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Pourquoi Lydia s’était-elle rhabillée, puisqu’on l’avait retrouvée entièrement vêtue ?

Si quelqu’un était entré dans la chambre pour la tuer, quel but poursuivait-il et pourquoi n’avait-il pas emporté le portefeuille qui, tombé sur le plancher, devait être très visible ?

Le Petit Docteur était arrivé sur les grands boulevards et il regarda avec admiration l’immense façade du Grand-Hôtel, hésita, franchit la porte tournante et se trouva dans le hall tout grouillant.

S’adresser au portier ? Pour demander quoi ? Des renseignements sur Van der Donck ? Il aperçut, à gauche du hall, un somptueux bar américain, et cette vue lui donna soif. L’instant d’après, hissé sur un haut tabouret, il commandait un cocktail et s’abîmait dans ses réflexions.

— M. Dollent !… On demande M. Jean Dollent au téléphone…

Un chasseur allait partout, répétant son appel, et le Petit Docteur fut un bon moment sans s’aviser que c’était à lui qu’on en voulait. Comment pouvait-on savoir qu’il était là ?

— Monsieur Dollent… La cabine 7, au sous-sol… à droite…

— Allô !… C’est vous, docteur ?… Ici, Lucas… Je vous demande pardon de vous interrompre dans votre enquête…

Dallent faillit lui répondre par une grossièreté, tant il se sentait mal parti.

— Je voulais vous signaler honnêtement que j’ai dans mon bureau un garçon assez intéressant… La photographie de Lydia avait à peine paru dans les journaux qu’il accourait… Voulez-vous sauter dans un taxi ?…

Cinq minutes plus tard, le Petit Docteur était au quai des Orfèvres. Dans le bureau de Lucas, il trouvait un grand jeune homme maigre, pâle, aux yeux fiévreux, aux doigts crispés…

— Entrez, docteur… Je vous présente René Fabry, employé de banque à Bruxelles… Vingt-deux ans, n’est-ce pas… monsieur Fabry ?

— Vingt et un… Lydia et moi…

Sa lèvre inférieure se soulevait, sa pomme d’Adam bougeait et il avait toutes les peines du monde à retenir ses sanglots.

— Voici… expliquait Lucas pour gagner du temps, M. Fabry était depuis près de deux mois l’amant de Lydia…

— Nous nous aimions ! Rectifia le jeune homme, les prunelles en feu.

— C’est cela ! reprit Lucas sans ironie apparente. Ils s’aimaient. Il paraît que Lydia n’était pas du tout la femme que l’on pourrait croire. C’était une jeune fille trop sérieuse, de bonne famille, qui n’acceptait de danser dans les cabarets que pour gagner sa vie…

— Son père était officier en Hongrie ! Intervint le jeune homme.

— Vous voyez, docteur ! Bien entendu, M. Fabry et Lydia ne vivaient pas ensemble. M. Fabry habite avec ses parents. Mais ils se voyaient fréquemment l’après-midi… Le soir, M. Fabry allait au Pingouin, mais il lui était impossible d’attendre sa compagne jusqu’à quatre heures du matin, à cause de son travail…

— Je savais qu’elle rentrait directement chez elle… Deux fois je l’ai suivie…

— Dites-nous maintenant comment vous avez découvert la disparition de Lydia…

— Je suis allé chez elle hier après-midi… Elle avait un appartement meublé dans le quartier de la Bourse… Sa logeuse m’a dit qu’elle venait de sortir avec une valise et qu’elle avait pris un taxi… La logeuse avait entendu ordonner :

« — À la gare du Midi…

« Or, pour où s’embarquerait-on, à la gare du Midi, si ce n’est pour Paris ?

« J’ai passé des heures atroces. Je n’ai pas dîné. Puis j’ai décidé de partir à mon tour. J’ai laissé un mot à mes parents. J’ai adressé une lettre à la banque, m’excusant de prendre ainsi mes vacances sans avertir… J’ai pris le train de minuit et je suis arrivé ce matin un peu avant sept heures à la Gare du Nord…

Voilant toujours à merveille son ironie, le commissaire dit au Petit Docteur :

— M. Fabry comptait retrouver sa maîtresse à Paris… Il n’avait pas son adresse… Il n’était pas même certain qu’elle y fût…

— Je l’aurais retrouvée ! proclama orgueilleusement le jeune homme. Je suis sûr que, si on ne me l’avait pas tuée…

— Vous n’avez donc jamais entendu parler d’un M. Van der Donck ?

— Jamais.

— Jamais non plus Lydia n’a fait allusion devant vous à un Hollandais ?

— Elle ne s’occupait pas des hommes. Une fois hors du Pingouin, où elle était bien obligée…

— Évidemment ! Évidemment… Et vous affirmez que ce n’était pas la femme à suivre à l’hôtel un homme qu’elle ne connaissait pas…

— Ça, jamais, et je défends… qu’on…

— Calmez-vous… Nous sommes tout disposés à vous croire, le docteur et moi… Étant donné vos relations avec la victime…

— Je l’aurais épousée… Et si mes parents avaient refusé leur consentement…

— Vous prétendez donc que Lydia aurait été victime d’un complot… C’est bien ce que vous m’avez dit tout à l’heure…

— Je répète qu’il n’y a pas d’autre explication possible… Peut-être s’occupait-elle de politique ?… Peut-être d’espionnage ?…

— Vous n’en savez rien ?

Il rougit, vexé de ne pas savoir.

— Non… Lydia était mystérieuse, comme toutes les Hongroises.

— Voulez-vous être assez aimable pour me dire à quel hôtel vous êtes descendu et où je peux vous toucher ?

— Hôtel de Maubeuge, près de la gare… C’est la première fois que je viens à Paris, et…

— Qu’est-ce que vous en pensez, docteur ?

— Et vous ? répliqua l’autre, bougon.

— La même chose que vous, c’est-à-dire rien encore… Avec une pointe de sarcasme, il ajouta :

— Il est vrai que nous, à la PJ, nous ne pensons heureusement pas beaucoup, n’est-ce pas ?… À propos… Nous avons retrouvé le domicile à Paris de notre jeune fille, que René Fabry n’est pas loin de nous représenter comme une ingénue… Elle est descendue à l’Hôtel Cristal, rue Fontaine, un hôtel, soit dit entre nous, qui est surtout fréquenté par des demoiselles de petite vertu, par des entraîneuses et par des messieurs pas très recommandables… Sa chambre a été fouillé… Dans son nécessaire de toilette, on a retrouvé une somme de dix mille francs en billets belges, ce qui semble écarter l’idée qu’elle ait suivi le premier passant venu pour le petit cadeau habituel…

« À part cela, rien d’anormal… Une malle de robes comme celles que portent ces demoiselles… Des tutus… Des fards… Des cartes postales envoyées par des amies de Stamboul, du Caire, de Tunisie, de Venise et de Cannes…

« Enfin, j’ai téléphoné personnellement à Amsterdam, où M. Van der Donck est très honorablement connu… Il est célibataire… Il voyage beaucoup pour ses affaires et pour son plaisir… On ne l’attend pas là-bas avant plusieurs jours, car c’est l’époque de l’année qu’il consacre à une tournée assez importante en Europe…

« C’est tout, docteur… Vous en savez autant que nous… Je voudrais pouvoir en dire autant…

— Qu’est-ce que cela signifie ? Riposta Dollent, les sourcils froncés.

— Que je voudrais être sûr d’en savoir autant que vous… Étant donné vos précédents exploits, il est impossible que vous n’ayez pas encore une opinion et que, de déduction en déduction…

Allons ! Ce n’était pas la peine de se disputer. C’était le souriant commissaire Lucas, fort de toute la machine policière qu’il sentait derrière lui, qui avait raison. Et le Petit Docteur, venu du fond de sa province, avait tort de vouloir lutter de vitesse et d’ingéniosité avec la police officielle.

— Je vous laisse à votre enquête, docteur… Bonne chance…

Dallent était déjà au fond du couloir et il allait s’engager dans l’escalier quand Lucas courut après lui.

— Psssstttt ! Un mot encore… J’allais oublier le plus important…