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Nous ne comprîmes pas.

— Pourquoi donc l’unique ? demandai-je. Il n’est absolument pas unique !

— Le Petit est profondément convaincu qu’à part lui il n’y a pas un aborigène intelligent sur cette planète, prononça Komov en appuyant les mots.

Le silence s’établit. Komov se leva.

— Nous avons beaucoup de travail, annonça-t-il. Le Petit a l’intention de nous faire une visite officielle demain.

CHAPITRE VI

LES NON-HUMAINS ET LES QUESTIONS

Nous travaillâmes toute la nuit. Un diagnosteur improvisé muni d’un indicateur d’émotions fut installé dans le mess des officiers. Ensemble avec Wanderkhouzé nous l’avions monté littéralement à partir de rien. Ce petit appareil était peu puissant, chétif, avec une sensibilité écœurante, toutefois il mesurait à peu près certains paramètres physiologiques. Quant à l’indicateur, il ne possédait que trois positions de base les émotions négatives fortement prononcées (voyant rouge), les émotions positives fortement prononcées (voyant vert) et le reste de la gamme émotionnelle (voyant blanc). Mais que pouvions-nous faire ? Dans notre section médicale se trouvait un magnifique diagnosteur stationnaire, seulement nous comprenions parfaitement que le Petit n’accepterait jamais de se coucher, sans rime ni raison, dans un sarcophage blanc mat au lourd couvercle hermétique. Bref, nous terminâmes tant bien que mal vers neuf heures, et c’est là que le problème de garde au poste DMA se dressa devant nous dans toute sa grandeur.

Wanderkhouzé, en tant que commandant de l’astronef, responsable de la sécurité, de l’inviolabilité etc, refusa catégoriquement d’annuler la garde. Maïka qui avait passé au poste la seconde moitié de la nuit se berçait, naturellement, de l’espoir qu’elle serait sûrement, plus que quiconque, présente durant la visite officielle. Cependant, elle fut amèrement déçue. Il se révéla que seul Wanderkhouzé pouvait travailler en professionnel avec le diagnosteur. Il se révéla aussi que moi seul pouvais surveiller le bon état de marche du diagnosteur qui risquait à chaque instant de perdre son réglage. Et, pour la fin, Komov, guidé par je ne sais quelles hautes considérations xénopsychologiques, jugeait indésirable la présence d’une femme lors du premier entretien avec le Petit. Sans un mot, Maïka, pâle de rage, regagna son poste. Wanderkhouzé qui gardait tout son sang-froid ne manqua pas de suivre son départ avec le capteur du diagnosteur. Ainsi les personnes intéressées furent-elles en mesure de constater que l’indicateur des émotions marchait : le voyant rouge brûla jusqu’à ce que Maïka disparût dans le couloir. Au demeurant, du poste DMA, on pouvait entendre ce qui se disait dans le mess grâce à l’intercom muni d’un amplificateur.

À neuf heures quinze, heure de bord, Komov se plaça au centre du mess et regarda alentour. Tout était prêt. Le diagnosteur, mis au point et branché, fonctionnait, des plats de friandises ornaient la table, l’éclairage s’adaptait à la lumière du jour locale. Komov répéta brièvement les instructions concernant le comportement à suivre lors du contact, fit marcher les enregistreurs et nous invita à nous asseoir. Nous commençâmes à attendre.

Il arriva à neuf heures quarante, heure de bord.

Il s’arrêta sur le seuil, sa main gauche agrippée au chambranle, sa jambe droite repliée. Il resta ainsi probablement une minute entière à nous examiner à tour de rôle à travers les ouvertures de son masque mortuaire. Le silence était tel que j’entendais sa respiration — mesurée, puissante, libre, semblable au fonctionnement d’un mécanisme bien réglé. De très près, fortement éclairé, il produisait une impression encore plus étrange. Tout en lui était étrange sa pose, humainement parlant totalement artificielle et en même temps aisée ; sa peau d’un bleu verdâtre, brillante comme enduite de laque ; la disproportion désagréable dans la disposition de ses muscles et de ses tendons ; ses genoux extraordinairement développés ; ses pieds étonnamment étroits et longs. Également le fait qu’il s’avéra n’être pas si petit que ça, de la taille de Maïka, l’absence d’ongles sur les doigts de sa main gauche, et la touffe de feuilles qu’il serrait dans son poing droit.

Finalement, son regard se fixa sur Wanderkhouzé. Il le regarda si longtemps et si attentivement qu’une idée démente me passa par la tête : le Petit, ne devinait-il pas le rôle du diagnosteur ? Quant à notre brave commandant, il se résolut au bout d’un moment à ébouriffer ses favoris avec une certaine nervosité et s’inclina un peu, contrairement aux instructions reçues.

— Phénoménal ! prononça fortement et distinctement le Petit avec la voix de Wanderkhouzé.

Le voyant vert s’alluma.

Le commandant ébouriffa derechef ses favoris et eut un sourire engageant. Le visage du Petit s’anima immédiatement. Wanderkhouzé reçut en récompense une série entière de grimaces effroyables qui se suivaient à une allure inouïe. Une sueur froide apparut sur le front du commandant. Je ne sais pas comment cela se serait terminé, mais à cet instant le Petit se décolla enfin du chambranle, glissa le long du mur et s’arrêta près de l’écran du vidéophone.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

— C’est un vidéophone, répondit Komov.

— Oui, dit le Petit. Tout bouge et il n’y a rien. Des images.

— Voilà de la nourriture, annonça Komov. Tu veux manger ?

— De la nourriture à part ? interrogea le Petit de manière incompréhensible, et il s’approcha de la table. C’est de la nourriture ? Ça n’y ressemble pas. Charade.

— Ça ne ressemble pas à quoi ?

— À la nourriture.

— Goûte quand même, conseilla Komov en avançant le plateau de meringues.

Alors le Petit tomba soudain sur les genoux, tendit ses mains et ouvrit la bouche. Nous nous taisions, sidérés. Lui ne bougeait pas non plus. Ses yeux étaient fermés. Cela ne dura que quelques secondes ; puis il se renversa subitement d’un mouvement souple sur le dos, s’assit et jeta violemment les feuilles froissées par terre devant lui. De nouveau des rides rythmiques parcoururent son visage. Il se mit à bouger les feuilles avec des effleurements rapides et étonnamment précis, s’aidant de temps en temps d’un pied. Komov et nous, à moitié relevés de nos sièges, le cou tendu en avant, l’observions. Les feuilles donnaient l’impression de composer d’elles-mêmes un ornement étrange, indiscutablement régulier, mais qui n’éveillait en nous vraiment aucune association d’idées. L’espace d’un instant le Petit se figea, ensuite, d’un geste, brusque, ramassa les feuilles en un tas. Son visage se pétrifia.

— Je comprends, déclara-t-il. C’est votre nourriture. Moi, je ne mange pas comme ça.

— Regarde comment il faut manger, dit Komov.

Il tendit sa main, prit une meringue, la porta vers ses lèvres d’un mouvement expressément lent, y mordit prudemment et commença à mâcher avec affectation. Une convulsion traversa les traits mortuaires du Petit.

— Non ! cria-t-il presque. On ne doit rien mettre dans la bouche avec ses mains. Il y aura un malheur !

— Essaie quand même, proposa de nouveau Komov. (Il jeta un coup d’œil sur le diagnosteur et se reprit aussitôt :) tu as raison. Il ne faut pas. Qu’allons-nous faire ?

Le Petit s’assit sur son talon gauche et prononça d’une voix riche de baryton :

— Grillon du foyer. Sornettes. Explique-moi une fois de plus quand partez-vous d’ici ?

— Il est difficile de l’expliquer maintenant, répondit Komov avec douceur. Il nous faut absolument apprendre tout ce qui te concerne. Car tu n’as encore rien raconté sur toi. Quand nous te connaîtrons bien, nous partirons, si tu veux.