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— Et alors ? demanda sombrement Maïka.

— Et alors … Un robot-androïde théoriquement idéal ne peut être construit qu’à partir d’un homme. Ce serait un super-penseur, un super-athlète, un super-émotionnel, tous les « super » que tu veux, dont le superhomme, mais jamais un homme …

— Apparemment tu sous-entends que les aborigènes l’ont transformé en robot ? lança Maïka avec un sourire forcé.

— Mais non, ripostai-je, dépité. Je voulais seulement te convaincre du fait que ce qu’il a d’humain est dû au hasard, ce n’est pas la faculté du matériau initial … Il ne faut pas sombrer dans le sentimentalisme pour autant. Considère que tu mènes des pourparlers avec ces moustaches de couleur …

Soudain Maïka me saisit par l’épaule et chuchota :

— Regarde, il revient !

Je me levai à moitié et scrutai l’écran. Du côté du marécage, une petite silhouette tordue fonçait à toute allure en trottinant en direction du vaisseau. Une courte ombre noire et lilas s’agitait sur le sol devant elle, la houppe sale sur le sommet de son crâne lançait des reflets roux. Le Petit revenait, le Petit se hâtait. Ses longs bras étreignaient et serraient contre son ventre quelque chose du genre d’un grand panier tressé, rempli à ras bord de cailloux. Le panier devait être extrêmement lourd.

Maïka brancha l’intercom.

— Poste DMA à Komov. Le Petit s’approche, annonça-t-elle à voix haute.

— Je vous ai compris, répliqua immédiatement Komov. Yakov, prenez votre place … Popov, remplacez Gloumova à la DMA. Maya, je vous prie de venir au mess des officiers.

Maïka se leva à contrecœur.

— Va, va, dis-je. Regarde-le de près, Mère des Douleurs.

Elle grogna, fâchée, et escalada la passerelle quatre à quatre. Je pris son siège. Le Petit était déjà tout proche.

À présent, il avait ralenti sa course et regardait le vaisseau ; de nouveau j’eus l’impression qu’il me fixait droit dans les yeux.

Alors, au-dessus de la crête, je vis surgir du néant, sur le fond du ciel gris et lilas, les moustaches monstrueuses des cafards monstrueux. Comme tantôt, elles se pliaient lentement, frémissaient, s’entrecroisaient. J’en comptai six.

— Poste DMA ! appela Komov. Combien y a-t-il de moustaches à l’horizon ?

— Six, répondis-je. Trois blanches, deux rouges, une verte.

— Voilà, Yakov, constatez vous-même, fit Komov, c’est strictement conforme. Le Petit vient chez nous — les moustaches apparaissent.

La voix assourdie de Wanderkhouzé riposta :

— Je m’incline devant votre perspicacité, Guénnadi, néanmoins je considère que la surveillance est pour l’instant obligatoire.

— C’est votre droit, consentit brièvement Komov. Maya, asseyez-vous ici …

J’informai :

— Le Petit a disparu dans l’espace mort. Il traîne un gigantesque panier rempli de cailloux.

— Je vois, dit Komov. Préparez-vous, collègues ! Je devins tout oreille et sursautai fortement lorsqu’un tintamarre retentit dans l’intercom. Je ne compris pas sur-le-champ que c’était le Petit qui avait déversé d’un coup les cailloux par terre. J’entendais sa respiration puissante, et soudain, une voix absolument identique à celle d’un bébé prononça :

— Ma-man !..

Et encore une fois :

— Ma-man …

Ensuite éclatèrent les pleurs d’un bambin de douze mois que je connaissais déjà. Par habitude, quelque chose se serra dans ma poitrine, et au même moment je devinai ce qui s’était passé : le Petit avait vu Maïka. Cela ne dura pas plus de trente secondes ; les pleurs cessèrent, des cailloux s’entrechoquèrent de nouveau, et la voix de Komov déclara, affairée :

— Voilà une question. Pourquoi est-ce que tout m’intéresse ? Tout autour. Pourquoi ai-je sans arrêt des questions ? Elles me rendent malade vingt questions par jour. J’essaie de m’en sauver : je cours, je cours des journées entières ou je nage — ça n’aide pas. Alors je commence à réfléchir. Parfois la réponse vient. C’est un plaisir. Parfois viennent plusieurs réponses, je ne peux pas choisir. C’est un déplaisir. Parfois il n’y a pas de réponse. C’est un malheur. Ça gratte beaucoup. Ch-charade. Au début je pensais que les questions venaient de l’intérieur. J’ai réfléchi et j’ai compris tout ce qui vient de l’intérieur doit me faire plaisir. Donc, les questions viennent de l’extérieur ? Juste ? Je réfléchis comme toi. Mais dans ce cas, où sont-elles posées, où sont-elles accrochées, où est leur point ?

Pause. Puis la voix de Komov retentit de nouveau — la voix du véritable Komov. C’était très ressemblant, seulement le véritable Komov ne parlait pas d’une manière aussi saccadée, et sa voix ne sonnait pas aussi brusque. En étant prévenu, on se rendait compte de la différence.

— Je pourrais répondre à ta question dès maintenant, prononça lentement Komov. Cependant j’ai peur de me tromper. J’ai peur de le faire de façon incorrecte ou inexacte. Quand je saurai tout sur toi, je serai capable de te l’expliquer sans erreur.

Pause. Les cailloux que le Petit égrenait se heurtèrent et raclèrent le plancher.

— F-fragment, dit le Petit. Encore une question. D’où viennent les réponses ? Tu m’as forcé à réfléchir. J’ai toujours considéré : si j’ai une réponse, c’est un plaisir, si je n’ai pas de réponse, c’est un malheur. Tu m’as raconté comment tu réfléchissais, toi. Je me suis mis à me rappeler et je me suis souvenu que moi aussi, je réfléchis souvent comme ça, et la réponse vient souvent. On voit comment elle vient. C’est ainsi que je fais le volume pour les cailloux. Celui-ci. (« Le panier », souffla Komov.) Oui, le panier. Une branchette s’accroche à une autre, une autre à une troisième, une troisième à une quatrième et ça devient … un panier. On voit comment. Pourtant, beaucoup plus souvent je réfléchis … (Les cailloux tonnèrent de nouveau) … et la réponse vient toute prête. Il y a un tas de branchettes et soudain ça devient un panier prêt. Pourquoi ?

— À cette question également, je pourrai répondre quand je n’ignorerai plus rien de toi.

— Alors, apprends ! exigea le Petit. Apprends plus vite ! Pourquoi n’apprends-tu pas ? Je raconterai moi-même. Il y a eu un vaisseau, plus grand que le tien, maintenant il s’est recroquevillé, mais avant il avait été très grand. Tu le sais sans moi. Ensuite c’était comme ça.

Un fracas et un craquement à fendre l’âme éclatèrent dans l’intercom, et aussitôt, un bébé hurla désespérément, sur la note la plus aiguë. À travers ce hurlement, à travers le fracas qui s’apaisait, les chocs, le tintement du verre qui se cassait, une voix d’homme suffocante appela, rauque :

— Marie … Marie … Ma … rie …