« Or la femme qu’il retrouvait morte était tout habillée, les bas bien tirés, et, si elle n’avait plus son chapeau sur la tête, c’est que le coup qu’on y avait assené l’avait fait glisser…
« Pour autant que je connaisse ce genre de femmes, j’aurais cru que Lydia passerait le reste de la nuit dans la chambre…
« J’ai voulu vous demander alors si le lit était vraiment défait, si on y retrouvait la forme de deux corps, mais je ne l’ai pas fait pour ne pas vous mettre la puce à l’oreille…
Un agent montait la garde derrière le guichet, mais Dollent n’en avait cure, et, comme certains prévenus préparent leur défense, il préparait, lui, sa triomphante explication.
— Van der Donck ne s’attendait pas à rencontrer Lydia Nielsen et celle-ci n’était pas à Paris par hasard…
On aurait dit qu’il attendait une objection, mais il n’y avait personne dans son cachot.
— Dès ce moment, j’ai pensé qu’ils n’étaient pas allés à l’Hôtel Beauséjour pour ce qu’ils paraissaient chercher, mais uniquement pour régler en paix leurs comptes… Lydia ne s’est pas dévêtue… Le Hollandais pas davantage… Après quelques minutes de conversation, il a dû frapper, peut-être avec un des chandeliers, peut-être avec un des chenets qu’il y avait dans la pièce…
« Puis, sagement, il a attendu, pour ne pas donner l’éveil au gardien de nuit en restant trop peu de temps…
« Il est parti… Il se croyait tranquille… Il remontait, en effet, vers les Champs-Élysées à pied… Personne ne le soupçonnait de ce crime…
« … Quand, soudain, il s’aperçoit qu’il a laissé dans la chambre son portefeuille !… Celui-ci a dû glisser de sa poche alors qu’il faisait un effort…
« Le laisser là ?… C’est se condamner… Aller le reprendre et repartir ?… C’est plus dangereux encore, car qui sait si l’alerte n’a pas été donnée ?…
« Il vaut mieux, puisqu’il a les apparences d’un honnête homme, et même d’un naïf, jouer les naïfs jusqu’au bout, rentrer dans la chambre, avertir la police, se donner pour un de ces infortunés étrangers pour qui le « Gai Paris » se transforme en source d’ennuis de toutes sortes…
« Mais pourquoi, me direz-vous, assassiner Lydia Nielsen ? Il eut une crampe à l’estomac, une crampe de faim, mais il n’y fit pas attention et il continua son soliloque :
— Je vous répondrai : Parce que Lydia Nielsen savait…
« — Que savait Lydia ?
« — Je l’ignorais, monsieur le commissaire, et c’est pour le découvrir que je suis allé à Bruxelles, où j’ai été assez ironiquement reçu par votre ami, l’inspecteur Snoek, qui, entre parenthèses, ferait bien d’être ici pour m’offrir un de ces « formidables » que je n’ai pas assez appréciés…
La clé tourna dans la serrure. La porte s’ouvrit. L’agent se contenta de grommeler :
— Venez !…
IV
Qui se termine, comme certaines courses de Longchamp ou d’Auteuil, à une demi-tête
— Comment !… C’est vous ?… Gardes !… Retirez les menottes à M. le docteur Dallent…
— Ça va ! grogna celui-ci. Comme si vous ne saviez pas que c’était moi qui étais dans votre cagibi N°2…
Lucas attendit que les gardes fussent sortis.
— J’avoue ! dit-il.
— Dans ce cas, vous feriez bien de me faire monter un verre de bière et un sandwich…
Et, méfiant, comme Lucas téléphonait :
— Vous ne l’avez pas retrouvé, hein ?
— Qui ?
— L’assassin de Van der Donck…
— Retrouvé ?… Pourquoi ?… Nous ne l’avons jamais perdu…
— Mais la nuit dernière, à l’hôpital…
— J’espérais bien qu’il ficherait le camp par la fenêtre… Entrez !… Posez le plateau ici… Merci…
Il y avait quatre demis à la mousse crémeuse et deux épais sandwiches au jambon, dans l’un desquels le Petit Docteur se mit à mordre.
— Quant à vos méthodes, mon cher docteur, si elles donnent des résultats dont j’admire la rapidité, je suis obligé de vous dire qu’elles nous coûteraient cher au cas où nous voudrions les employer… Faux… Usage de faux… Détournement de correspondance… Vol qualifié d’une malle… Et enfin, si on veut pousser les choses jusqu’au bout, tentative de vol et recel de cadavre… Avec ça !…
— N’empêche que je vous ai mis entre les mains, dans les vingt-quatre heures, le cadavre de Van der Donck… Je veux parler du vrai Van der Donck…
— C’est exact… Et peut-être ne l’aurions-nous retrouvé que dans deux ou trois jours… Par contre, nous avons sous les verrous le faux Van der Donck…
Au fond, ils avaient de l’admiration l’un pour l’autre, mais ils croyaient nécessaire de prendre des airs bourrus.
— De quoi êtes-vous parti, docteur ? De raisonnements ! Par exemple, c’est un raisonnement dont j’admire fort la subtilité qui vous a conduit à la chambre 658 du Métropole… Nous, nous y sommes arrivés autrement… J’ai demandé à la police de Bruxelles de me retrouver la trace de Van der Donck…
— Avec les moyens dont vous disposez !
— Le coup de feu de cet idiot d’amoureux transi, je parle de René Fabry, a failli nous entraîner sur une fausse piste… N’empêche que je faisais surveiller notre Hollandais… Et que je me suis dit : « Toi, si tu as quelque chose sur la conscience, tu ne resteras pas longtemps à l’hôpital…»
« Ce qui est arrivé… Un de mes hommes l’attendait dans le jardin de Beaujon… Il l’a suivi jusqu’au Havre, où il ne lui a mis la main au collet que quelques minutes avant le départ du courrier d’Amérique du Sud…
« Maintenant, ce que je me demande, c’est comment, avec le peu que vous saviez, vous, docteur…
Le Petit Docteur s’essuya la bouche, car il venait de dévorer les deux sandwiches et de boire deux des demis. Il louchait vers le troisième, non encore entamé.
— Moi, déclara-t-il, je me mets dans la peau des gens… Et si j’étais M. Van der Donck…
— J’écoute !
— Si j’avais mon appartement retenu pour ainsi dire à l’année dans plusieurs capitales, je ne téléphonerais pas de la gare du Midi, à six heures du matin, pour demander à un portier de faire suivre une malle à Paris… Surtout à la consigne !… Surtout en donnant, pour le reçu, une adresse à la poste restante…
— Pourquoi ne buvez-vous pas ?
— Je croyais que c’était pour vous…
— Mais non ! Trois demis pour vous et un pour moi…
— À votre santé !… Le faux Van der Donck est sans doute un aventurier connu…
— C’est le récidiviste hollandais Peter Krull.
— Bon ! Il descend au Métropole… Il sait que son compatriote s’y trouve et qu’il a toujours de fortes sommes sur lui… La nuit, il pénètre dans son appartement et l’assassine… Au moment où il va faire disparaître le corps dans une des malles qui se trouvent dans le couloir, Lydia Nielsen, sur qui il n’a pas compté et qu’il ne connaît pas, surgit…
« Voilà la paille, celle qui empêche toujours ce qu’on appelle les beaux crimes, la faute grâce à laquelle la justice finit invariablement par triompher… Peter Krull, comme vous l’appelez, n’a pas soupçonné que son compatriote a donné rendez-vous cette nuit-là à une danseuse de cabaret…
« Pour la faire taire, il lui remet dix mille francs… Elle s’en va… Il quitte l’hôtel à son tour sans être vu du portier de nuit…
« Mais il pense que la malle ne tardera pas à dégager une odeur révélatrice… Il téléphone… Il la fait envoyer à Paris, dans une consigne de gare où elle pourra rester des semaines sans qu’on songe à l’examiner.
« Il se rend lui-même à Paris, descend au Grand-Hôtel, fait la bombe à sa manière…