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— Ni moi, fit Maïka.

— Ni moi, se joignit à nous Wanderkhouzé.

La voix de Komov déclara du haut-parleur :

— Votre attention, s’il vous plaît ! Je suis arrivé sur ma position. Observez bien les environs. D’ici je vois peu de chose. Y a-t-il eu des radiogrammes ?

Je jetai un œil dans le casier de réception.

— Une pile entière, dis-je.

— Une pile entière, répéta Wanderkhouzé dans le micro.

— Stas, avez-vous envoyé les miens ?

— Ah … pas complètement, répondis-je, m’installant précipitamment à mon émetteur.

— Pas complètement, fit écho Wanderkhouzé dans le micro.

— Je constate que règne à bord une pagaille noire ! lança Komov. Assez philosophé, mettez-vous au travail. Maya, surveillez l’écran. Oubliez le reste et surveillez l’écran. Popov, mon dernier radiogramme doit être envoyé d’ici dix minutes. Yakov, lisez-moi ce qui est arrivé à mon nom.

Quand je finis d’émettre et regardai alentour, tout le monde était occupé. Maïka se trouvait devant le tableau de commande de l’écran panoramique où l’on apercevait Komov, une silhouette minuscule, juste au bord de l’eau. Au-dessus du marécage ondulait le brouillard ; aucun autre mouvement n’était visible sur la totalité des trois cent soixante degrés dans un rayon de sept kilomètres autour du vaisseau. Komov, assis, nous tournait le dos apparemment il attendait que notre Mowgli surgît du marécage. Maïka tournait lentement la tête de gauche à droite, inspectant les environs et de temps en temps agrandissait au maximum un endroit suspect ; alors, sur les écrans des petits moniteurs apparaissait tantôt un buisson aux branches tombantes, tantôt l’ombre lilas d’une dune sur du sable scintillant, tantôt une tache indéfinissable dans la brosse clairsemée des arbres nains.

Wanderkhouzé bougonnait avec monotonie dans le micro « variantes de la psychotine deux points seize n barre de fraction trente-deux dz ou seize m … comme maman … barre de fraction trente et un upsilon … « Cela suffit, disait Komov. Le suivant. « Moscou, Londres Cartrite, cher Guénnadi, je vous rappelle encore une fois votre promesse de donner votre avis … » « Cela suffit. Le suivant. » « Centre de presse … » « Cela suffit. Plus loin. Yakov, ne lisez que ce qui vient du Centre ou de la base. » Une pause Wanderkhouzé tria des cartes. « Centre Bader, les dispositifs zéro que vous avez demandés sont en train d’être transportés sur la base, envoyez vos considérations préliminaires sur les points suivants premièrement autres zones probables d’habitation des aborigènes … » « Cela suffit. Plus loin … »

À cet instant la base m’appela. Sidorov demandait à parler avec Komov.

— Komov est sur le contact, Mikhaïl Albertovitch, répondis-je, coupable.

— Le contact a-t-il commencé ?

— Pas encore. Nous l’attendons.

Sidorov toussa.

— Bon, je le joindrai plus tard. Ce n’est pas urgent. (Il se tut quelque temps.) Émus ?

Je prêtai l’oreille à mes sensations.

— N-nous ne sommes pas vraiment émus … Une impression étrange. Comme dans un rêve. Comme dans un conte.

Sidorov soupira.

— Je ne vais pas vous gêner, dit-il. Bonne chance.

Je le remerciai. Puis j’appuyai mon coude sur le tableau, posai mon menton sur ma paume et tendis de nouveau l’oreille à mes sensations. Oui, étrange. Un homme — un non-homme. Il est probable qu’en réalité on ne peut pas l’appeler un homme. Un bébé humain élevé par des loups devient, en grandissant, un loup. S’il est élevé par des ours, il devient un ours. Et si c’était une pieuvre qui s’était mise à élever un bébé humain ? Au lieu de le manger, elle l’aurait élevé … Il ne s’agit même pas de cela. Un loup, un ours, une pieuvre, sont dépourvus d’intelligence. En tout cas, de ce que les xénologues appellent l’intelligence. Et si notre Mowgli a été élevé par des êtres intelligents qui, dans un certain sens, sont aussi des pieuvres ? … Ou encore plus étrangers que des pieuvres … Car c’est bien eux qui lui ont appris à projeter des fantômes de défense, lui ont enseigné le mimétisme. L’organisme humain ne possède rien pour ce genre de trucs, donc, c’est un dispositif artificiel. Attendez, mais à quoi le mimétisme lui sert-il ? De qui donc est-il habitué à se défendre ? La planète est vide ! Dans ce cas elle ne l’est pas.

Je m’imaginai d’énormes cavernes inondées d’une lumière lilas illusoire, des recoins lugubres où se tapissait un danger mortel et un petit garçon longeant à pas de loup un mur gluant, prêt à disparaître à tout instant, à se diluer dans une lueur trompeuse, laissant à l’ennemi son ombre mouvante qui fondait. Pauvre gosse ! Il faut immédiatement le faire partir d’ici … Stop, stop, stop ! Fadaises que cela. C’est impossible. Il est impossible d’admettre l’existence d’une vie complexe, sage, expérimentée et nier le grouillement autour d’elle d’une vie plus simple, plus stupide. Combien a-t-on découvert ici d’espèces vivantes ? Onze ou douze, couvrant l’éventail d’un virus jusqu’à un bébé humain. Non, c’est impossible. Il y a quelque chose qui cloche. Bon, nous le saurons bientôt. Le gamin nous le racontera. Et s’il ne nous raconte rien ? Les louveteaux humains, ont-ils raconté beaucoup de choses aux gens sur les loups ? Sur quoi donc compte Komov ? J’eus envie de lui demander sur quoi il comptait.

Ayant lu le dernier radiogramme, Wanderkhouzé s’allongea dans un fauteuil, croisa ses mains derrière sa tête et prononça pensivement :

— Vous savez que je connaissais les Sémionov ? Je dois vous dire que c’étaient des gens très gentils et en même temps très étranges. Des romantiques des anciens temps. Alexandre connaissait toutes les lois de jadis, les citait sans arrêt. Elles nous semblaient amusantes et ridicules, lui, il y trouvait je ne sais quel charme … La catastrophe, l’agonie, les monstres terrifiants qui envahissent le vaisseau … Détruire le journal de bord, effacer la trace qu’on a laissée dans l’espace parce que cette trace mène à la Terre ! Oui, cela lui ressemble beaucoup. (Wanderkhouzé se tut.) À propos, reprit-il, les gens qui cherchent la solitude sont bien plus nombreux que nous le croyons. Car la solitude n’est pas une chose si mauvaise que ça, qu’en pensez-vous ?

— Pas en ce qui me concerne, lança brièvement Maïka sans quitter l’écran des yeux.

— C’est parce que tu es jeune, protesta Wanderkhouzé. À ton âge Alexandre Sémionov aimait, lui aussi, se lier d’amitié avec beaucoup de gens, il aimait que beaucoup de gens se lient d’amitié avec lui. Pour travailler ensemble, en une grande bande bruyante. Organiser des brain-trusts, se trouver continuellement dans une tension pleine de gaieté, être sans cesse en compétition, peu importe en quoi — en sauts ailés, en quantité de bons mots débités à la minute, en connaissance par cœur de je ne sais quelles tables … en tout. Et dans les intervalles chanter à tue-tête, en s’accompagnant d’un nécophone, des chansons de sa propre composition. (Wanderkhouzé soupira.) Généralement, cela passe quand vient le véritable amour … Du reste, je ne sais rien là-dessus. Je sais seulement qu’à partir de l’année vingt Alexandre et Marie sont partis dans le groupe des recherches libres. En fait, je ne les ai pas revus depuis. J’ai parlé une fois avec eux par la vidéo … À l’époque j’étais le dispatcher, et Alexandre m’a demandé la permission de quitter la Pandore. (Wanderkhouzé soupira de nouveau.) À propos, son père vit toujours. À notre retour il faudra sans faute aller le voir … (Il fit une pause.) Voyez-vous, j’ai toujours été contre la recherche libre, déclara-t-il. C’est un archaïsme. Rôder dans le cosmos en solitaire, c’est dangereux, les possibilités d’obtenir des résultats scientifiques sont quasi nulles, souvent ces chercheurs gênent le travail des autres … Vous vous rappelez l’histoire de Kammerer ? Ils se comportent invariablement comme si nous avions conquis le cosmos, comme si nous y étions chez nous. C’est faux. Ce ne sera jamais vrai. Le cosmos restera toujours le cosmos ; et l’homme ne sera toujours qu’un homme. Il deviendra de plus en plus expérimenté, mais aucune expérience ne sera suffisante pour se sentir dans le cosmos chez soi … À mon avis, Alexandre et Marie n’ont rien trouvé, en tout cas rien digne d’être raconté ne serait-ce qu’à table dans un mess.