— Monsieur le Directeur, a dit la maîtresse, qui est chouette comme tout et qui nous défend toujours, ils sont un peu énervés, avec ce local qui n’est pas conçu pour les recevoir, alors il y a un peu de désordre, mais ils vont être sages maintenant.
Alors, le directeur a fait un grand sourire et il a dit :
— Mais bien sûr, mademoiselle, bien sûr ! Je comprends très bien. Aussi, vous pouvez rassurer vos élèves ; les ouvriers m’ont promis que leur salle de classe sera parfaitement en état de les recevoir demain, quand ils viendront. Je pense que cette excellente nouvelle va les calmer.
Et quand il est parti, on a été contents que tout se soit si bien arrangé, jusqu’au moment où la maîtresse nous a rappelé que demain, c’était jeudi.
La lampe de poche
Comme j’ai fait septième en orthographe, Papa m’a donné de l’argent pour m’acheter ce que je voudrais, et à la sortie de l’école tous les copains m’ont accompagné au magasin où j’ai acheté une lampe de poche, parce que c’était ça que je voulais.
C’était une chouette lampe de poche que je voyais dans la vitrine chaque fois que je passais devant le magasin pour aller à l’école, et j’étais drôlement content de l’avoir.
— Mais qu’est-ce que tu vas en faire, de ta lampe de poche ? m’a demandé Alceste.
— Ben, j’ai répondu, ça sera très bien pour jouer aux détectives. Les détectives ont toujours une lampe de poche pour chercher les traces des bandits.
— Ouais, a dit Alceste, mais moi, si mon père m’avait donné un tas d’argent pour acheter quelque chose, j’aurais préféré le mille-feuille de la pâtisserie, parce que les lampes, ça s’use, tandis que les mille-feuilles, c’est bon.
Tous les copains se sont mis à rigoler et ils ont dit a Alceste qu’il était bête et que c’était moi qui avais eu raison d’acheter une lampe de poche.
— Tu nous la prêteras, ta lampe ? m’a demandé Rufus.
— Non, j’ai dit. Si vous en voulez, vous n’avez qu’à faire septièmes en orthographe, non mais sans blague !
Et nous nous sommes quittés fâchés et nous ne nous parlerons plus jamais.
A la maison, quand j’ai montré ma lampe à Maman, elle a dit :
— Tiens ? En voilà une drôle d’idée ! Enfin, au moins, avec ça tu ne nous casseras pas les oreilles. Monte faire tes devoirs, en attendant.
Je suis monté dans ma chambre, j’ai fermé les persiennes pour qu’il fasse bien noir et puis je me suis amusé à envoyer le rond de lumière partout : sur les murs, au plafond, sous les meubles et sous mon lit, où, tout au fond, j’ai trouvé une bille que je cherchais depuis longtemps et que je n’aurais jamais retrouvée si je n’avais pas eu ma chouette lampe de poche.
J’étais sous le lit quand la porte de ma chambre s’est ouverte, la lumière s’est allumée et Maman a crié :
— Nicolas ! où es-tu ?
Et quand elle m’a vu sortir de dessous le lit, Maman m’a demandé si je perdais la tête et qu’est-ce que je faisais dans le noir sous mon lit ; et quand je lui ai expliqué que je jouais avec ma lampe, elle m’a dit qu’elle se demandait où j’allais chercher des idées comme ça, que je la ferais mourir et qu’en attendant, « Regarde-moi dans quel état tu t’es mis », et « Veux-tu faire tes devoirs tout de suite, tu joueras après », et « Il a vraiment de drôles d’idées, ton père ».
Maman est sortie, j’ai éteint la lumière et je me suis mis au travail. C’est très chouette de faire les devoirs avec une lampe de poche, même si c’est de l’arithmétique ! Et puis Maman est revenue dans la chambre, elle a allumé la grosse lumière et elle n’était pas contente du tout.
— Je croyais t’avoir dit de faire tes devoirs avant de jouer ? m’a dit Maman.
— Mais j’étais en train de les faire, mes devoirs, je lui ai expliqué.
— Dans l’obscurité ? Avec cette petite lampe ridicule ? Mais tu vas te crever les yeux, Nicolas ! a crié Maman.
J’ai dit à Maman que ce n’était pas une petite lampe ridicule, et qu’elle donnait une lumière terrible, mais Maman n’a rien voulu savoir et elle a pris ma lampe, et elle a dit qu’elle me la rendrait quand j’aurais fini mes devoirs. J’ai essayé de pleurer un coup, mais je sais qu’avec Maman ça ne sert presque jamais à rien, alors j’ai fait mon problème le plus vite possible. Heureusement, c’était un problème facile et j’ai tout de suite trouvé que la poule pondait 33,33 œufs par jour.
Je suis descendu en courant dans la cuisine et j’ai demandé à Maman qu’elle me rende ma lampe de poche.
— Bon, mais sois sage, m’a dit Maman.
Et puis Papa est arrivé et je suis allé l’embrasser, et je lui ai montré ma chouette lampe de poche, et il a dit que c’était une drôle d’idée, mais qu’enfin, avec ça je ne casserais les oreilles de personne. Et puis il s’est assis dans le salon pour lire son journal.
— Je peux éteindre la lumière ? je lui ai demandé.
— Éteindre la lumière ? a dit Papa. Ça ne va pas, Nicolas ?
— Ben, c’est pour jouer avec la lampe, j’ai expliqué.
— Il n’en est pas question, a dit Papa. Et puis je ne peux pas lire mon journal dans l’obscurité, figure-toi.
— Mais justement, j’ai dit. Je te ferai de la lumière avec ma lampe de poche, ça sera très chouette !
— Non, Nicolas ! a crié Papa. Tu sais ce que ça veut dire : non ? Eh bien, non ! Et ne me casse pas les oreilles, j’ai eu une journée fatigante, aujourd’hui.
Alors, je me suis mis à pleurer, j’ai dit que c’était pas juste, que ça ne valait pas la peine de faire septième en orthographe si, après, on ne vous laissait pas jouer avec votre lampe de poche, et que si j’avais su, je n’aurais pas fait le problème avec le coup de la poule et des œufs.
— Qu’est-ce qu’il a, ton fils ? a demandé Maman, qui est venue de la cuisine.
— Oh ! rien, a dit Papa. Il veut que je lise mon journal dans le noir, ton fils, comme tu dis.
— La faute à qui ? a demandé Maman. C’était vraiment une drôle d’idée de lui acheter une lampe de poche.
— Je ne lui ai rien acheté du tout ! a crié Papa. C’est lui qui a dépensé son argent sans réfléchir ; je ne lui ai pas dit d’acheter cette lampe idiote ! Je me demande quelquefois de qui il tient cette manie de jeter l’argent par les fenêtres !
— Ce n’est pas une lampe idiote ! j’ai crié.
— Oh ! a dit Maman, j’ai compris cette fine allusion. Mais je te ferai remarquer que mon oncle a été victime de la crise, tandis que ton frère Eugène...
— Nicolas, a dit Papa, monte jouer dans ta chambre ! Tu as une chambre, non ? Alors, vas-y. Moi, j’ai à parler avec Maman.
Alors, je suis monté dans ma chambre et je me suis amusé devant la glace ; j’ai mis la lampe sous ma figure et ça fait ressembler à un fantôme, et puis j’ai mis la lampe dans ma bouche et on a les joues toutes rouges, et j’ai mis la lampe dans ma poche et on voit la lumière à travers le pantalon, et j’étais en train de chercher des traces de bandits quand Maman m’a appelé pour me dire que le dîner était prêt.
A table, comme personne n’avait l’air de rigoler, je n’ai pas osé demander qu’on éteigne la lumière pour manger, et j’espérais que les plombs sauteraient, comme ça arrive quelquefois, et tout le monde aurait été bien content de l’avoir, ma lampe, et puis, après dîner, je serais descendu avec Papa à la cave, pour lui donner de la lumière pour arranger les plombs. Il ne s’est rien passé, c’est dommage, mais heureusement il y avait de la tarte aux pommes.
Je me suis couché, et dans mon lit j’ai lu un livre avec ma lampe de poche, et Maman est entrée et elle m’a dit :