Quand le Bouillon a fait rompre les rangs, nous nous sommes tous mis autour d’Eudes, qui, très fier, nous a montré son cahier. L’insigne était assez chouette. C’était un rond, avec une tache d’encre au milieu et une autre sur le côté ; à l’intérieur du rond, c’était bleu, blanc, jaune, et tout autour c’était écrit : « EGMARJNC. »
— C’est pas terrible ? a demandé Eudes.
— Ouais, a dit Rufus, mais c’est quoi, la tache, là ?
— C’est pas une tache, imbécile, a dit Eudes. C’est deux mains qui se serrent.
— Et l’autre tache, j’ai demandé, c’est aussi deux mains qui se serrent ?
— Mais non, a dit Eudes, pourquoi veux-tu qu’il y ait quatre mains ? L’autre, c’est une vraie tache. Elle ne compte pas.
— Et ça veut dire quoi : « EGMARJNC » ? a demandé Geoffroy.
— Ben, a dit Eudes, c’est les premières lettres de nos noms, tiens !
— Et les couleurs ? a demandé Maixent. Pourquoi t’as mis du bleu, du blanc et du jaune ?
— Parce que j’ai pas de crayon rouge, nous a expliqué Eudes. Le jaune, ce sera du rouge.
— En or, ça serait mieux, a dit Geoffroy.
— Et puis il faudrait mettre du laurier tout autour, a dit Alceste.
Alors, Eudes s’est fâché, il a dit qu’on n’était pas des copains et que si ça ne nous plaisait pas, eh bien, tant pis, il n’y aurait pas d’insigne, et que ça ne valait vraiment pas la peine de se donner du mal et de travailler en classe, c’est vrai, quoi, à la fin. Mais nous on a tous dit que son insigne était très chouette, et c’est vrai qu’il était assez bien et on était drôlement contents d’avoir un insigne pour reconnaître ceux de la bande, et on a décidé de le porter toujours, même quand on serait grands, pour que les gens sachent que nous sommes de la bande des Vengeurs. Alors, Eudes a dit qu’il ferait tous les insignes chez lui à la maison, ce soir, et que nous on devait arriver demain matin avec des épingles pour mettre les insignes à la boutonnière. On a tous crié : « Hip, hip ! hourra ! » et Eudes a dit à Alceste qu’il essayerait de mettre un peu de laurier, et Alceste lui a donné un petit morceau de jambon de son sandwich.
Le lendemain matin, quand Eudes est arrivé dans la cour de l’école, nous avons tous couru vers lui.
— T’as les insignes ? on lui a demandé.
— Oui, a dit Eudes. J’ai eu un drôle de travail, surtout pour les découper en rond.
Et il nous a donné à chacun notre insigne, et c’était vraiment très bien : bleu, blanc, rouge, avec des trucs marron sous les mains qui se serrent.
— C’est quoi, les choses marron ? a demandé Joachim.
— C’est le laurier, a expliqué Eudes ; je n’avais pas de crayon vert.
Et Alceste a été très content. Et comme nous avions tous une épingle, nous avons mis nos insignes à la boutonnière de nos vestons, et on était rien fiers, et puis Geoffroy a regardé Eudes et il lui a demandé :
— Et pourquoi ton insigne est beaucoup plus grand que les nôtres ?
— Ben, a dit Eudes, l’insigne du chef est toujours plus grand que les autres.
— Et qui a dit que tu étais le chef, je vous prie ? a demandé Rufus.
— C’est moi qui ai eu l’idée de l’insigne, a dit Eudes. Alors je suis le chef, et ceux à qui ça ne plaît pas, je peux leur donner des coups de poing sur le nez !
— Jamais de la vie ! Jamais de la vie ! a crié Geoffroy. Le chef, c’est moi !
— Tu rigoles, j’ai dit.
— Vous êtes tous des minables ! a crié Eudes, et puis d’abord, puisque c’est comme ça, vous n’avez qu’à me les rendre, mes insignes !
— Voilà ce que j’en fais de ton insigne ! a crié Joachim, et il a enlevé son insigne, il l’a déchiré, il l’a jeté par terre, il l’a piétiné et il a craché dessus.
— Parfaitement ! a crié Maixent.
Et nous avons tous déchiré nos insignes, nous les avons jetés par terre, nous les avons piétinés et nous avons craché dessus.
— C’est pas un peu fini, ce manège ? a demandé le Bouillon. Je ne sais pas ce que vous faites, mais je vous interdis de continuer à le faire. C’est compris ?
Et quand il est parti, nous avons dit à Eudes qu’il n’était pas un copain, qu’on ne lui parlerait plus jamais de notre vie et qu’il ne faisait plus partie de notre bande.
Eudes a répondu que ça lui était égal et que, de toute façon, il ne voulait pas faire partie d’une bande de minables. Et il est parti avec son insigne qui est grand comme une soucoupe.
Et maintenant, pour reconnaître ceux de la bande, c’est facile : ceux de la bande, ce sont ceux qui n’ont pas d’insigne bleu, blanc, rouge avec EGMARJNC écrit autour et deux mains qui se serrent, au milieu, avec du laurier marron en dessous.
Le message secret
Pendant la composition d’histoire, hier, à l’école, il s’est passé quelque chose de terrible. Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse a levé le doigt, et il a crié :
— Mademoiselle ! Cet élève copie !
— C’est pas vrai, sale menteur ! a crié Geoffroy.
Mais la maîtresse est venue, elle a pris la feuille de Geoffroy, celle d’Agnan, elle a regardé Geoffroy, qui a commencé à pleurer, elle lui a mis un zéro, et après la composition, elle l’a emmené chez le directeur. La maîtresse est revenue seule en classe, et elle nous a dit :
— Mes enfants, Geoffroy a commis une faute très grave ; non seulement il a copié sur un camarade, mais encore, il a persisté à nier, ajoutant le mensonge à la malhonnêteté. Par conséquent, M. le Directeur a suspendu Geoffroy pour deux jours. J’espère que cela lui servira de leçon, et lui apprendra que, dans la vie, la malhonnêteté ne paie pas. Maintenant, prenez vos cahiers, nous allons faire une dictée.
A la récré, on était bien embêtés, parce que Geoffroy est un copain, et quand on est suspendu, c’est terrible, parce que les parents font des histoires et vous privent d’un tas de choses.
— Il faut venger Geoffroy ! a dit Rufus. Geoffroy fait partie de la bande, et nous, on doit le venger contre ce sale chouchou d’Agnan. Ça servira de leçon à Agnan, et ça lui apprendra que dans la vie, ça ne paie pas de faire le guignol.
Nous, on a été tous d’accord, et puis Clotaire a demandé :
— Et comment on va faire pour se venger d’Agnan ?
— On pourrait tous l’attendre à la sortie, a dit Eudes, et on lui taperait dessus.
— Mais non, a dit Joachim. Tu sais bien qu’il porte des lunettes, et qu’on ne peut pas lui taper dessus.
— Et si on ne lui parlait plus ? a dit Maixent.
— Bah ! a dit Alceste. De toute façon, on ne lui parle presque jamais, alors, il ne se rendra pas compte qu’on ne lui parle plus.
— On pourrait peut-être le prévenir, a dit Clotaire.
— Et si on étudiait tous drôlement pour la prochaine composition, et qu’on était tous premiers à sa place ? j’ai dit.
— T’es pas un peu fou ? m’a demandé Clotaire en se donnant des coups sur le front avec le doigt.
— Moi, je sais, a dit Rufus. J’ai lu une histoire, dans une revue, et le héros, qui est un bandit et qui porte un masque, vole l’argent des riches pour le donner aux pauvres, et quand les riches veulent voler les pauvres pour ravoir leur argent, alors lui, il leur envoie un message, et c’est écrit : « On ne se moque pas impunément du Chevalier Bleu. » Et les ennemis ont drôlement peur, et ils n’osent plus voler.
— Ça veut dire quoi : « impunément » ? a demandé Clotaire.
— Mais, j’ai dit, si on envoie un message à Agnan, il saura que c’est nous qui l’avons écrit, même si nous mettons des masques. Et nous serons punis.