— Non, monsieur, a dit Rufus. Je connais un truc que j’ai vu dans un film, où des bandits envoyaient des messages, et pour qu’on ne reconnaisse pas leur écriture, ils écrivaient les messages avec des lettres découpées dans des journaux et collées sur des feuilles de papier, et personne ne les découvrait jusqu’à la fin du film !
Nous on a trouvé que c’était une drôlement bonne idée, parce qu’Agnan aurait tellement peur de notre vengeance, qu’il quitterait peut-être l’école, et ce serait bien fait pour lui.
— Et qu’est-ce qu’on va écrire dans le message ? a demandé Alceste.
— Eh ben, a dit Rufus, on va mettre : « On ne se moque pas impunément de la bande des Vengeurs ! »
On a tous crié : « Hip, hip, hourra ! » Clotaire a demandé ce que ça voulait dire « impunément », et on a décidé que ce serait Rufus qui préparerait le message pour demain.
Et quand on est arrivé à l’école, ce matin, on s’est tous mis autour de Rufus, et on lui a demandé s’il avait le message.
— Oui, a dit Rufus. Même que ça a fait des histoires chez moi, parce que j’ai découpé le journal de mon père, et mon père n’avait pas fini de le lire, et il m’a donné une baffe, et il m’a privé de dessert, et c’était du flan.
Et puis Rufus nous a montré le message, et il était écrit avec des tas de lettres différentes, et nous, on a tous trouvé que c’était très bien, sauf Joachim qui a dit que c’était pas terrible, et qu’on ne pouvait pas bien lire.
— Alors, moi, je n’ai pas eu du flan, a crié Rufus, j’ai travaillé comme un fou avec les ciseaux et la colle, et cet imbécile trouve que c’est pas terrible ? La prochaine fois, tu le feras toi-même, le message, tiens !
— Ouais ? a crié Joachim. Et qui est un imbécile, imbécile toi-même ?
Alors, ils se sont battus, et le Bouillon, c’est notre surveillant mais ce n’est pas son vrai nom, est arrivé en courant, il leur a dit qu’il en avait assez de les voir se conduire comme des sauvages, et il les a mis en retenue pour jeudi, tous les deux. Heureusement, il n’a pas confisqué le message, parce que Rufus l’avait donné à Clotaire avant de commencer à se battre. En classe, j’attendais que Clotaire m’envoie le message ; comme je suis celui qui est assis le plus près d’Agnan, c’est moi qui devais mettre le message sur son banc, sans qu’il me voie. Comme ça, quand il se retournerait, il verrait le papier, et il ferait une drôle de tête, Agnan.
Mais Clotaire regardait le message sous son pupitre, et il demandait des choses à Maixent, qui est assis à côté de lui. Et tout d’un coup, la maîtresse a crié :
— Clotaire ! Répétez ce que je viens de dire !
Et comme Clotaire, qui s’était levé, ne répétait rien du tout, la maîtresse a dit :
— Parfait, parfait. Eh bien, voyons si votre voisin est plus attentif que vous... Maixent, je vous prie, voulez-vous me répéter ce que je viens de dire ?
Alors Maixent s’est levé, et il s’est mis à pleurer, et la maîtresse a dit à Clotaire et à Maixent de conjuguer à tous les temps de l’indicatif et du subjonctif, le verbe : « Je dois être attentif en classe, au lieu de me distraire en y faisant des niaiseries, car je suis à l’école pour m’instruire, et non pas pour me dissiper ou m’amuser. »
Et puis Eudes, qui est assis derrière notre banc, a passé le message à Alceste. Alceste me l’a passé, et la maîtresse a crié :
— Mais vous avez le diable au corps, aujourd’hui ! Eudes, Alceste, Nicolas ! Venez me montrer ce papier ! Allons ! Inutile d’essayer de le cacher, je vous ai vus ! Eh bien ? J’attends !
Alceste est devenu tout rouge, moi je me suis mis à pleurer. Eudes a dit que c’était pas sa faute, et la maîtresse est venue chercher le message ; elle l’a lu, elle a ouvert de grands yeux, elle nous a regardés, et elle a dit :
— « On ne se moque pas impunément de la bande des Vengeurs ? » Qu’est-ce donc que ce charabia ?... Oh, et puis je ne veux pas le savoir, ça ne m’intéresse pas ! Vous feriez mieux de travailler en classe, au lieu de faire des bêtises. En attendant, vous viendrez tous les trois en retenue, jeudi.
A la récré, Agnan, il rigolait. Mais il a bien tort de rigoler, ce sale chouchou.
Parce que, comme a dit Clotaire, impunément ou non, on ne fait pas le guignol avec la bande des Vengeurs !
Jonas
Eudes, qui est un copain qui est très fort et qui aime bien donner des coups de poing sur le nez des copains, a un grand frère qui s’appelle Jonas et qui est parti faire le soldat. Eudes est très fier de son frère et il nous en parle tout le temps.
— Nous avons reçu une photo de Jonas en uniforme, il nous a dit un jour. Il est terrible ! Demain, je vous apporte la photo.
Et Eudes nous a apporté la photo, et Jonas était très bien, avec son béret et un grand sourire tout content.
— Il a pas de galons, a dit Maixent.
— Ben, c’est parce qu’il est nouveau, a expliqué Eudes, mais il va sûrement devenir officier et commander des tas de soldats. En tout cas, il a un fusil.
— Il a pas de revolver ? a demandé Joachim.
— Bien sûr que non, a dit Rufus. Les revolvers, c’est pour les officiers. Les soldats, ils n’ont que des fusils.
Ça, ça ne lui a pas plu, à Eudes.
— Qu’est-ce que tu en sais ? il a dit. Jonas a un revolver, puisqu’il va devenir officier.
— Ne me fais pas rigoler, a dit Rufus. Mon père, lui, il a un revolver.
— Ton père, a crié Eudes, il n’est pas officier ! Il est agent de police. C’est pas malin d’avoir un revolver quand on est agent de police !
— Un agent de police, c’est comme un officier, a crié Rufus. Et puis d’abord, mon père, il a un képi ! Il a un képi, ton frère ?
Et Eudes et Rufus se sont battus.
Une autre fois, Eudes nous a raconté que Jonas était parti en manœuvres avec son régiment et qu’il avait fait des choses terribles, qu’il avait tué des tas d’ennemis et que le général l’avait félicité.
— Dans les manœuvres, on ne tue pas d’ennemis, a dit Geoffroy.
— On fait comme si, a expliqué Eudes. Mais c’est très dangereux.
— Ah ! non, ah ! non, a dit Geoffroy. Si on fait comme si, ça vaut pas ! Ça serait trop facile !
— Tu veux un coup de poing sur le nez ? a demandé Eudes. Et ça ne sera pas comme si.
— Essaie ! lui a dit Geoffroy.
Eudes a essayé, il a réussi, et ils se sont battus.
La semaine dernière, Eudes nous a raconté que Jonas avait été de garde pour la première fois, et que si on l’avait choisi pour être de garde, c’était parce qu’il était le meilleur soldat du régiment.
— Parce que c’est seulement le meilleur soldat du régiment qui fait la garde ? j’ai demandé.
— Et alors ? m’a dit Eudes. Tu ne voudrais tout de même pas qu’on donne le régiment à garder à un imbécile ? Ou à un traître qui laisserait entrer les ennemis dans la caserne ?
— Quels ennemis ? a demandé Maixent.
— Et puis d’abord, c’est des blagues, a dit Rufus. Tous les soldats font la garde, chacun à son tour. Les imbéciles comme les autres.
— C’est bien ce que je pensais, j’ai dit.
— Et puis, c’est pas dangereux de faire la garde, a dit Geoffroy. Tout le monde peut la faire !
— J’aimerais t’y voir, a crié Eudes. Rester tout seul, la nuit, comme ça, à garder le régiment.
— C’est plus dangereux de sauver quelqu’un qui se noie, comme je l’ai fait pendant les dernières vacances ! a dit Rufus.
— Ne me fais pas rigoler, a dit Eudes, t’as sauvé personne, et t’es un menteur. Et puis, vous savez ce que vous êtes ? Vous êtes tous des idiots !
Alors, on s’est tous battus avec Eudes, et moi j’ai reçu un gros coup de poing sur le nez, et le Bouillon, qui est notre surveillant, nous a tous mis au piquet.