— Une montre en or ! a crié la maîtresse. Et votre père sait que vous l’avez apportée à l’école ?
— Ben non, a dit Geoffroy. Mais quand je lui dirai que c’est vous qui m’avez demandé de l’amener, il ne me grondera pas.
— Que c’est moi qui ?... a crié la maîtresse. Petit inconscient ! Vous allez me faire le plaisir de remettre ce bijou dans votre poche !
— Moi, si je ramène pas mon coupe-papier, mon père va drôlement me gronder, a dit Joachim.
— Je vous ai déjà dit, Joachim, que je m’occuperai de cette affaire, a crié la maîtresse.
— Mademoiselle, a crié Geoffroy. Je ne retrouve plus la montre ! Je l’ai mise dans ma poche, comme vous me l’avez dit, et je ne la retrouve plus.
— Mais enfin, Geoffroy, a dit la maîtresse, elle ne peut pas être bien loin. Vous avez cherché par terre ?
— Oui, mademoiselle, a répondu Geoffroy. Elle n’y est pas.
Alors la maîtresse est allée vers le banc de Geoffroy, elle a regardé partout, et puis elle nous a demandé de regarder aussi, en faisant attention de ne pas marcher sur la montre, et Maixent a fait tomber mon coquillage par terre, alors je lui ai donné une baffe. La maîtresse s’est mise à crier, elle nous a donné des retenues, et Geoffroy a dit que si on ne retrouvait pas sa montre, il faudrait que la maîtresse aille parler à son père, et Joachim a dit qu’il faudrait qu’elle aille parler au sien aussi, pour le coup du coupe-papier.
Mais tout s’est très bien arrangé, parce que la montre, Geoffroy l’a retrouvée dans la doublure de son veston, le Bouillon a rendu le coupe-papier à Joachim et la maîtresse a levé les punitions.
C’était une classe très intéressante, et la maîtresse a dit que, grâce aux choses que nous avions apportées, elle n’oublierait jamais cette leçon.
À la bonne franquette
Moucheboume va venir dîner ce soir à la maison. M. Moucheboume c’est le patron de Papa, et il va venir avec Mme Moucheboume, qui est la femme du patron de Papa.
Ça fait des jours qu’on en parle à la maison du dîner de ce soir, et ce matin, Papa et Maman étaient très énervés. Maman était occupée comme tout, et Papa hier l’a emmenée au marché en auto, et ça, il ne le fait pas souvent. Moi je trouve ça très chouette, on dirait que c’est Noël, surtout quand Maman dit qu’elle ne sera jamais prête à temps.
Et quand je suis revenu de l’école ce soir, la maison était toute drôle, balayée et sans housses. Je suis entré dans la salle à manger, et il y avait la rallonge à la table, et la nappe blanche toute dure, et au-dessus, les assiettes qui ont de l’or tout autour et dont on ne se sert presque jamais pour manger dedans. Et puis, devant chaque assiette, il y avait des tas de verres, même les longs tout minces, et ça ça m’a étonné, parce que ceux-là, on ne les sort jamais du buffet. Et puis, j’ai rigolé, j’ai vu qu’avec tout ça, Maman avait oublié de mettre un couvert.
Alors je suis entré en courant dans la cuisine, et là j’ai vu que Maman parlait avec une dame habillée en noir avec un tablier blanc. Maman était jolie comme tout avec les cheveux drôlement bien peignés.
— Maman ! j’ai crié. Tu as oublié de mettre une assiette à table !
Maman a poussé un cri, et puis elle s’est retournée d’un coup.
— Nicolas ! m’a dit Maman, je t’ai déjà demandé de ne pas hurler comme ça, et de ne pas entrer dans la maison comme un sauvage. Tu m’as fait peur, et je n’ai pas besoin de ça pour m’énerver.
Alors moi j’ai demandé pardon à Maman ; c’est vrai qu’elle avait l’air énervée, et puis je lui ai expliqué de nouveau le coup de l’assiette qui manquait à table.
— Mais non, il ne manque pas d’assiette, m’a dit Maman. Va faire tes devoirs, et laisse-moi tranquille.
— Mais si, il manque une assiette, j’ai dit. Il y a moi, il y a Papa, il y a toi, il y a M. Moucheboume, et puis il y a Mme Moucheboume ; ça fait cinq, et il n’y a que quatre assiettes, alors quand on va aller manger, si toi, ou Papa, ou M. Moucheboume, ou Mme Moucheboume n’avez pas d’assiette, ça va faire des histoires.
Maman a fait un gros soupir, elle s’est assise sur le tabouret, elle m’a pris par les bras, et elle m’a dit que toutes les assiettes étaient là, que j’allais être très raisonnable, qu’un dîner comme ça était très ennuyeux, et que c’est pour ça que moi je mangerais pas à table avec les autres. Alors moi je me suis mis à pleurer, et j’ai dit que c’était pas ennuyeux du tout un dîner comme ça, que ça m’amuserait drôlement au contraire, et que si on ne me laissait pas m’amuser avec les autres, je me tuerais ; c’est vrai, quoi, à la fin, non mais sans blague !
Et puis Papa est entré, de retour de son bureau.
— Alors, il a demandé, tout est prêt ?
— Non, c’est pas prêt, j’ai crié. Maman ne veut pas mettre mon assiette à table pour que je rigole avec vous ! Et c’est pas juste ! C’est pas juste ! C’est pas juste !
— Oh ! Et puis j’en ai assez à la fin, a crié Maman. Ça fait des jours que je travaille pour ce dîner et que je me fais du souci ! C’est moi qui n’irai pas à table ! Tiens ! C’est ça ! Moi je n’irai pas a table ! Voilà ! Nicolas prendra ma place, et voila tout ! Parfaitement ! Moucheboume ou pas Moucheboume, j’en ai assez ! Débrouillez-vous sans moi !
Et Maman est partie en claquant la porte de la cuisine, et moi ça m’a tellement étonné, que j’ai cessé de pleurer. Papa s’est passé la main sur la figure, et il a profité que le tabouret était libre pour s’asseoir dessus, et puis il m’a pris par les bras.
— Bravo Nicolas, bravo ! m’a dit Papa. Tu as réussi à faire de la peine à Maman. C’est ça que tu voulais ?
Moi j’ai dit que non, que je ne voulais pas faire de la peine à Maman, que ce que je voulais c’était de rigoler à table avec les autres. Alors Papa m’a dit qu’à table ce serait très ennuyeux, et que si je ne faisais pas d’histoires et je mangeais à la cuisine, demain, il m’emmènerait au cinéma, et puis au zoo, et puis on irait goûter, et puis j’aurais une surprise.
— La surprise ce sera la petite auto bleue qui est dans la vitrine du magasin du coin ? j’ai demandé.
Papa m’a dit que oui, alors j’ai dit que j’étais d’accord, parce que j’aime bien les surprises et faire plaisir à Papa et à Maman. Et puis Papa est allé chercher Maman, et il est revenu avec elle dans la cuisine et il lui a dit que tout était arrangé et que j’étais un homme. Et Maman a dit qu’elle était sûre que j’étais un grand garçon et elle m’a embrassé. Très chouette. Et puis Papa a demandé s’il pouvait voir le hors-d’œuvre, et la dame en noir avec le tablier blanc a sorti de la glacière un homard terrible avec de la mayonnaise partout, comme celui de la première communion de ma cousine Félicité, la fois où j’ai été malade, et j’ai demandé si je pouvais en avoir, mais la dame en noir avec le tablier blanc a remis le homard dans la glacière et elle a dit que ce n’était pas pour les petits garçons. Papa a rigolé et il a dit que j’en aurais demain matin avec mon café, s’il en restait, mais qu’il ne fallait pas trop y compter.
On m’a donné à manger sur la table de la cuisine, et j’ai eu des olives, des petites saucisses chaudes, des amandes, un vol-au-vent, et un peu de salade de fruits. Pas mal.
— Bon, et maintenant, a dit Maman, tu vas aller te coucher. Tu vas mettre le pyjama propre, le jaune, et comme il est tôt, tu peux lire. Quand M. et Mme Moucheboume viendront, j’irai te chercher pour que tu descendes leur dire bonjour.
— Euh... Tu crois que c’est bien nécessaire ? a demandé Papa.
— Mais bien sûr, a dit Maman. Nous étions d’accord sur ce sujet.