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— Quoi, moi ? demandai-je, déconcerté et pour cela agressif.

Komov m’envoya immédiatement et avec un plaisir évident un coup de pied dans la cheville.

— J’ai une question pour toi, déclara le Petit. Tout le temps aussi. Seulement tu avais peur. Une fois tu as failli me tuer : tu as sifflé, tu as rugi, tu m’as frappé avec de l’air. J’ai couru loin jusqu’aux montagnes. Cette chose grande, chaude, avec de petites lumières qui fait la terre égale, c’est quoi ?

— Les machines. (Je m’éclaircis la voix.) Les cybers.

— Les cybers, répéta le Petit. Ils sont vivants ?

— Non. Ce sont des machines. Nous les avons fabriquées.

— Vous les avez fabriquées ? Des choses aussi grandes ? Et qui savent bouger ? Phénoménal. Mais elles sont si grandes !

— Parfois elles le sont encore plus.

— Encore plus ?

— Beaucoup plus, renchérit Komov. Plus grandes que l’iceberg.

— Elles aussi, elles bougent ?

— Non, répondit Komov. En revanche, elles réfléchissent.

Et Komov se mit à raconter ce qu’étaient les machines cybernétiques. J’avais peine à juger des mouvements d’âme du Petit. Partant de la supposition que ces derniers s’exprimaient d’une façon ou d’une autre par ses mouvements de corps, on pouvait considérer que le Petit était littéralement anéanti. Il se jetait dans tous les sens à la façon du chat de Tom Sawyer qui avait lapé de l’analgésique. Lorsque Komov lui expliqua pourquoi on ne pouvait pas définir mes cybers comme vivants ou morts, le Petit grimpa au plafond et s’y pendit, épuisé, les paumes et la plante des pieds collés au revêtement en plastique. L’annonce de l’existence des machines, machines gigantesques qui réfléchissaient plus vite, comptaient plus vite, répondaient aux questions un million de fois plus vite que les gens fit rouler le Petit en boule, le projeta dans le couloir et, une seconde plus tard, le propulsa à nouveau à nos pieds — respirant bruyamment, ses immenses yeux assombris, grimaçant effroyablement. Jamais, ni avant ni après, je ne rencontrai un auditeur aussi reconnaissant. Le voyant vert émeraude sur le tableau de l’indicateur brillait comme l’œil d’un chat, tandis que Komov parlait encore et encore, en phrases claires, simplifiées au maximum, d’une voix égale et mesurée, glissant par moments des remarques destinées à intriguer le Petit : « Nous en reparlerons en détail après » ou « En réalité, c’est bien plus compliqué et intéressant, mais pour l’instant tu ne sais pas ce que c’est que l’hémostatique. »

À peine Komov eut-il fini que le Petit bondit sur le fauteuil, s’encercla avec ses longs bras noueux et demanda :

— Peut-on faire de sorte que je parle et que les cybers m’écoutent ?

— Tu l’as déjà fait, dis-je.

Silencieusement, comme une ombre, il tomba sur mes mains sur la table devant moi.

— Quand ?

— Tu sautais devant eux, et le plus grand — il s’appelle Tom — s’est arrêté et t’a demandé les ordres.

— Pourquoi n’ai-je pas entendu la question ?

— Tu l’as vue. Tu te souviens de la petite lumière rouge qui clignotait ? C’est ça, la question. Tom te la posait à sa manière.

Le Petit se coula sur le plancher.

— Phénoménal, fit-il très bas avec ma voix. C’est un jeu. Un jeu phénoménal. Casse-noisettes !

— Que signifie « casse-noisettes » ? intervint soudain Komov.

— Je ne sais pas, dit le Petit, impatient. Un mot, c’est tout. Agréable à prononcer. Chat de Ch-cheshire. Casse-noisettes.

— Comment connais-tu ces mots ?

— Je m’en souviens. Deux grandes personnes tendres. Beaucoup plus grandes que vous … Casse-noisettes … Grillon sur le poêle. Mar-rie ! Le grillon a fai-aim !

Je vous jure, j’en eus la chair de poule ; quant à Wanderkhouzé, il pâlit, et ses favoris s’affaissèrent. Le Petit criait des mots d’une voix de baryton si l’on fermait les yeux on voyait devant soi un homme immense, plein de santé et de joie de vivre, courageux, fort, bon … Puis quelque chose changea dans son intonation, et il tonna très doucement avec une tendresse infinie :

— Mon petit chaton, mon petit renardeau … (Et, brusquement, d’une douce voix féminine :) mon lapin bleu !.. Tu es de nouveau mouillé …

Il se tut, se tapotant le nez de son doigt.

— Et tu te souviens de tout cela ? prononça Komov d’un ton légèrement altéré.

— Bien sûr, répondit le Petit avec la voix de Komov. Pourquoi, tu ne te rappelles pas tout, toi ?

— Non.

— C’est parce que tu ne réfléchis pas comme moi, déclara le Petit avec certitude. Je me rappelle tout. Je n’oublierai rien de ce qui s’est passé autour de moi. Et si je l’oublie, il suffit de bien réfléchir, et ça revient à la mémoire. Si des choses sur moi t’intéressent, je te les raconterai après. Et maintenant, réponds-moi qu’y a-t-il là-haut ? Hier tu as dit les étoiles. Qu’est-ce que c’est, les étoiles ? De là-haut tombe de l’eau. Parfois je ne le veux pas, mais elle tombe. D’où vient-elle ? Et d’où viennent les vaisseaux ? Il y a énormément de questions, j’ai beaucoup réfléchi. Il y a tant de réponses que je ne comprends rien. Non, ce n’est pas ça. Il y a beaucoup de réponses différentes, elles sont mélangées les unes avec les autres comme des feuilles … Il ramassa ses feuilles dans un tas désordonné. Elles se recouvrent les unes les autres, elles se gênent. Tu me répondras ?

Komov se mit à raconter, et de nouveau le Petit se démena dans tous les sens, frémissant d’excitation. J’en eus des taches devant les yeux, fermai les paupières et commençai à cogiter comment se faisait-il que les aborigènes n’avaient pas expliqué au Petit des choses aussi simples ; comment l'avaient-ils roulé au point qu’il ne se doutait même pas de leur existence ; comment le Petit arrivait-il à se rappeler si exactement ce qu’il avait entendu, bébé ; et comme, au fond, c’était terrifiant — surtout le fait qu’il ne comprenait rien de ce qu’il se rappelait.

Là, Komov se tut subitement, une odeur forte d’ammoniaque assaillit mon nez, et j’ouvris les yeux. Le Petit ne se trouvait plus dans le mess des officiers. Juste un fantôme faible, complètement transparent, fondait rapidement au-dessus de la poignée de feuilles dispersées. Au loin la membrane de la trappe clappa doucement. La voix de Maïka demanda, inquiète, par l’intercom :

— Où est-ce qu’il décampe à cette allure ? Il s’est passé quelque chose ?

Je regardai Komov. Il se frottait bruyamment les mains et souriait, l’air pensif.

— Oui. Un tableau fort curieux … Maya ! appela-t-il. Ces moustaches, ont-elles réapparu ?

— Il y en a eu huit, répondit Maïka. Elles viennent juste de disparaître, mais avant elles pointaient le long de toute la crête … et, avec cela, de couleurs différentes — jaunes, vertes … J’ai fait quelques photos.

— Bravo, loua Komov. Maintenant tenez compte, Maya, que vous serez obligatoirement présente lors de la prochaine rencontre … Yakov, prenez les registrogrammes, venez chez moi. Et vous, Stas … (Il se leva et se dirigea vers le coin où était installé le bloc des vidéophonographes.) Voici la cassette, Stas, transmettez tout en impulsions d’urgence directement au Centre. Je prendrai le double avec moi, il faut l’analyser … Où est-ce que j’ai vu par ici le projecteur ? Ah, le voilà. Je pense que nous avons à notre disposition encore trois ou quatre heures avant qu’il ne revienne … Oui, Stas ! Jetez en même temps un œil sur les radiogrammes. Voyez s’il y a quelque chose de valable. Seulement du Centre, de la base ou personnellement de Gorbovski ou de Mboga.

— Vous m’avez demandé de vous rappeler qu’il vous faut parler avec Mikhaïl Albertovitch, dis-je en me levant.