Sancerre : deux ans.

— Ensuite ?

— J’ai acheté ce terrain pour pas très cher…

— Combien ?

— Vingt-deux mille francs… À cette époque, c’était moins cher que maintenant… J’ai fait une affaire…

— Et vous avez fait construire ?

— Une modeste villa, pour ma sœur et pour moi…

— Votre sœur avait de la fortune ?

— Elle touche une pension de mille huit cents francs par mois…