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— Bien, dit Komov. Rien à faire. Yakov, envoyez un radiogramme à Sidorov, s’il vous plaît, pour qu’il me livre l’équipement. Je vois que je ne me passerai pas de mentoscope.

— Entendu. Je voudrais cependant attirer votre attention, Guénnadi … Durant toute votre conversation le voyant vert de l’indicateur ne s’est jamais allumé.

— J’ai vu.

— Ce ne sont pas simplement les émotions négatives, Guénnadi. Ce sont les émotions négatives fortement prononcées …

Je ne pus distinguer la réponse de Komov.

Je restai à mon poste la soirée entière et une moitié de la nuit. Le Petit ne réapparut ni le soir, ni la nuit. Les moustaches non plus. Maïka non plus.

CHAPITRE VII

QUESTIONS ET DOUTES

Pendant le petit déjeuner, Komov parla beaucoup. Je crois qu’il n’avait pas dormi de la nuit, ses yeux étaient rouges, ses joues creuses, mais il respirait la gaieté et l’excitation. Il s’imbibait d’un thé fort et nous exposait ses premières conclusions.

Selon lui, il ne demeurait à présent aucun doute sur le fait que les aborigènes avaient soumis l’organisme du garçon aux modifications les plus radicales. Ils s’avérèrent être des expérimentateurs étonnamment audacieux et savants : ils changèrent sa physiologie et, en partie, son anatomie, ils élargirent extraordinairement le domaine actif de son cerveau et le munirent en même temps de nouveaux mécanismes physiologiques ; du point de vue de la science terrestre actuelle, les développer en se basant sur un organisme humain normal serait pour l’instant impossible. L’objectif de ces modifications anatomophysiologiques était, peut-être, fort simple : les aborigènes voulaient tout bêtement adapter un bébé humain impuissant aux conditions totalement inhumaines d’existence dans ce monde. La raison pour laquelle ils avaient pratiqué une intervention aussi importante dans le fonctionnement du système nerveux central restait un peu obscure. Bien sûr, on pouvait admettre que cela s’était produit par hasard, en tant qu’effet secondaire des changements anatomophysiologiques. Mais on pouvait également admettre qu’ils avaient utilisé les réserves d’un cerveau humain dans un but précis. On se trouve alors devant un large éventail de suppositions. Par exemple, ils cherchaient à conserver chez le Petit l’ensemble de ses souvenirs et impressions du très bas âge pour lui faciliter l’adaptation inverse si jamais il se retrouvait à nouveau dans une société humaine. De fait, le Petit entra en contact avec nous avec une facilité stupéfiante, donc nous ne sommes à ses yeux ni des horreurs, ni des monstres. Cependant, il n’est pas exclu non plus que la mémoire prodigieuse du Petit ainsi que le développement phénoménal de ses centres de reproduction de sons ne soient, répétons-le, que l’effet secondaire du travail des aborigènes sur son cerveau. Il est envisageable que les aborigènes aient cherché en premier lieu à créer une liaison psychique stable entre eux et le système nerveux central du Petit. L’existence de cette liaison paraît des plus probables. En tout cas, il est difficile d’expliquer autrement des phénomènes tels que l’apparition spontanée — extra-logique — chez le Petit de réponses aux questions, l’accomplissement de ses souhaits conscients et même inconscients, l’attachement du Petit à cette région-là précisément de la planète. Il faut, probablement, ajouter la forte tension psychologique où a plongé le Petit avec l’arrivée des gens. Le Petit n’est pas en mesure de définir en quoi, au fait, les gens le gênent. Il est évident que ce n’est pas lui que nous gênons. Nous gênons les aborigènes. C’est là que nous sommes confrontés directement à la question de la nature des aborigènes.

La simple logique nous oblige à supposer que les aborigènes sont des êtres soit microscopiques, soit gigantesques, d’une façon ou d’une autre incommensurables par rapport aux dimensions physiques du Petit. C’est justement pour cette raison qu’il les appréhende, eux, ainsi que leurs manifestations, comme un élément de la nature, comme une des parties de la nature qui l’entoure depuis son bas âge. (« Quand je l’ai questionné au sujet des moustaches, le Petit a déclaré, assez indifférent : il voit les moustaches pour la première fois, mais il voit quelque chose pour la première fois tous les jours. Quant aux mots pour désigner des phénomènes semblables, nous n’avons pas pu les trouver. ») Personnellement lui, Komov, est porté à présumer que les aborigènes représentent certains super-organismes gigantesques, extrêmement éloignés aussi bien des humanoïdes que des structures non humanoïdes que l’homme a déjà rencontrées. Pour l’instant nous savons sur eux infiniment peu. Nous avons vu des constructions (ou formations ?) monstrueuses au-dessus de l’horizon et dont l’apparition et la disparition sont indéniablement liées aux visites du Petit. Nous avons entendu des sons, produits par le Petit quand il nous a décrit sa maison, qui sont impossibles à associer à quoi que ce soit. Nous avons compris que les aborigènes se trouvaient à un niveau incommensurablement haut de savoir théorique et pratique si l’on en juge par ce qu’ils ont pu faire d’un bébé humain ordinaire. Ça s’arrête là. Pour le moment nous n’avons même pas beaucoup de questions à poser, bien que ces questions soient, évidemment, essentielles. Pourquoi les aborigènes ont-ils sauvé le Petit, pourquoi lui assurent-ils son existence, pourquoi, bref, se sont-ils intéressés à lui, en quoi cela les concerne-t-il ? Comment connaissent-ils les humains — et ils les connaissent plutôt bien, par quel moyen sont-ils au courant des bases de notre psychologie, de notre sociologie ? Pourquoi, cela étant, repoussent-ils si violemment le moindre contact avec nous ? Comment conjuguer le niveau indéniablement élevé de leur savoir avec l’absence totale de traces d’une activité intelligente quelle qu’elle soit ? Ou alors l’état lamentable actuel de la planète est-il justement l’effet de cette activité ? Ou encore cet état n’est-il lamentable qu’à nos yeux ? Voilà, en somme, toutes les questions principales. Lui, Komov, a certaines suppositions à ce sujet, mais il croit qu’il est encore trop tôt pour les exposer.

D’une façon ou d’une autre, il est clair que cette découverte est primordiale, qu’il est nécessaire de la mener à bien ; cependant, cela n’est possible que par l’intermédiaire du Petit. Les appareils spéciaux mentoscopiques, etc., ne vont pas tarder à arriver. Nous ne pourrons les utiliser à cent pour cent que dans la mesure où le Petit nous fait confiance et a, de plus, fortement besoin de nous.

— J’ai décidé de ne pas entrer en contact avec lui aujourd’hui, conclut Komov, repoussant son verre vide. Aujourd’hui c’est votre tour, Stas. Vous lui montrerez votre Tom. Maya, vous jouerez avec lui au ballon, vous le promènerez en glider. Ne vous laissez pas intimider par lui, les gars, soyez plus gais, plus naturels ! Imaginez-vous que c’est votre petit frère surdoué … Yakov, vous, il vous faudra rester de garde. C’est bien vous qui l’avez instaurée … Au cas où le Petit s’en prendrait même à vous, faites un effort et permettez-lui de tirer sur vos favoris, ils le passionnent. Moi, je me cacherai comme une araignée, je surveillerai tout et j’enregistrerai. Donc, jeunes gens, ayez l’amabilité de vous équiper du « troisième œil ». Si le Petit demande où je suis, dites-lui que je réfléchis. Chantez-lui des chansons, projetez-lui des films … Montrez-lui l’ordinateur, Stas, racontez-lui comment il fonctionne, essayez de les mettre en compétition, tous les deux. Je pense que là une certaine surprise vous attend. Et qu’il interroge beaucoup, autant qu’il est possible. Plus il demande, mieux c’est. À vos places, mes amis, à vos places !