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— Écoute, il fait froid ! (Maïka sauta sur place.) On court ?

Et nous courûmes. Mes premières exaltations apaisées, je me mis à réfléchir à ce qui s’était passé. Il s’avérait que la planète était, en dépit de tout, habitée !

Et comment ! Des êtres humanoïdes de haute taille, peut-être même intelligents, peut-être même civilisés …

— Stas, lança Maïka en courant, et si c’était un Panthien ?

— D’où viendrait-il ? m’étonnai-je.

— D’où … d’où on veut … Nous ne connaissons pas le projet en détail. Il se peut que le transfert soit déjà commencé.

— Mais non, dis-je. Il ne ressemble pas à un Panthien. Ils sont grands, à la peau rouge … Et puis, ils sont habillés, eux, et celui-ci est complètement nu !

Nous nous arrêtâmes devant la trappe, et je laissai Maïka entrer la première.

— Brrr ! (Elle se frotta les épaules.) Alors, on va recevoir un savon ?

— Et un bon.

— Un très bon, renchérit-elle.

— Un très bon savon modèle de bain.

À pas de loup nous nous introduisîmes dans le poste de pilotage, néanmoins ne réussîmes pas à y rester inaperçus. Nous étions attendus. Komov déambulait de long en large, les bras croisés derrière son dos ; Wanderkhouzé, le regard perdu et la mâchoire avancée, enroulait ses favoris : le favori droit sur son index droit, le favori gauche sur son index gauche. Nous voyant, Komov s’arrêta, mais Maïka ne le laissa pas ouvrir la bouche.

— Il a filé, annonça-t-elle d’un ton affairé. Droit dans le marécage, et avec cela, par un moyen totalement extraordinaire.

— Taisez-vous un peu, l’interrompit Komov.

« Ça commence », pensai-je, me préparant à l’avance à être enguirlandé et à ruer dans les brancards. Je me trompais. Komov nous ordonna de nous asseoir, prit place à son tour et s’adressa directement à moi :

— Je vous écoute, Popov. Racontez tout. Jusqu’aux plus infimes détails.

Il est intéressant de noter que je n’en fus même pas surpris. Cette façon de poser le problème me sembla parfaitement naturelle. Alors je racontai tout bruissements, odeurs, pleurs de bébé, cris de femme, dialogue étrange la veille au soir, revenant noir la nuit dernière. Maïka m’écoutait, la bouche entrouverte ; Komov ne quittait pas mon visage du regard, ses yeux plissés étaient de nouveau attentifs et froids, ses traits se durcirent, il mordillait sa lèvre inférieure et de temps en temps entrelaçait fortement ses doigts, faisant craquer les jointures. Quand je terminai, le silence s’installa. Ensuite Komov demanda :

— Êtes-vous sûr que c’est un bébé qui pleurait ?

— Ou-oui … En tout cas, ça y ressemblait beaucoup …

Wanderkhouzé reprit bruyamment son souffle et tapota l’accoudoir de son fauteuil avec sa main.

— Et tu as supporté ça ! s’exclama Maïka, impressionnée. Pauvre petit Stas !

— Je dois t’avouer, Stas … commença Wanderkhouzé, important, mais Komov l’interrompit :

— Et les cailloux ?

— Quels cailloux ? (Je ne comprenais pas.)

— D’où viennent les cailloux ?

— Ceux du chantier de construction ? Ça doit être les cybers qui les ont apportés. Quel rapport ?

— Où les cybers pouvaient-ils les prendre ?

— Heu-heu … (Je me tus en effet, où ?)

— Autour de nous s’étend une plage de sable, continua Komov. Pas le moindre petit galet. Les cybers n’ont pas quitté le chantier. D’où viennent donc les cailloux sur la piste et d’où viennent les branches sèches ? (Il nous regarda à tour de rôle et eut un rire bref.) Ce ne sont, naturellement, que des questions rhétoriques. Je peux ajouter que sous la poupe de notre vaisseau, juste sous le phare, il y a un gros tas de pavés. Un tas particulièrement curieux. Je peux également ajouter … Excusez-moi, avez-vous terminé, Stas ? Et maintenant écoutez ce qui m’est arrivé à moi.

Il s’avéra que Komov aussi avait connu des moments pénibles. Il est vrai que ses épreuves étaient d’un genre quelque peu différent. C’étaient les épreuves de son intellect. Le deuxième jour après notre arrivée, lâchant dans le lac des poissons panthiens, il remarqua à une vingtaine de pas une extraordinaire tache rouge vif qui fondit et disparut avant qu’il se décidât à s’en approcher. Le lendemain il découvrit au sommet de la hauteur un poisson crevé, faisant indiscutablement partie de ceux qu’il avait lâchés dans l’eau la veille. À l’aube du quatrième jour, il se réveilla avec la sensation très nette qu’un étranger se trouvait dans sa cabine. Il n’en découvrit aucun, mais entendit le claquement de la trappe. Une fois descendu du vaisseau il vit premièrement un tas de cailloux près de la poupe et deuxièmement des cailloux et des brassées de branches sèches sur le chantier de construction. Après avoir parlé avec moi, il s’ancra définitivement dans l’idée que quelque chose d’étrange se passait aux alentours de l’astronef. Il se sentait déjà pratiquement sûr que les groupes de recherches avaient manqué un facteur extrêmement important existant sur la planète, et seule la certitude profonde qu’il était impossible de ne pas avoir remarqué la vie intelligente l’avait empêché de prendre les mesures les plus résolues. Il se borna seulement à agir en sorte que la région où travaillait notre équipe ne devint pas un lieu d’invasion pour les « fainéants curieux ». C’est précisément pour cette raison qu’il fit son possible afin de formuler le rapport d’enquête en termes propres à ne pas provoquer le moindre doute. Entre-temps, mon état dépressivo-excité confirmait à merveille son idée première que des êtres inconnus étaient capables de pénétrer à bord du vaisseau. Il se mit à attendre leur arrivée et ce matin son attente fut comblée.

— Je résume, déclara-t-il comme en faisant un cours. On peut déjà affirmer que cette région de la planète, contrairement aux données des recherches préliminaires, est habitée par des vertébrés de grande taille ; de surcroît, tout porte à croire que ces êtres sont intelligents. Visiblement, ce sont des troglodytes qui se seraient adaptés à la vie dans des cavités souterraines. À juger par ce que nous avons vu, un aborigène moyen rappelle anatomiquement un homme, possède une faculté prononcée de mimétisme ainsi que, probablement en liaison avec cette faculté, le don de reproduire des fantômes de défense et de diversion. Je dois dire que parmi les vertébrés de grande taille ce don n’a été noté jusqu’à présent que chez certains rongeurs de la Pandore ; quant à la Terre, quelques espèces de mollusques céphalopodes la possèdent. Et maintenant je voudrais particulièrement souligner le fait qu’en dépit de ces facultés extrahumaines et, d’une façon générale, non humanoïdes, l’aborigène local est proche d’une manière sans précédent de l’homme terrestre non seulement sur le plan anatomique, mais aussi physiologique et, notamment, neurologique. J’ai terminé.

— Comment ça, vous avez terminé ? m’écriai-je, pris de peur. Et mes voix ? Donc, c’était des hallucinations ?

Komov sourit :

— Calmez-vous, Stas. Vous allez parfaitement bien. Vos « voix » s’expliquent facilement si l’on suppose que leur appareil vocal est identique au nôtre. La similitude de l’appareil vocal plus le don développé d’imitation, plus la mémoire phonétique hypertrophiée …

— Attendez, intervint Maïka. Je comprends qu’ils ont pu entendre en cachette nos conversations, mais la voix de la femme ?

Komov opina.

— Oui, nous sommes obligés de supposer qu’ils étaient présents lors de l’agonie.