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URGENT, LIAISON-ZÉRO. CENTRE, COMMISSION POUR LES CONTACTS, BADER AU COMMANDANT DE L’ER-2. CONFIRMEZ IMMÉDIATEMENT LA DÉCOUVERTE DES DÉPOUILLES DE DEUX, JE RÉPÈTE, DE DEUX CORPS À BORD DU VAISSEAU ET L’ÉTAT DU JOURNAL DE BORD DÉCRIT DANS VOTRE RAPPORT D’ENQUÊTE.

BADER.

Komov jeta la carte à Wanderkhouzé.

— C’est donc ça, proféra-t-il. Bon, bon … (Il se tourna vers moi.) Stas, qu’êtes-vous en train de faire ?

— Je code, répondis-je sombrement. Je ne comprenais rien.

— Donnez-moi le dictaphone, pria-t-il. Nous allons attendre un peu. Il cacha l’appareil dans sa poche de poitrine dont il boutonna soigneusement la patte. Eh bien, Yakov. Confirmez ce qu’ils vous demandent. Stas, transmettez la confirmation. Et après, Yakov, je vous demanderai … Vous vous y connaissez mieux que moi. Ayez l’amabilité de fouiller dans notre filmothèque et d’éplucher les documents officiels concernant les journaux de bord.

— Je sais tout concernant les journaux de bord sans avoir besoin de regarder, protesta Wanderkhouzé, mécontent. Dites-moi plutôt simplement ce qui vous intéresse.

— Je ne le sais pas trop moi-même. Je voudrais apprendre si le journal de bord a été effacé par hasard ou volontairement. Si c’est volontairement, pourquoi. Vous voyez bien que Bader aussi s’y intéresse. Ne soyez pas paresseux, Yakov. Il existe bien des règles qui prévoient la destruction du journal de bord.

— Ces règles n’existent pas, bougonna Wanderkhouzé, néanmoins il s’en alla, faisant ainsi la preuve de l’amabilité sollicitée.

Komov s’assit pour écrire la confirmation et moi, je réfléchissais douloureusement à ce qui se passait, me demandant pourquoi il y avait une telle panique et comment les gens du Centre avaient pu douter des termes sans ambiguïté aucune de notre rapport. Ils ne s’imaginaient quand même pas que nous avions confondu la dépouille d’un Terrien avec celle d’un aborigène et que nous avions ajouté un cadavre en trop. Nom d’un chien, comment Gorbovski a-t-il réussi à deviner ce qui se passait chez nous ? Mes méditations étaient totalement vaines, je contemplais cafardeusement les écrans où les choses s’inscrivaient de façon si claire et si compréhensible, et je pensais, amer, qu’un homme un peu obtus rappelle bien tristement un cyber.

Me voilà assis en train d’exécuter bêtement les ordres : on m’a dit de coder, j’ai codé, on m’a dit d’arrêter, j’ai arrêté, mais sans rien comprendre à ce qui arrivait, ni pourquoi, ni comment cela se terminerait. Exactement comme mon Tom : il est en train de bosser, le pauvre bougre, à la sueur de son front, il s’efforce d’accomplir aussi bien que possible mes ordres et il ne pense pas une seconde que dans dix minutes je vais arriver, le faire rentrer avec toute sa compagnie dans la soute et que son travail se révélera inutile, ainsi que lui-même, que personne n’en aura besoin …

Komov me transmit la confirmation, je codai le texte et j’allai m’asseoir devant mon tableau de commande lorsque retentit soudain un appel de la base.

— ER-deux ? s’enquit une voix calme. Ici Sidorov.

— ER-deux écoute ! répliquai-je immédiatement. Ici le cybertechnicien Popov. À qui voulez-vous parler, Mikhaïl Albertovitch ?

— À Komov, s’il vous plaît.

Komov se trouvait déjà dans le fauteuil voisin :

— Je t’écoute, Atos.

— Que s’est-il passé chez vous ?

— Les aborigènes, répondit Komov après un temps.

— Plus de détails, si c’est possible, pria Sidorov.

— Avant tout tiens compte, Atos, commença Komov, que je ne sais ni ne comprends pas comment Gorbovski s’est renseigné sur les aborigènes. Nous-mêmes, nous avons commencé à comprendre de quoi il s’agissait il y a à peine deux heures. J’ai préparé l’information pour toi, on était déjà en train de la coder et là les choses se sont tellement embrouillées que je suis obligé de te demander d’attendre encore un peu. Le vieux Bader m’a poussé à avoir une idée de première, je dois te dire … En un mot, patiente, s’il te plaît.

— Je vois. Mais le fait même de l’existence des aborigènes est-il certain ?

— Absolument, répliqua Komov.

On entendit Sidorov soupirer :

— Eh bien. Tant pis. On recommencera tout.

— Je regrette beaucoup que cela se soit passé ainsi, prononça Komov. Parole d’honneur, c’est dommage.

— Ça ne fait rien. Nous y survivrons. (Sidorov se tut pour quelques instants.) Que penses-tu entreprendre maintenant ? Tu vas attendre la commission ?

— Non. Je vais m’y mettre aujourd’hui même. J’ai un grand service à te demander laisse l’ER-deux avec l’équipage à ma disposition.

— Aucun problème. Bon, je ne vais pas te retarder. Si tu as besoin de quelque chose …

— Merci, Atos. Ne t’inquiètes pas, ça va s’arranger.

— Espérons-le.

Ils se saluèrent. Komov mordilla l’ongle de son pouce, me regarda avec une irritation inexplicable et recommença à arpenter le poste de pilotage. Je devinais ce qui le tracassait. Komov et Sidorov étaient de vieux amis, ils avaient fait leurs études ensemble, travaillé quelque part ensemble, mais Komov jouissait toujours d’une sacrée chance tandis que Sidorov se faisait appeler derrière son dos Atos-le malchanceux. Je ne sais pas pourquoi c’était comme ça. En tout cas, Komov devait éprouver actuellement une grande gêne. De surcroît, ce radiogramme de Gorbovski. Il en résultait que Komov avait informé le Centre en passant par-dessus Sidorov …

Je me faufilai doucement vers mon tableau de commandé et arrêtai mes cybers. Komov, déjà installé à sa table, rongeait son ongle et écarquillait les yeux sur des feuilles éparpillées. Je demandai la permission de sortir du vaisseau.

— Pourquoi ? faillit-il se rebiffer, mais il se rattrapa aussitôt : ah, le cybersystème … Je vous en prie, je vous en prie. Mais revenez dès que vous aurez terminé.

Je fis rentrer mes gamins dans la soute, les désactivai, les fixai dans l’éventualité d’un départ inattendu et restai quelques moments près de la trappe à contempler le chantier de construction vide, les murs blancs de la station météorologique qui ne serait pas réalisée, l’iceberg toujours aussi idéal et insensible. La planète me semblait à présent différente. Quelque chose y avait changé. Ce brouillard, ces broussailles naines, ces contreforts rocheux recouverts de taches de neige lilas se trouvaient désormais chargés d’un sens. Le silence demeurait, bien sûr, mais il n’y avait plus de vide, et c’était bien.

Je regagnai l’astronef, jetai un coup d’œil dans le mess des officiers où un Wanderkhouzé de mauvaise humeur fouillait dans la filmothèque. Le cœur gros, j’allai me consoler auprès de Maïka. Elle avait étalé sur toute la surface de sa cabine un collage énorme et s’allongeait dessus avec une loupe sur l’œil. Elle ne se tourna même pas.

— Je ne comprends rien, dit-elle, mécontente. Ils ne peuvent vivre ici nulle part. Nous avons inspecté l’ensemble des lieux susceptibles de convenir plus ou moins à un habitat. Tu ne vas pas me raconter que c’est dans un marécage qu’ils barbotent !

— Et pourquoi pas ? fis-je, m’asseyant.

Maïka croisa les jambes en tailleur et me contempla à travers sa loupe.

— Un humanoïde ne peut pas vivre dans un marécage, déclara-t-elle avec autorité.

— Pourquoi donc ? protestai-je. Chez nous, sur la Terre, il y a eu des tribus qui habitaient même sur des lacs, dans des constructions à pilotis …

— Si dans ces marécages il y avait ne serait-ce qu’une seule construction …

— Peut-être vivent-ils sous l’eau, comme des araignées aquatiques, dans des cloches d’air ?