— Pouvez-vous me dire si M. Claude Marbe est rentré ?
L’Hôtel Albion était un hôtel assez neuf, de second ordre, évidemment fréquenté par des employés de casino, des danseurs mondains et des petites femmes.
— Il est rentré il y a une demi-heure. Il a même monté un certain nombre de paquets. Mais je ne sais pas s’il est ressorti… Allô !… Le cinquante-sept !… Allô !… Vous dites ?… Le cinquante-sept ne répond pas ?… Merci.
Le portier grommela entre ses dents :
— Pourtant, je ne l’ai pas vu partir…
— Quel est le numéro de chambre de Pierrot des Iles ?
— Le trente-deux… Vous voulez que je téléphone pour savoir si…
— Ce n’est pas la peine… J’ai rendez-vous…
Le Petit Docteur s’élança dans l’escalier. Comme il approchait du trente-deux, il surprit des éclats de voix, mais il était impossible de distinguer les paroles et il préféra frapper à la porte.
Celle-ci s’entrouvrit prudemment. Un homme, que le docteur ne connaissait pas, le dévisagea et grogna :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
Au même moment, Dollent distingua une autre silhouette, celle de Claude. Claude le reconnut, s’étonna, murmura :
— Laisse entrer…
Puis, méfiant :
— Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici ?
Ouf ! Le plus dur était passé ! Maintenant, il était dans la place. Et, du moment que les deux hommes étaient là, il était sûr de ne pas se tromper. Mais que savait-il, en somme ? Rien, presque rien !
Il savait, pour être précis, que depuis trois mois, Pierrot des Iles cherchait une trompette dans la villa de M. Marbe et ne l’avait pas trouvée.
Il savait qu’en désespoir de cause, il s’était adressé à Claude Marbe en lui offrant sans doute une forte somme s’il parvenait à s’emparer de la trompette en question.
Il savait que la trompette était passée par Tahiti.
M. Marbe avait vécu à Tahiti…
Pierrot des Iles avait vécu à Tahiti avant de…
Une chambre banale, avec un étroit cabinet de toilette. Les jouets étaient là, pêle-mêle dans les coins, et un cheval avait eu la tête brisée en cours de route. Quant à la trompette, elle se trouvait sur le lit.
— J’attends que vous vous expliquiez, murmura Pierrot d’une voix sans tendresse.
— Voilà… Je suis venu vous prévenir… Il vaut mieux que vous n’alliez pas cette nuit dans la villa de M. Marbe. Il est vrai que vous n’en aviez sans doute pas l’intention, puisque vous êtes enfin en possession de la trompette…
Pierrot l’examinait avec de petits yeux inquisiteurs. C’était un homme que rien n’étonnait et qui ne se laissait pas facilement impressionner…
— Dis donc, Claude ! grogna-t-il, hargneux. C’est toi qui me mets ce coco-là dans les pattes ?
— Je te jure que je l’ai semé à Antibes… Et je me demande comment il a pu…
— Je vous expliquerai tout cela, mes enfants, crâna le Petit Docteur. Vous êtes furieux, hein ? La trompette ne vous a pas apporté ce que vous escomptiez ?…
— Vous n’appartiendriez pas à la police, par hasard ?
— Moi ?… Jamais de la vie !… Je suis médecin… Et ce que je cherche, en ce moment, c’est la raison pour laquelle M. Marbe, qui est un homme paisible et craintif, tenait absolument à tuer son visiteur nocturne qui ne lui faisait pourtant aucun mal et ne lui volait rien…
Les deux hommes furent aussi étonnés l’un que l’autre, mais le plus étonné était Claude, qui regardait son compagnon dans l’espoir d’une explication.
— Vous dites, questionnait Pierrot, qu’il voulait…
— Bah ! Il s’entraînait à tirer au revolver dans l’obscurité… Ensuite, comme s’il craignait malgré tout d’être accusé d’assassinat, il s’était assuré de ma présence… Je lui aurais servi de paravent… J’aurais juré qu’il n’aurait tiré qu’en état de légitime défense…
— Le salaud !…
— Tout à fait de votre avis… Mais dites donc… La trompette…
— Vous, docteur, vous m’avez tout l’air d’en savoir trop et pas assez… Hein ?… Est-ce que j’ai raison ?… Vous comprenez qu’après avoir bourlingué comme je l’ai fait, je commence à connaître la chansonnette… Et vous ne me ficherez pas la paix que vous n’ayez tout compris… Or, je déteste qu’on fourre son nez dans mes affaires… Quant à Claude, il en sait encore moins que vous… Je lui avais offert seulement dix grands formats s’il m’apportait tous les jouets qu’il y avait dans la maison de son père, y compris une trompette en bois…
Pierrot des Iles haussa les épaules.
— Maintenant, c’est trop tard ! Mais il faudra bien que le cochon en raque une bonne partie, sinon… C’est trop facile de jouer les honnêtes gens et de profiter du travail des autres, qui paient par des années de dur…
« Tenez, docteur, puisqu’il paraît que vous êtes docteur, je suis dégoûté… Oui, dégoûté !… Et si le Marbe était ici…
Je te demande pardon, Claude, mais le coup que m’a joué ton saligaud de père…
« Autant maintenant que je vous affranchisse… C’était à Tahiti… Je bricolais… J’attendais les étrangers de passage… J’avais un canot automobile avec lequel j’emmenais les amateurs faire la pêche aux requins…
« Un jour, j’en embarque un… Un Yankee… En chemin, je ne sais plus pourquoi, il ouvre son portefeuille et j’aperçois quoi ? Quatre billets de dix mille dollars…
« Vous devez savoir que les Américains, qui sont riches à en crever, tirent des billets de n’importe quelle valeur : dix mille, cinquante mille, cent mille dollars… Il suffit de les demander à la banque…
« Mon type, qui faisait le tour du monde, m’explique que c’est moins volumineux à emporter…
« Bref…
Il y eut, dans la petite chambre, un silence assez gênant, et Claude, comme le docteur, eut une respiration difficile.
— Bref, il a été emporté par un requin… Cela ne nous regarde plus… Cela m’a coûté assez cher… Quinze ans de dur !… De bagne, si vous préférez, parce que ces messieurs n’ont pas cru à l’histoire du requin…
« Seulement, pour ce qui était des billets…
« J’allais parfois chez Marbe, qui était un assez bon type et qui avait un gosse… J’y étais ce jour-là quand j’ai appris qu’on allait me chercher des puces à cause du Yankee. J’avais les billets dans ma poche…
« Pas si bête !… J’attrape une trompette de bois qui traînait par terre et j’y enfonce mes quatre billets pliés fin…
« Pensez qu’au cours d’aujourd’hui, cela me fait dans les environs du million et demi de francs…
« Quinze ans de dur… Comme de juste, on en sort sans un… Je me dis : « Il faut que je retrouve Marbe… Il faut que je remette la main sur ma trompette…»
« Et voilà qu’il y a trois mois, j’apprends qu’il a fait construire à Golfe-Juan une villa qui est un vrai bric-à-brac…
« Je m’embauche au Casino… Deux fois par semaine, je…
— Je sais ! Trancha le Petit Docteur. Vous n’avez pas trouvé la trompette…
— Et j’ai chargé son fils…
— Je sais aussi…
— Le saligaud avait déjà…
— Je peux même vous dire la date ! C’est deux ans environ après être rentré en France, et alors qu’il vivait à Sancerre, avec sa sœur, qu’il a trouvé les billets dans la trompette… Que faire ?… A-t-il deviné tout de suite que…
— Parbleu ! Les autorités ont assez cherché les billets, à Tahiti, et des billets comme ceux-là… Mais il savait que j’étais au bagne… Il en a profité… Il a fait construire une villa… Il a dû planquer le reste dans les banques… Puis, quand il a appris par les journaux que j’étais libéré… Quand il a commencé à entendre du bruit, la nuit… Faut vous dire que j’étais bête. Je n’imaginais pas qu’il avait découvert la cachette… Je croyais qu’un administrateur en retraite peut se payer une villa comme la sienne…