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— Et vous ?

— Trois mille cinq… J’étais administrateur de première classe… J’en arrive aux faits…

— Arrivez !

— Depuis trois mois…

— Mais avant ces trois derniers mois ?

— Rien… Nous avons vécu gentiment ici, ma sœur et moi… Une femme de ménage vient tous les matins… Je fais apporter la plupart des repas de chez Titin, en voisin… Je joue à la belote avec les gens d’ici… Je me promène…

— Et votre sœur ?

— Elle dort… Elle coud… Elle brode… Elle s’installe dans le jardin…

— Bon ! Depuis trois mois ?…

— Il y a des pas, la nuit, deux fois par semaine, dans la maison !

— Et vous n’avez jamais vu personne ?

— J’ai essayé. Je me suis relevé. Je me suis précipité avec une torche électrique, mais je suis toujours arrivé trop tard. Si j’étais seul à avoir entendu ces pas…

— Votre sœur… Rappelez-moi son prénom ?

— Héloïse… C’est un peu vieillot, mais…

— Elle les a entendus ?

— Tout comme moi… Surtout dans le grenier… D’ailleurs, on retrouve ensuite tous les objets bouleversés, la plupart du temps à des places différentes…

— Il n’y a que votre sœur Héloïse et vous qui couchiez dans la villa ?

— Absolument personne d’autre !

— Les portes en sont fermées chaque soir ?

— Et les persiennes… C’est ce que je disais à mon ami le procureur… Écoutez, docteur Dollent… Je ne suis pas un homme crédule, mais je suis un homme qui commence à être terrifié… J’ai vécu dans les cinq parties du monde… J’ai connu les indigènes de chacune d’elles, ainsi que leurs croyances… J’ai été appelé à m’occuper de certains cas de sorcellerie, au Gabon, entre autres… C’est vous dire qu’on ne m’impressionne pas facilement…

« Un petit verre de quelque chose ?… Non ?… Sans façon ?…

« Je continue… On ne m’impressionne pas facilement… Et les Anglais m’ont toujours fait rire avec leurs fantômes…

« Cependant, il y a un détail qu’il faut que je vous confie, puisque vous êtes appelé à découvrir la vérité…

« Il va vite, le frère ! » pensa le Petit Docteur.

— Lorsque j’étais administrateur d’un district de Tahiti, j’ai fait édifier une maison en bois sur un terrain que les indigènes considèrent comme sacré… En effet, on y voyait encore la pierre qui servait jadis aux sacrifices humains…

« Je me moquais de leurs croyances comme je me suis moqué de celles des nègres d’Afrique ou des îles Salomon, ou encore de celles des Moïs…

« Tu verras, me disaient-ils (car là-bas ils tutoient tout le monde), les Tou-Papaou se vengeront…

« Ce qu’ils appellent les Tou-Papaou, docteur, ce sont leurs démons…

— Ils vous ont attiré des ennuis ? Questionna le Petit Docteur avec flegme.

— Là-bas, non… Mais depuis trois mois… Ne riez pas de moi… Je n’affirme rien… Encore une fois, je ne suis pas crédule… Je suis prêt à admettre que les événements qui m’ont fait vous appeler n’ont que des causes naturelles… Cependant, je ne peux pas m’empêcher, quand j’entends ces bruits la nuit, de penser aux menaces que me faisaient les indigènes…

« Qui aurait intérêt à venir se promener vers les trois heures du matin dans une maison comme celle-ci ? » Jamais rien n’a été emporté !

« Il ne s’agit donc pas d’un voleur !…

« Il ne s’agit pas non plus d’un assassin, car il n’aurait eu aucune peine à nous tuer, ma sœur ou moi…

« Que faire, dans la maison d’un pauvre retraité, pendant des semaines et des semaines ?…

— Pardon ! interrompit Dollent. Vous m’avez parlé de la police locale. Elle est venue ?

— Pendant une semaine. Des hommes ont monté la garde…

— Le résultat ?

— Néant ! Le visiteur nocturne n’est pas venu. Si bien que c’est moi qu’ils ont pris pour un fou… Mais j’aperçois ma sœur qui vient de descendre et qui nous attend… Elle est au courant des raisons de votre présence ici… Évitez seulement de l’affoler… Pour elle, ce sont bien les Tou-Papaou qui viennent me tourmenter et qui…

Une femme de cinquante à cinquante-cinq ans, grasse et placide, plus que placide, littéralement engourdie par le bon soleil du Midi.

— Je m’excuse d’être une mauvaise maîtresse de maison, docteur, mais il fait si chaud dans ce pays !… Vous prendrez bien un petit apéritif ?… Mais si !… Je les ai servis sur la terrasse, à l’ombre du figuier…

Il comprit pourquoi elle était aussi endormie. Elle buvait son apéritif comme quelqu’un qui en a l’habitude et elle se servait à nouveau, en resservant les autres.

— Mais si ! Cela n’a jamais fait de mal à personne… Du moment qu’on n’a rien à faire…

Le Petit Docteur était tout pointu, tout crispé par ses pensées, et il devait lutter contre l’engourdissement que lui donnait le soleil du Midi.

— Votre fils, monsieur Marbe… Vous le voyez souvent ?

— Il vient de temps en temps, quand il a besoin d’argent… Surtout, il ne faut pas vous faire d’idées fausses à son sujet… Les Tahitiens sont des gens comme nous… Sa mère était aussi claire de peau que ma sœur… Quant à lui, on ne peut le reconnaître des autres habitants de la Côte d’Azur, si ce n’est qu’il est plus beau…

— Pendant que vous étiez à Sancerre chez votre sœur…

— Il était au lycée, à Cannes…

— Encore une question… Le fantôme, si je puis l’appeler ainsi, a-t-il des jours de prédilection ?…

— C’est-à-dire… Au début, je ne m’en étais pas aperçu… Vous savez que, quand on est à la retraite, on vit sans s’occuper des dates et des jours de la semaine. Pourtant, j’ai fini par m’apercevoir que c’était le mercredi et le samedi que ses visites avaient lieu…

— Toujours ?

— Je crois… N’est-ce pas, Héloïse ?

— Je crois aussi… Je me demande si les fantômes connaissent les dates…

— Quel jour sommes-nous ?

— Samedi…

— Nous avons donc des chances d’avoir sa visite aujourd’hui ? J’espère, monsieur Marbe, que vous n’avez parlé de mon arrivée à personne ?

— Personne !

— Même pas à votre fils ?

— Il y a dix ou douze jours que je ne l’ai pas vu ! Vous avez entendu ce que j’ai dit à Titin… Je vous ai donné pour un vieux camarade… Vous m’excuserez… Mais il m’est difficile de ne pas penser que si le fantôme, comme vous dites, n’est pas venu quand la police était ici, c’est qu’il était prévenu d’une façon ou d’une autre… La police du Midi est particulièrement bavarde…

Là-dessus, M. Marbe s’interrompit :

— Que diriez-vous d’une bonne bouillabaisse que, nous mangerions chez Titin ?

— Je ne refuse pas…

— Vous êtes armé ?

— Pour aller chez Titin ? s’étonna candidement le Petit Docteur.

— Non ! Pour cette nuit… Car je suppose que nous allons monter la garde cette nuit afin de surprendre mon… notre… Enfin l’individu qui…

— Vous me jurez qu’on ne vous a jamais rien volé ?

— Je le jure !

— Vous vous en seriez aperçu, malgré le désordre de la maison ?

— Je m’en apercevrais si on me volait seulement une flèche nègre. Vous parlez de désordre, mais vous ne vous rendez pas compte qu’il n’est qu’apparent, que je sais où chaque objet se trouve…

— Vous n’avez jamais reçu de lettre de menaces ?

— Jamais…

Y avait-il eu vraiment hésitation ? Le Petit Docteur n’aurait pas osé le jurer.

— En somme, pour résumer tout ce que vous m’avez appris, vous étiez heureux, votre sœur Héloïse et vous…

« Depuis quatre ans vous viviez dans cette villa… Vous n’aviez aucun ennemi… Vous jouiez à la belote… Votre fils, que vous avez eu à Tahiti, donnait des leçons de natation à Nice…