— Ouais, a dit Rufus.
Alors, j’ai jeté mon cartable, j’ai pris Rufus par le veston, et je lui ai crié :
— Retire ce que tu as dit !
Mais comme il ne voulait rien retirer du tout, on a commencé à se battre, et puis on a entendu une grosse voix qui criait d’en haut :
— Voulez-vous cesser tout de suite, petits voyous ! Allez jouer ailleurs, ou j’appelle la police !
Alors nous sommes tous partis en courant, nous avons tourné le coin de la rue, nous avons traversé, retraversé, et nous nous sommes arrêtés.
— Quand vous aurez fini de faire les guignols, a dit Geoffroy, on pourra peut-être continuer à s’amuser avec ma craie.
— Si ce type-là reste ici, moi je m’en vais ! a crié Rufus. Tant pis pour ta craie.
Et il est parti, et je ne lui parlerai plus jamais de ma vie.
— Bon, a dit Eudes, qu’est-ce qu’on va faire avec la craie ?
— Ce qui serait bien, a dit Joachim, ce serait d’écrire des choses sur les murs.
— Oui, a dit Maixent. On pourrait écrire : « La bande des Vengeurs ! » Comme ça, les ennemis sauraient que nous sommes passés par ici.
— Ah, très bien, a dit Geoffroy. Et puis moi, je me fais renvoyer de l’école ! Très bien ! Bravo !
— T’es un lâche, quoi ! a dit Maixent.
— Un lâche, moi qui ai pris des risques terribles ? Tu me fais rigoler, tiens ! a dit Geoffroy.
— Si t’es pas un lâche, écris sur le mur, a dit Maixent.
— Et si après on est tous renvoyés ? a demandé Eudes.
— Bon, les gars, a dit Joachim. Moi, je m’en vais. Sinon, je vais arriver en retard à la maison, et je vais avoir des histoires.
Et Joachim est parti en courant drôlement vite.
Je ne l’avais jamais vu tellement pressé de rentrer chez lui.
— Ce qui serait bien, a dit Eudes, ce serait de faire des dessins sur des affiches. Tu sais, mettre des lunettes, des moustaches, des barbes et des pipes !
On a tous trouvé que c’était une chouette idée, seulement dans la rue, là, il n’y avait pas d’affiches. Alors on a commencé à marcher, mais c’est toujours la même chose ; quand on cherche des affiches, on n’en trouve pas.
— Pourtant, a dit Eudes, je me souviens d’une affiche, quelque part, dans le quartier... Tu sais, le petit garçon qui mange un gâteau au chocolat, avec de la crème dessus...
— Oui, a dit Alceste. Je la connais. Je l’ai même découpée dans un journal de ma mère.
Et Alceste nous a dit qu’on l’attendait chez lui pour le goûter ; et il est parti en courant.
Comme il se faisait tard, on a décidé de ne plus chercher d’affiches, et de continuer à rigoler avec le bâton de craie.
— Vous savez quoi, les gars, a crié Maixent, on pourrait faire une marelle ! On va dessiner sur le trottoir, et...
— T’es pas un peu fou ? a dit Eudes. La marelle, c’est un jeu de filles !
— Non monsieur, non monsieur ! a dit Maixent, qui est devenu tout rouge. C’est pas un jeu de filles !
Alors Eudes s’est mis à faire des tas de grimaces, et il a chanté d’une voix toute fine.
— Mademoiselle Maixent veut jouer à la marelle ! Mademoiselle Maixent veut jouer à la marelle !
— Viens te battre dans le terrain vague ! a crié Maixent. Allez, viens, si t’es un homme !
Et Eudes et Maixent sont partis ensemble, mais au bout de la rue ils se sont séparés. C’est qu’en s’amusant avec le bâton de craie, comme ça, on ne s’en rendait pas compte, mais il commençait à se faire drôlement tard.
Nous sommes restés seuls, Geoffroy et moi. Geoffroy a fait comme si le bâton de craie était une cigarette, et puis après, il l’a mis entre sa lèvre d’en haut et le nez, comme si c’était une moustache.
— Tu m’en donnes un morceau ? j’ai demandé.
Mais Geoffroy a fait non avec la tête ; alors moi, j’ai essayé de lui prendre le bâton de craie, mais le bâton de craie est tombé par terre, et il s’est cassé en deux. Il était drôlement furieux, Geoffroy.
— Tiens ! il a crié. Voilà ce que j’en fais de ton morceau !
Et avec son talon, il a écrasé un des morceaux de craie.
— Ah oui ? j’ai crié, eh ben voilà ce que j’en fais de ton morceau à toi !
Et crac ! Avec mon talon, j’ai écrasé son morceau de craie à lui.
Et comme on n’avait plus de craie, on est rentré chacun chez soi.
Fin du tome 5