Monsieur Blédurt, c’est notre voisin qui aime bien taquiner papa. « Moi aussi je veux jouer, je serai le peau-rouge Taureau Debout ! – Sors d’ici Blédurt, on ne t’a pas sonné ! » Monsieur Blédurt il était formidable, il s’est mis devant papa avec les bras croisés et il a dit : « Que le visage pâle retienne sa langue ! » Papa faisait des drôles d’efforts pour se détacher de l’arbre et monsieur Blédurt s’est mis à danser autour de l’arbre en poussant des cris. Nous on aurait bien aimé rester voir papa et monsieur Blédurt s’amuser et faire les guignols, mais on n’a pas pu parce que maman nous a appelés pour le goûter et après on est allés dans ma chambre jouer au train électrique. Ce que je ne savais pas, c’est que papa aimait tellement jouer aux cow-boys. Quand on est descendus, le soir, monsieur Blédurt était parti depuis longtemps, mais papa était toujours attaché à l’arbre à crier et à faire des grimaces.
C’est chouette de savoir s’amuser tout seul, comme ça !
Le Bouillon
Aujourd’hui, à l’école, la maîtresse a manqué. Nous étions dans la cour, en rangs, pour entrer en classe, quand le surveillant nous a dit : « Votre maîtresse est malade, aujourd’hui. »
Et puis, monsieur Dubon, le surveillant, nous a conduits en classe. Le surveillant, on l’appelle le Bouillon, quand il n’est pas là, bien sûr. On l’appelle comme ça, parce qu’il dit tout le temps : « Regardez-moi dans les yeux », et dans le bouillon il y a des yeux. Moi non plus je n’avais pas compris tout de suite, c’est des grands qui me l’ont expliqué. Le Bouillon a une grosse moustache et il punit souvent, avec lui, il ne faut pas rigoler. C’est pour ça qu’on était embêtés qu’il vienne nous surveiller, mais, heureusement, en arrivant en classe, il nous a dit : « Je ne peux pas rester avec vous, je dois travailler avec monsieur le Directeur, alors, regardez-moi dans les yeux et promettez-moi d’être sages. » Tous nos tas d’yeux ont regardé dans les siens et on a promis. D’ailleurs, nous sommes toujours assez sages.
Mais il avait l’air de se méfier, le Bouillon, alors, il a demandé qui était le meilleur élève de la classe. « C’est moi monsieur ! » a dit Agnan, tout fier. Et c’est vrai, Agnan c’est le premier de la classe, c’est aussi le chouchou de la maîtresse et nous on ne l’aime pas trop, mais on ne peut pas lui taper dessus aussi souvent qu’on le voudrait, à cause de ses lunettes. « Bon, a dit le Bouillon, tu vas venir t’asseoir à la place de la maîtresse et tu surveilleras tes camarades. Je reviendrai de temps en temps voir comment les choses se passent. Révisez vos leçons. » Agnan, tout content, est allé s’asseoir au bureau de la maîtresse et le Bouillon est parti.
« Bien, a dit Agnan, nous devions avoir arithmétique, prenez vos cahiers, nous allons faire un problème. – T’es pas un peu fou ? » a demandé Clotaire. « Clotaire, taisez-vous ! » a crié Agnan, qui avait vraiment l’air de se prendre pour la maîtresse. « Viens me le dire ici, si t’es un homme ! » a dit Clotaire et la porte de la classe s’est ouverte et on a vu entrer le Bouillon tout content. « Ah ! il a dit. J’étais resté derrière la porte pour écouter. VOUS, là-bas, regardez-moi dans les yeux ! » Clotaire a regardé, mais ce qu’il a vu n’a pas eu l’air de lui faire tellement plaisir. « Vous allez me conjuguer le verbe : je ne dois pas être grossier envers un camarade qui est chargé de me surveiller et qui veut me faire faire des problèmes d’arithmétique. » Après avoir dit ça, le Bouillon est sorti, mais il nous a promis qu’il reviendrait.
Joachim s’est proposé pour guetter le surveillant à la porte, on a été tous d’accord, sauf Agnan qui criait : « Joachim, à votre place ! » Joachim a tiré la langue à Agnan, il s’est assis devant la porte et il s’est mis à regarder par le trou de la serrure « Il n’y a personne, Joachim ? » a demandé Clotaire. Joachim a répondu qu’il ne voyait rien. Alors, Clotaire s’est levé et il a dit qu’il allait faire manger son livre d’arithmétique à Agnan, ce qui était vraiment une drôle d’idée, mais ça n’a pas plu à Agnan qui a crié : « Non ! J’ai des lunettes ! » « Tu vas les manger aussi ! » a dit Clotaire, qui voulait absolument qu’Agnan mange quelque chose. Mais Geoffroy a dit qu’il ne fallait pas perdre de temps avec des bêtises, qu’on ferait mieux de jouer à la balle. « Et les problèmes, alors ? » a demandé Agnan, qui n’avait pas l’air content, mais nous, on n’a pas fait attention et on a commencé à se faire des passes et c’est drôlement chouette de jouer entre les bancs. Quand je serai grand, je m’achèterai une classe, rien que pour jouer dedans. Et puis, on a entendu un cri et on a vu Joachim assis par terre et qui se tenait le nez avec les mains. C’était le Bouillon qui venait d’ouvrir la porte et Joachim n’avait pas dû le voir venir. « Qu’est-ce que tu as ? » a demandé le Bouillon tout étonné, mais Joachim n’a pas répondu, il faisait ouille, ouille, et c’est tout, alors, le Bouillon l’a pris dans ses bras et l’a emmené dehors. Nous, on a ramassé la balle et on est retournés à nos places. Quand le Bouillon est revenu avec Joachim qui avait le nez tout gonflé il nous a dit qu’il commençait à en avoir assez et que si ça continuait on verrait ce qu’on verrait. « Pourquoi ne prenez vous pas exemple sur votre camarade Agnan ? il a demandé, il est sage, lui. » Et le Bouillon est parti. On a demandé à Joachim ce qu’il lui était arrivé et il nous a répondu qu’il s’était endormi à force de regarder par le trou de la serrure.
« Un fermier va à la foire, a dit Agnan dans un panier, il a vingt-huit œufs à cinq cents francs la douzaine. » « C’est de ta faute, le coup du nez », a dit Joachim « Ouais ! a dit Clotaire, on va lui faire manger son livre d’arithmétique, avec le fermier, les œufs et les lunettes ! » Agnan, alors, s’est mis à pleurer. Il nous a dit que nous étions des méchants et qu’il le dirait à ses parents et qu’ils nous feraient tous renvoyer et le Bouillon a ouvert la porte. On était tous assis à nos places et on ne disait rien et le Bouillon a regardé Agnan qui pleurait tout seul assis au bureau de la maîtresse. « Alors quoi, il a dit le Bouillon, c’est vous qui vous dissipez, maintenant ? Vous allez me rendre fou ! Chaque fois que je viens, il y en a un autre qui fait le pitre ! Regardez-moi bien dans les yeux, tous ! Si je reviens encore une fois et que je vois quelque chose d’anormal, je sévirai ! » et il est parti de nouveau. Nous, on s’est dit que ce n’était plus le moment de faire les guignols, parce que le surveillant, quand il n’est pas content, il donne de drôles de punitions. On ne bougeait pas, on entendait seulement renifler Agnan et mâcher Alceste, un copain qui mange tout le temps. Et puis, on a entendu un petit bruit du côté de la porte. On a vu le bouton de porte qui tournait très doucement et puis la porte a commencé à s’ouvrir petit à petit, en grinçant. Tous, on regardait et on ne respirait pas souvent, même Alceste s’est arrêté de mâcher. Et, tout d’un coup, il y en a un qui a crié : « C’est le Bouillon ! » La porte s’est ouverte et le Bouillon est entré, tout rouge. « Qui a dit ça ? » il a demandé. « C’est Nicolas ! » a dit Agnan. « C’est pas vrai, sale menteur ! » et c’était vrai que c’était pas vrai, celui qui avait dit ça, c’était Rufus. « C’est toi ! C’est toi ! C’est toi ! » a crié Agnan et il s’est mis à pleurer. « Tu seras en retenue ! » m’a dit le Bouillon. Alors je me suis mis à pleurer, j’ai dit que ce n’était pas juste et que je quitterais l’école et qu’on me regretterait bien. « C’est pas lui, m’sieu, c’est Agnan qui a dit le Bouillon ! » a crié Rufus. « Ce n’est pas moi qui ai dit le Bouillon ! » a crié Agnan. « Tu as dit le Bouillon, je t’ai entendu dire le Bouillon, parfaitement, le Bouillon ! – Bon, ça va comme ça, a dit le Bouillon, vous serez tous en retenue ! » « Pourquoi moi ? a demandé Alceste. Je n’ai pas dit le Bouillon, moi ! » « Je ne veux plus entendre ce sobriquet ridicule, vous avez compris ? » a crié le Bouillon, qui avait l’air drôlement énervé. « Je ne viendrai pas en retenue ! » a crié Agnan et il s’est roulé par terre en pleurant et il avait des hoquets et il est devenu tout rouge et puis tout bleu. En classe, à peu près tout le monde criait ou pleurait, j’ai cru que le Bouillon allait s’y mettre aussi, quand le Directeur est entré. « Que se passe-t-il, le Bouil... Monsieur Dubon ? » il a demandé, le Directeur. « Je ne sais plus, monsieur le Directeur, a répondu le Bouillon, il y en a un qui se roule par terre, un autre qui saigne du nez quand j’ouvre la porte, le reste qui hurle, je n’ai jamais vu ça ! Jamais » et le Bouillon se passait la main dans les cheveux et sa moustache bougeait dans tous les sens.