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— Wander n’est pas content, c’est sûr, notai-je, me servant du ragoût.

— Moi non plus, je ne suis pas contente, répondit Maïka. Ça s’est passé … comment dirais-je … d’une manière indigne. Je ne peux pas l’exprimer, c’est probablement enfantin de ma part, naïf … cependant il doit quand même … il doit quand même y avoir une minute de silence … Et là, on a bâclé en deux coups de cuillère à pot disposition des dépouilles, coulage du matériel cybernétique périmé, paramètres topographiques … Zut ! Comme si on était à l’école à un cours pratique …

Je partageais entièrement son opinion.

— Komov ne laisse personne ouvrir la bouche ! reprit-elle méchamment. Pour lui tout est clair, tout est évident, mais en réalité rien n’est si clair. Ni avec la météorite, ni, à plus forte raison, avec le journal de bord. D’ailleurs, je ne le crois pas quand il affirme y voir si clair que ça ! À mon avis il a quelque chose derrière la tête, Wander aussi l’a compris, seulement il ne sait pas comment le pincer … ou, peut-être, considère-t-il que ce n’est pas important …

— C’est possible que cela n’ait pas grande importance, effectivement, marmonnai-je, indécis.

— Je ne prétends pas que c’est important ! protesta Maïka. Simplement je n’aime pas le comportement de Komov. Je ne le suis pas. Et, d’une façon générale, il ne me plaît pas ! On m’a tellement rebattu les oreilles à son sujet et maintenant voilà que je compte les jours qui me restent à travailler avec lui … De ma vie je ne travaillerai plus jamais avec cet homme !

— Allons, il n’y en a plus pour longtemps, fis-je, conciliant. Une vingtaine de jours au maximum …

Sur ces paroles nous nous séparâmes. Maïka alla mettre de l’ordre dans ses prises de dimensions et ses croquis d’intendance ; moi, je me rendis au poste de pilotage où une petite surprise m’attendait : Tom annonçait que la pose des fondations était terminée et me proposait de venir examiner le travail. Je jetai ma pelisse sur mes épaules et courus sur le chantier.

Le soleil s’était déjà couché, le crépuscule s’épaississait. Quel étrange crépuscule ici d’un violet sombre comme de l’encre. Pas de lune ; en revanche, une intense aurore boréale et pas n’importe laquelle ! Des panneaux gigantesques d’une lumière irisée flottaient silencieusement au-dessus de l’océan noir, s’enroulaient et se déroulaient, frémissaient et tressaillaient comme agités par le vent, miroitaient de blanc, de vert, de rose et soudain s’obscurcissaient instantanément, laissant dans les yeux des taches multicolores troubles. Puis ils réapparaissaient et alors s’évanouissaient les étoiles, s’évanouissait le crépuscule, tout alentour se prenait des couleurs anormales, mais d’une pureté absolue — le brouillard au-dessus du marécage devenait rouge et bleu, l’iceberg au loin scintillait, tel un roc d’ambre, et des ombres verdâtres filaient à une vitesse fulgurante le long de la plage.

Frottant férocement mes joues et mon nez qui gelaient, j’inspectai les fonctions dans cette lumière splendide. Tom qui ne me quittait pas d’une semelle m’annonçait, serviable, les chiffres indispensables, et quand la lueur s’éteignait, il allumait, tout aussi serviable, ses projecteurs. Il régnait le silence de mort habituel ; seul, le sable glacé crissait sous mes talons. Puis j’entendis des voix : Maïka et Wanderkhouzé étaient sortis respirer de l’air frais et admirer le spectacle céleste. Maïka aimait beaucoup l’aurore boréale, l’unique chose qu’elle aimât sur cette planète. Je me trouvais assez loin du vaisseau, à une centaine de mètres environ, et je ne les voyais pas ; en revanche, je les entendais très bien. Au début je les écoutai distraitement. Maïka disait je ne sais trop quoi sur les cimes abîmées des arbres, Wanderkhouzé tonnait à propos de l’érosion des quasiorganismes de bord — apparemment ils discutaient de nouveau des causes et des circonstances de l’accident du Pélican.

Il y avait dans leur conversation quelque chose de bizarre. Je répète au début, je n’écoutais pas tellement, et c’est seulement au bout d’un moment que je devinai ce qui n’allait pas. Ils parlaient comme s’ils ne s’écoutaient pas l’un l’autre. Par exemple, Wanderkhouzé disait « L’un de leurs moteurs planétaires est resté intact, sinon ils n’auraient jamais pu manœuvrer dans l’atmosphère … Maïka, elle, rabâchait son « Non, Yakov, au moins dix ou quinze ans. Regardez ces loupes … »

Je descendis dans une des fonctions pour l’inspecter en profondeur ; quand je remontai, l’entretien se déroulait de façon plus cohérente, mais moins compréhensible. Ils donnaient l’impression de répéter une pièce de théâtre.

— Et ça, qu’est-ce que c’est que ça encore ? demanda Maïka.

— Je dirais que c’est un jouet, répondit Wanderkhouzé.

— Moi aussi. Seulement pour quoi faire ?

— Un hobby. Rien d’étonnant, un hobby plutôt courant.

Bref, cela ressemblait à nos distractions à la base durant notre temps de formation. Par exemple, Vadik, à brûle-pourpoint, se mettait à hurler si fort qu’on l’entendait dans toute la cantine « Mon commandant ! Je prends la décision de rejeter la partie arrière du vaisseau et de plonger dans le subespace ! », ce à quoi un autre bel esprit répliquait immédiatement « J’approuve votre décision, mon commandant ! N’oubliez pas la partie avant, mon commandant ! », etc. Du reste, ce dialogue étrange cessa bientôt. La membrane de la trappe claqua distinctement, et le silence revint. J’examinai la dernière fondation, complimentai Tom pour le bon travail et lui ordonnai de brancher Jack sur l’étape suivante. Les lueurs s’éteignirent, et dans le noir on ne voyait rien à l’exception des feux de bord de mes cybers. Sentant que le bout de mon nez n’allait pas tarder à tomber, je courus au petit trot vers le vaisseau, palpai à tâtons la membrane et sautai dans le caisson. Le caisson, c’est magnifique. C’est l’un des meilleurs endroits d’un astronef. Probablement parce que le caisson est le premier local qui offre la merveilleuse sensation d’une maison on rentre chez soi, dans un lieu cher, chaud, protégé d’un dehors étranger, glacial, menaçant. On quitte l’obscurité pour la lumière. Je me débarrassai de ma pelisse et me dirigeai vers le poste de pilotage tout en grognant et me frottant les mains.

Wanderkhouzé s’y trouvait déjà, entouré de sa paperasse, et, la tête penchée dans une profonde affliction, recopiait au propre le rapport d’enquête. L’appareil de chiffrage stridulait alertement sous ses doigts.

— Mes gamins ont déjà achevé les fondations, me vantai-je.

— Ouais, répliqua Wanderkhouzé.

— De quels jouets s’agit-il ?

— Jouets … répéta distraitement Wanderkhouzé. Jouets ? redemanda-t-il sans arrêter de faire striduler son appareil. Ah oui, des jouets …

Il posa à côté une feuille terminée et prit une autre. J’attendis un peu et rappelai :

— C’est quoi alors, ces jouets ?

— Ce que c’est, ces jouets ? … fit écho Wanderkhouzé, la voix empreinte de signification, et il me regarda, renversant sa tête en arrière. C’est ainsi que tu poses la question ? Tu vois, c’est … Au demeurant, qui sait ce que c’est, ces jouets. À bord du Pélican … Excuse-moi, Stas, je voudrais finir ça d’abord, qu’en penses-tu ?

Je marchai sur la pointe des pieds vers mon tableau de commande, surveillai un temps le travail de Jack déjà en train d’élever les murs de la station météorologique et sortis, toujours à pas de loup, pour aller voir Maïka.

Tout l’éclairage possible et imaginable de la cabine de Maïka était allumé ; elle trônait, assise en tailleur sur sa couchette ; par terre s’étalaient des collages de cartes, des croquis, des aérophotos dépliées en accordéon, des notes et des mémentos. Maïka les examinait à tour de rôle, inscrivait quelque chose, s’emparant tantôt de sa loupe, tantôt d’une bouteille de jus de fruits posé sur une chaise à côté. Après l’avoir observée quelque temps, je choisis le moment où la bouteille de jus quitta la chaise et m’y assis, de façon que quand Maïka, sans regarder, remit la bouteille à sa place, celle-ci échouât droit dans ma main tendue.