Martine entra, vêtue de clair, la mine joyeuse, et s’écria :
— Tiens !… Dollent !… Comment allez-vous, ami ? Puis, tournée vers son oncle :
— Vous ne m’aviez jamais dit que vous connaissiez mon camarade Dollent !… Nous nous sommes rencontrés souvent chez des amis, lui et moi… Nous avons joué au bridge et au tennis ensemble… Alors, docteur, vous êtes venu me dire bonjour en passant ?… J’espère que vous resterez à déjeuner avec nous ?
— Martine !
Toujours ce calme qui donnait à Vauquelin-Radot vraiment de l’allure.
— Je vous serais obligé de rentrer dans votre chambre… Le docteur désire se retirer…
Elle perdit contenance, elle aussi, ce qui vengea un peu le Petit Docteur. Puis, au moment de sortir, elle le regarda avec l’air de dire : « Pourquoi ne m’avez-vous pas écoutée ?… Vous voyez à quoi cela vous a servi…»
Mais Dollent n’était pas au bout de ses peines. La jeune fille avait à peine disparu que Vauquelin-Radot laissait tomber :
— Vous habitez Marsilly, n’est-ce pas ?… Je me demandais ce que ma nièce était allée faire là-bas hier… Des amis ont reconnu ma voiture dans le village… Maintenant, je suis renseigné… Et c’est avec d’autant plus d’insistance que je vous prie de quitter cette maison. J’ignore ce que Martine vous a raconté… Je ne vous le demande pas et je ne désire pas le savoir… Je vous salue, monsieur !
Là-dessus, il pressa un timbre électrique dont on entendit la sonnerie quelque part dans la maison. Au même moment, la cloche de la grille résonnait. Le maître d’hôtel alla ouvrir avant de répondre à l’appel du timbre…
Des pas, des voix dans le hall. Les visiteurs devaient être des visiteurs de marque, puisque le larbin les laissait entrer du premier coup dans la maison La porte s’ouvrit.
— M. le juge d’instruction demande si Monsieur peut le recevoir…
— Faites entrer…
Dollent ne savait pas quel était le juge chargé de l’affaire. Il eut une lueur d’espoir et il ne fut pas déçu. Comme il se dirigeait vers la porte, il rencontra un grand garçon qui s’écria en le reconnaissant :
— Dollent !… Qu’est-ce que vous faites ici ?… J’aurais dû me douter que cette affaire vous passionnerait…
Un silence gêné. Derrière le juge, que Dollent connaissait depuis longtemps, venaient un greffier et un inspecteur de Rochefort.
— Je suis obligé de vous déranger encore une fois, monsieur Vauquelin-Radot, pour mettre au point certains détails… Je vois que vous connaissez mon ami Dollent… Vous avez donc entendu parler de son flair extraordinaire et je suppose…
— M. Dollent a forcé ma porte et je l’ai prié de bien vouloir se retirer ! Énonça froidement le maître de la maison.
La gêne devint générale. Le juge croyait devoir insister, malgré le coup d’œil de son camarade :
— C’eût pourtant été, pour l’enquête, un auxiliaire précieux et je me demande si, dans ces conditions…
— Je regrette, monsieur le juge. Un inconnu a été trouvé mort dans mon jardin et la loi ne me permet pas de vous refuser l’accès de ma maison, ni de vous empêcher de questionner mes domestiques et de m’interroger moi-même… Charbonnier, selon la vieille tradition française, n’en est pas moins maître chez soi, et je vais être forcé, si ce monsieur s’obstine, de le faire jeter dehors par mes gens…
Ce fut l’instant le plus désagréable de la vie du Petit Docteur. Il sentit son sang affluer à son visage, puis refluer vers son cœur, le laissant pâle et sans voix.
Il aurait pu… Qu’aurait-il pu faire ? Se précipiter vers cet homme et le gifler ? Mais, non seulement cet homme était chez lui, par conséquent dans son droit, mais encore, comme il avait deux têtes de plus que Dollent, le geste eût été ridicule.
Il sortit. Il se heurta au chambranle de la porte. Et il eut la désagréable surprise de trouver le maître d’hôtel qui devait avoir tout entendu et qui lui tendait ironiquement son chapeau en murmurant :
— Par ici… Si Monsieur veut se donner la peine… Sauter dans sa voiture ? Rentrer à Marsilly ? Essayer d’oublier cette humiliante aventure ?
D’abord, Ferblantine était restée en face de l’auberge et, quand il se trouva devant la terrasse, Dollent éprouva le besoin d’entrer pour boire un verre. Il n’en but pas qu’un, mais trois. Et, dès lors, ses dispositions d’esprit avaient eu le temps de changer. Son œil était devenu dur.
— À nous deux, monsieur Vauquelin-Radot !…
Mais par quel bout poursuivre une enquête dont les intéressés l’excluaient aussi catégoriquement ? Attendre la sortie du juge d’instruction et lui demander les renseignements indispensables ?
— Vous n’avez pas oublié mon fricandeau ?
— Ça mijote, monsieur… D’ici une heure… Vous ne sentez pas ce parfum ?…
Un homme traversait la place, une énorme poche de cuir sur le flanc, une casquette d’uniforme sur la tête. Il traînait les pieds en marchant.
— Louis !… cria-t-il en entrant. Une lettre pour toi… Une lettre et une facture… Dis donc, t’as des parents à Alger ? Tu me garderas le timbre pour la collection du gamin ?…
Le Petit Docteur, qui était abîmé dans ses réflexions, leva la tête, regarda le facteur rural aux longues moustaches rousses et l’expression d’hébétude disparut de son visage, ses prunelles se rétrécirent, son regard devint aigu, aigu.
— Qu’est-ce que vous prenez, facteur ?… J’en ai assez de boire tout seul…
III
De l’utilité des collections de timbres-poste et de l’avantage des vieilles filles dans l’Administration des PTT
— Ce n’est pas que je m’ennuie ici, mais il est temps que je m’en aille…
« Faut vous dire que j’ai comme qui dirait deux villages à servir, vu que Dion comporte un hameau à deux kilomètres…
— J’y vais justement ! lança le Petit Docteur à tout hasard.
— Vous allez à Morillon ? Chez qui ? Comme il n’y a que quatre maisons…
— Je vais visiter le pays, en touriste… Si vous voulez que je vous embarque dans ma voiture ?…
— C’est qu’il faudra vous arrêter quelques fois en route, à cause de la tournée…
Et c’est ainsi que Ferblantine remplit ce matin-là une tâche officielle en transportant le courrier de Dion à Morillon.
— Elle est jolie, la collection de votre fils ?
— Heu… Ça commence à aller… Vous comprenez, nous, on est un peu à la source… Quand je vois un timbre étranger sur une lettre, je demande aux gens de me le donner… Je connais tout le monde… C’est rare qu’on me refuse, sauf le boulanger, qui fait collection aussi…
— Sans compter que le château doit recevoir beaucoup de correspondance…
— Beaucoup !… À eux seuls, les Vauquelin-Radot nous donnent autant de travail que tout le bourg réuni…
Sur les quatre maisons de Morillon, il y avait une épicerie-buvette et le Petit Docteur éprouva le besoin de se désaltérer ainsi que son compagnon.
— Vous voyez qu’il n’y a pas grand-chose à visiter… Maintenant, faut que je rentre…
— Je vais vous reconduire… Il n’y a pas grand-chose à visiter, comme vous dites… Par contre, cela m’amuserait de regarder la collection de votre fils… Je suis philatéliste, moi aussi… Peut-être pourrions-nous faire des échanges avec les timbres que nous avons en double ?…
À midi, il était chez le facteur où la femme attendait pour servir le déjeuner.
— Un coup de blanc ?… Tenez !… Voici l’album… Tout n’est pas encore classé…
L’instant d’après, Dollent avait déjà repéré cinq timbres de Dakar.