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Celui-ci esquissa un sourire triste.

— Vous comprenez, docteur ? dit-il. Il trouve tout naturel de venir me prendre des objets qui sont des souvenirs de son enfance et de sa pauvre mère…

— Fais pas le sentimental ! Trancha le jeune homme. Alors, c’est non ?

— Prends tout ce que tu voudras… soupira le vieillard, résigné.

— J’ai amené la bagnole d’un copain… Ce sera vite fait. Et, sans le moindre remords, il s’élança dans la maison, où on l’entendit grimper au premier étage…

— C’est un bon garçon ! soupira le père. Mais il est impulsif. Il a le cœur sur la main. Parce qu’il a promis à un ami…

— Si nous allions voir ?

— Quoi ?

— Les jouets qu’il emporte…

— Si vous y tenez !…

Quelques instants plus tard, ils trouvaient Claude pataugeant dans la poussière du plus grand des deux greniers. M. Marbe avait vraiment été un père généreux. Mêlés aux objets indigènes de tous les pays tropicaux (il y avait même un immense crocodile empaillé !) on distinguait deux ou trois chevaux de bois de tailles différentes, un vélo à trois roues, des soldats de plomb.

— Tu emportes tout ? Questionna le père en regardant ailleurs.

Et à ce moment, le Petit Docteur ne fut pas loin de se laisser gagner par une certaine émotion.

Chose étrange, il sentit chez le jeune homme une hésitation. Son regard chercha les yeux de son père. Que se passait-il donc entre eux deux ? Et pourquoi Marbe regardait-il plus obstinément encore dans l’autre coin de la pièce ?

— Tout, oui !

— Comme tu voudras…

Claude faisait un pas sur le palier. Il ramassait jusqu’à des menus objets sans valeur, de ces pantins qu’on vend pour quelques sous, une flûte en celluloïd, un tambour dont la peau était crevée, un revolver Eureka.

Pourtant, il ne paraissait pas satisfait. Il enjambait des caisses, des sacs, des boucliers et des tas de flèches. Il cherchait quelque chose. Son front se plissait. De temps en temps, il lançait à son père un coup d’œil méfiant.

— Tu n’en as pas encore assez ? s’efforça de plaisanter M. Marbe. Tu crois que le fils de ton copain, comme tu dis, ne pourra pas s’amuser avec ça ?

— Je cherchais…

Il hésita. Le Petit Docteur sentit qu’on en était arrivé au point sensible.

— Qu’est-ce que tu cherchais ?

— Une trompette en bois… Tu ne dois pas t’en souvenir. Une trompette avec des lignes bleues et rouges et un gland de soie rouge…

— Je ne me souviens pas…

— C’est drôle !

— Pourquoi ?

— Il me semble que je l’avais vue…

— Tu crois que le fils de ton ami a vraiment besoin de…

— Ce n’est pas cela… Mais je me souviens de cette trompette parce que c’était mon jouet préféré… J’aurais aimé la retrouver…

— Cherche !

Le regard de M. Marbe au Petit Docteur semblait dire : « Et voilà les enfants ! On a tout fait pour eux ! Un beau jour, ils viennent avec des exigences, presque des injures à la bouche ! Ils emportent tous les souvenirs pour les donner à un inconnu. Tant pis si leur père en a le cœur qui saigne…»

Et cela aurait été très émouvant si Dollent n’avait pas senti là-dessous quelque chose qui grinçait. Quoi ? Il n’aurait pu le préciser.

C’était comme si, sous les mots qui se prononçaient, d’autres mots – les seuls importants – eussent été sous-entendus. Il avait l’impression nette que sous la comédie, voire sous le vaudeville, c’était un drame qui se jouait, mais un drame dont il ne possédait pas la clé.

— Tu la trouves ?

— Non !

Et le jeune homme avait un dur regard pour son père.

— Tu veux fouiller la maison ?

Or Claude ne disait ni oui, ni non ! On pouvait croire qu’il allait le faire, que pour une trompette en bois qui devait bien valoir trois francs ou cent sous, il allait bouleverser les collections d’objets indigènes que l’ancien administrateur avait mis toute sa vie à amasser.

La note presque comique fut donnée par Héloïse. À son regard, quand elle surgit, essoufflée d’avoir monté les marches, le Petit Docteur conclut qu’elle venait de s’offrir une forte rasade.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? s’étonna-t-elle.

— Claude emporte ses anciens jouets pour les donner à un ami !

— Bon débarras !

— Il tient à ne rien oublier…

— Qu’il prenne donc tout ce qu’il y a dans la maison. On pourra, après ça, faire le ménage… Qu’est-ce que tu cherches, Claude ?…

— Une trompette en bois…

— Avec des lignes bleues et rouges et un gros pompon rouge ?

— Oui…

— Elle est dans la garde-robe de ton père… Je l’y ai encore vue l’autre jour… Même que je me suis demandé pourquoi il serrait précieusement un objet de quatre sous avec ses vêtements et son linge…

M. Marbe ne bougea pas. Il était devenu plus pâle que d’habitude. Des gouttes de sueur perlaient à son front.

— C’est vrai ? Questionnait Claude en le regardant.

— Si ta tante le dit… Je ne sais pas… C’est possible que cette trompette ait été rangée là par hasard… Vous m’embêtez, à la fin, avec ces histoires de jouets, alors que j’ai d’autres soucis…

Il s’emportait, pour la première fois. Sa colère montait, mieux, sa rage.

— Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on choisisse le moment où j’ai un ami dans la maison pour m’assommer avec ces histoires de jouets, et je me demande si je ne ferais pas mieux de…

— Où est cette armoire, tante ? demandait calmement le jeune homme.

— Dans sa chambre.

Sans s’inquiéter de l’état de son père, il descendit un étage. M. Marbe le suivit. Le Petit Docteur suivit à son tour et Héloïse ferma la marche.

— Je m’étais toujours demandé ce que cette trompette… murmurait-elle.

La porte de la chambre était ouverte. M. Marbe ouvrait la garde-robe…

— Cherche… Prends-la si tu la trouves…

Et il ricanait douloureusement comme un homme blessé dans ses sentiments les plus chers.

Claude était déjà trop loin pour reculer. Il fouillait parmi les vêtements et les piles de linge, glissait la main derrière un rang de chaussures et d’espadrilles.

Alors, il y eut un moment où la scène aurait dû atteindre au plus haut comique. C’est quand, dans cette atmosphère tendue, le jeune homme brandit soudain un objet dont la disproportion avec l’ambiance qui l’entourait était par trop flagrante : une trompette en bois comme on en vend dans tous les bazars, au bariolage si naïf que le Petit Docteur faillit éclater de rire.

Il se contint. Il jeta un coup d’œil vers son hôte et il vit deux grosses larmes couler des yeux de M. Marbe.

— Il y a un tel désordre dans la maison… balbutiait celui-ci d’une voix trouble, en détournant la tête.

III

Où le Petit Docteur n’attend plus rien des visites nocturnes et où il fait appel, comme collaborateur, à un inspecteur du travail.

— Ne faites pas attention à mon émotion, docteur… Si vous étiez père, vous me comprendriez… Remarquez que je ne lui en veux pas…

Ils étaient tous les deux sur la pergola. Claude entassait hâtivement les jouets dans sa voiture.

— Ce soir, nous monterons la garde et…

— Si je suis rentré ! Rectifia Jean Dollent.

— Comment ? Vous partez ?