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— « PROJET ARCHE ER-2. À L’ATTENTION DE WANDERKHOUZÉ ET DE KOMOV. L’ASTRONEF QUE VOUS AVEZ DÉCOUVERT, NUMÉRO D’IMMATRICULATION TANT, EST UN VAISSEAU D’EXPÉDITION, LE PÉLERIN APPARTIENT AU PORT DEIMOS, EST PARTI LE DEUX JANVIER DEUX CENT TRENTE ET UN POUR UNE RECHERCHE LIBRE DANS LA ZONE « TZ ». LA DERNIÈRE INFORMATION A ÉTÉ REÇUE LE SIX MAI DEUX CENT TRENTE-QUATRE EN PROVENANCE DE LA RÉGION OMBRE. ÉQUIPAGE SEMIONOVA MARIE-LOUISE ET SEMIONOV ALEXANDRE PAVLOVITCH. DEPUIS LE VINGT ET UN AVRIL DEUX CENT TRENTE-TROIS ENCORE UN PASSAGER, SEMIONOV PIERRE ALEXANDROVITCH. ARCHIVES DU PÉLERIN …

Il y avait encore quelque chose, mais soudain Komov rit dans mon dos, et je me tournai vers lui, stupéfait. Komov riait, Komov rayonnait.

— C’est ce que je pensais ! s’exclama-t-il, triomphant, tandis que nous le regardions tous bouche-bée. C’est ce que je pensais ! C’est un homme ! Vous comprenez, les gars ? C’est un homme !

CHAPITRE V

HUMAINS ET NON HUMAINS

— Restez à vos places ! commanda gaiement Komov.

Il embarqua les étuis avec les appareils et s’en alla. Je regardai Maïka. Elle se dressait, tel un poteau, au milieu du poste de pilotage, le regard embrumé, bougeant ses lèvres sans qu’on entendît un son.

Je regardai Wanderkhouzé. Ses sourcils étaient hissés haut sur son front, ses favoris s’ébouriffaient ; pour la première fois à ma connaissance il ne ressemblait pas à un mammifère, mais à un poisson-diable tiré de l’eau. Sur l’écran panoramique on voyait Komov, les appareils pendant de partout, marchant allègrement vers le marécage le long du chantier de construction.

— Bon, bon, bon ! fit Maïka. Voilà donc pourquoi il y avait des jouets …

— Pourquoi ? s’intéressa vivement Wanderkhouzé.

— Il jouait avec, expliqua Maïka.

— Qui ? demanda Wanderkhouzé. Komov ?

— Non. Sémionov.

— Sémionov ? répéta Wanderkhouzé, surpris. Hum … Et alors ?

— Sémionov-junior, dis-je, impatient. Le passager. Le bébé.

— Quel bébé ?

— Le bébé des Sémionov ! s’exclama Maïka. Vous comprenez maintenant pourquoi ils avaient ce dispositif de couture ? Petits bonnets, petites brassières, petits langes …

— Petits langes ! fit écho Wanderkhouzé, ébahi. Donc, ils ont eu un bébé ! Oui, oui, oui, oui ! Et moi qui me demandais où ils avaient ramassé un passager et, qui plus est, un homonyme ! Loin de moi l’idée que … Mais bien sûr !

L’appel de radio chanta. Je répondis machinalement. C’était Vadik. Il parlait à la hâte, à mi-voix, apparemment il craignait d’être surpris en flagrant délit.

— Que se passe-t-il chez vous, Stas ? Raconte vite, nous sommes sur le point de partir …

— Comment veux-tu que je te raconte des choses pareilles vite ? grognai-je, mécontent.

— En deux mots. Vous avez trouvé le vaisseau des Pèlerins ?

— Quels Pèlerins ?

— Ceux que cherche Gorbovski …

— Qui a trouvé ?

— Vous avez trouvé ! Vous l’avez bien trouvé, n’est-ce pas ? (Soudain, sa voix changea.) Je vérifie le réglage, annonça-t-il sévèrement. Je me débranche.

— Qu’a-t-on trouvé ? demanda Wanderkhouzé. Quel vaisseau encore ?

J’esquissai un geste négligent :

— Ah, ce n’est rien, des curieux … Ainsi, il est né au mois d’avril trente-trois, et leur dernier appel date du mois de mai trente-quatre … Yakov, à quelle fréquence devaient-ils appeler ?

— Une fois par mois, répondit Wanderkhouzé. Quand un vaisseau effectue une recherche libre …

— Une petite minute, dis-je. Mai, juin …

— Treize mois, m’interrompit Maïka.

Je ne la crus pas et recomptai moi-même.

— Oui, confirmai-je.

— C’est inimaginable, pas vrai ?

— Qu’est-ce qui est inimaginable, à proprement parler ? s’enquit prudemment Wanderkhouzé.

— Le jour de l’accident, expliqua Maïka, le bébé avait un an et un mois. Comment a-t-il pu survivre ?

— Les aborigènes, expliquai-je. Sémionov a effacé le journal de bord. Donc, il a vu quelqu’un. Komov n’avait aucune raison de m’aboyer au nez ! C’étaient les véritables pleurs d’un bébé ! Comme si je n’avais jamais entendu pleurer des bébés d’un an !.. Ils ont tout enregistré, et quand il a grandi, ils le lui ont donné à écouter.

— Pour enregistrer il faut avoir des moyens techniques, remarqua Maïka.

— Bon, s’ils ne l’ont pas enregistré, ils l’ont retenu par cœur, consentis-je. Cela n’a pas d’importance.

— Ah ! fit Wanderkhouzé. Il a donc vu soit des non-humanoïdes, soit des humanoïdes, mais au stade de la civilisation mécanique. Ce pourquoi il a effacé son journal de bord. Selon le règlement.

— Ça ne ressemble pas à une civilisation mécanique, objecta Maïka.

— Ainsi, ce sont des non-humanoïdes … (Soudain, je compris.) Les gars, s’il y a ici des non-humanoïdes, c’est un tel truc que je ne sais même plus … Un homme-intermédiaire, vous saisissez ? Il est à la fois un homme et un non-homme, un humanoïde et un non-humanoïde ! Cela n’est encore jamais arrivé. Personne n’aurait osé rêver à une chose pareille !

J’étais en extase. Maïka aussi. Des perspectives nous éblouissaient. Des perspectives floues, vagues, mais irisées à en rendre aveugle. Il ne s’agissait pas uniquement du fait que, pour la première fois dans l’histoire, un contact avec des non-humanoïdes devenait possible. L’humanité recevait enfin un miroir unique qui ouvrait devant elle la porte d’un monde jusqu’alors totalement inaccessible, inconcevable, d’une psychologie fondamentalement différente ; désormais les idées imprécises de Komov sur le progrès vertical acquéraient un fondement expérimental …

— Pourquoi les non-humanoïdes se fatigueraient-ils à s’embêter avec un bébé humain ? prononça pensivement Wanderkhouzé. À quoi bon ? Qu’y comprennent-ils ?

Les perspectives se ternirent un tantinet, mais Maïka répliqua aussitôt avec défi :

— On connaît sur la Terre des cas où des non-humanoïdes ont élevé des enfants humains.

— C’est sur la Terre ! répondit tristement Wanderkhouzé.

Il avait raison. Tous les non-humanoïdes intelligents connus étaient bien plus éloignés de l’homme que les loups ou même les pieuvres. Un spécialiste aussi sérieux que Kruger affirmait bien que les limaces intelligentes de la Garrita considéraient les hommes, en dépit de leurs réalisations techniques, non pas comme un phénomène d’un monde réel, mais comme un fruit de leur inimaginable imagination …

— Néanmoins, il est sorti sauf de l’accident et a survécu ! déclara Maïka.

Elle également avait raison.

Je suis sceptique de nature. Je n’aime pas exagérer et me livrer aux fantaisies démesurées. Je ne suis pas Maïka. Néanmoins, on ne pouvait simplement pas supposer quelque chose d’autre. Un bébé d’un an. Tout seul. Un désert de glace. C’est évident qu’il n’aurait pas pu survivre par ses propres moyens. Avec cela, par ailleurs — le journal de bord effacé. Que pouvait-on proposer encore comme explication ? Des visiteurs-humanoïdes qui se seraient retrouvés dans les parages, qui l’auraient nourri et puis seraient repartis ? Sornettes …

— Peut-être n’a-t-il pas survécu ? demanda Maïka. Peut-être que la seule chose qui en reste ce sont ses pleurs et les voix de ses parents ?

L’espace d’un instant il me sembla que tout s’était écroulé. Cette fichue Maïka avec ses éternelles fantaisies. Mais je protestai immédiatement :

— Et comment s’introduit-il dans le vaisseau ? Comment commande-t-il mes cybers ? Non, les gars, ou bien nous avons rencontré dans le cosmos une copie exacte — Vous comprenez ? — exacte, idéale de l’humanité, ou bien c’est un Mowgli cosmique. Je ne sais pas ce qui est le plus probable.