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Il bondit sur ses pieds et fila. Nous nous regardâmes.

— Des questions, cybertechnicien ? s’enquit Maïka. Froidement, sans une trace d’amitié. C’étaient ses premières paroles depuis ce matin. Elle ne m’avait même pas salué.

— Non, intendant. Pas de questions, intendant. Je vous vois, mais je ne vous entends pas.

— Tout ça, c’est parfait, prononça Wanderkhouzé, méditatif. Je ne m’inquiète pas pour mes favoris. Mais …

— Justement, lança Maïka en se levant. Mais.

— Je veux dire, reprit Wanderkhouzé, qu’hier soir on a reçu un radiogramme de Gorbovski. D’une manière des plus délicates, toutefois sans ambiguïté aucune, il a prié Komov de ne pas forcer le contact. Et derechef il a laissé entendre qu’il serait enchanté de se joindre à nous.

— Et Komov ? demandai-je.

Wanderkhouzé renversa sa tête en arrière et, caressant son favori gauche, me contempla par-dessus son nez.

— Komov s’est prononcé à ce propos en termes irrespectueux. Oralement, bien sûr. Quant à sa réponse écrite, c’étaient des remerciements pour le conseil.

— Et alors ? insistai-je. (J’avais très envie de voir Gorbovski. Je ne l'avais jamais vraiment vu.)

— Rien d’autre, dit Wanderkhouzé, se levant à son tour.

Maïka et moi nous dirigeâmes vers l’arsenal. Nous y trouvâmes et enfonçâmes sur nos fronts de larges bandeaux en lamelles avec le « troisième œil » — vous connaissez ces télé-émetteurs portatifs pour les éclaireurs solitaires, destinés à transmettre continûment l’information visuelle et acoustique, tout ce que voit et ce qu’entend l’éclaireur. Un truc simple, mais astucieux. On l’inclut dans le jeu d’équipement ER depuis très peu de temps. Nous eûmes quelque mal à ajuster les bandeaux de façon à ce qu’ils ne nous serrent pas les tempes ni ne nous tombent sur le nez ; l’objectif ne devait pas non plus être caché par nos capuches. Ce faisant, je me lançais désespérément dans les bons mots, provoquais Maïka autant que possible à blaguer à mes dépens, en un mot, m’échinais à la ranimer ne serait-ce qu’un peu. Ce fut vain elle demeurait maussade, se taisait ou répondait par monosyllabes. En principe, cela lui arrive, elle a parfois des accès de cafard ; il vaut mieux alors la laisser en paix. Cependant là, il me semblait qu’elle n’avait pas simplement le cafard, mais qu’elle était en rogne, en rogne précisément contre moi ; curieusement, je me sentais coupable devant elle et ne savais pas quel comportement adopter.

Maïka alla dans sa cabine chercher un ballon, et moi, je libérai Tom et le conduisis sur la piste d’atterrissage. Le soleil déjà levé, le froid nocturne était tombé, néanmoins l’air restait encore très froid. Mon nez devint immédiatement gelé. De surcroît, un petit vent léger, très méchant pourtant, venait de l’océan. Il n’y avait aucune trace du Petit.

Je fis courir un peu Tom sur la piste pour le laisser se détendre. Tom, flatté que je lui manifeste une telle attention, quémandait des ordres avec dévouement. Maïka arriva avec le ballon et, pour nous réchauffer, nous y jouâmes cinq minutes — à vrai dire, non sans plaisir. J’espérais toujours que Maïka allait, comme d’habitude, retrouver son entrain, mais là aussi ce fut vain. En fin de compte j’en eus assez et lui demandai franchement ce qui s’était passé. Elle posa le ballon sur la surface cannelée, s’assit dessus, repliant les pans de sa pelisse et prit un air affligé.

— Qu'est-ce qu’il y a, écoute ! répétai-je.

Maïka me regarda et se détourna.

— Tu vas peut-être me répondre quand même ? insistai-je, haussant la voix.

— Il y a un petit vent aujourd’hui, prononça Maïka, contemplant distraitement le ciel.

— Comment ? Quel petit vent ?

Elle se tapota le front du doigt à côté de l’objectif du « troisième œil ».

— Ab-va-ru-av-ti-va. O-va-nav va-n-ousav en-va-t-av-ends.

— Ab-va-ru-av-ti-eva t-av-oi-va m-av-êva-meva, répondis-je. l-va-l-av av-y va-a av-u-nav tra-va-nav-sla-va-t-av-eur-va.

— Juste. C’est bien ce que je te dis il y a un petit vent.

— Oui, confirmai-je. Pour un petit vent, c’est un petit vent, c’est sûr.

Je restai un moment sur place, terriblement mal à l’aise, essayant de trouver un sujet neutre de conversation. Je n’en trouvai aucun sinon le petit vent en question, et là il me vint à l’esprit qu’il ne serait pas mal de faire une promenade. Car je ne m’étais encore jamais baladé dans les environs. Depuis presque une semaine que je me trouvais ici, je n’avais pas encore mis véritablement le pied sur cette terre, je ne l’avais vue que sur les écrans. En outre, cela nous offrait une chance de tomber quelque part dans les broussailles sur le Petit, surtout si lui-même le désirait. Ce ne serait pas seulement agréable, mais également utile pour l’affaire : engager une conversation avec lui dans une ambiance qui lui était familière. J’exposai mes considérations à Maïka. Elle se leva sans mot dire et se dirigea vers le marécage ; moi, le nez enfoui dans mon col de fourrure et mes mains enfoncées au fond de mes poches, je me traînai sur ses talons. Tom, n’en pouvant plus de serviabilité, faillit se coller à mes trousses, mais je lui adjoignis de rester sur place et d’attendre mes ordres.

Nous ne nous fourrâmes bien entendu pas dans le marécage, nous le contournâmes, nous frayant difficilement un chemin à travers les taillis. La végétation ici était vraiment pitoyable : pâle, malingre, de petites feuilles molles, bleuâtres, au reflet métallique, de fragiles branchettes noueuses, à l’écorce orange tachetée. Les buissons arrivaient rarement à ma taille, donc il y avait peu de chances que les favoris de Wanderkhouzé courussent un risque quelconque. La couche de feuilles mortes mélangée au sable cédait comme des ressorts sous nos pas. Le givre scintillait dans l’ombre. Cela dit, cette végétation suscitait un certain respect. Pousser dans ces lieux lui demandait sans doute pas mal d’efforts : la nuit, la température tombait jusqu’à moins vingt, le jour elle montait rarement au-dessus de zéro ; sous les racines il n’y avait que du sable salé. Je ne pense pas qu’une plante terrestre pût s’adapter à des conditions aussi dénuées de joie. Il était étrange de s’imaginer que quelque part au milieu de ces arbustes frigorifiés rôdait, ses talons nus sur le sable couvert de givre, un petit bonhomme tout nu.

Il me sembla percevoir un mouvement dans la broussaille touffue à ma droite. Je m’arrêtai, appelai « Petit ! », mais personne ne me répondit. Un silence gelé, glacial, nous entourait. Pas un bruissement de feuilles, pas un bourdonnement d’insecte. D’où une sensation inattendue comme si nous tournions en rond dans des décors de théâtre. Nous contournâmes une longue langue de brouillard qui pointait d’un marécage chaud et commençâmes à gravir le flanc d’une colline. En réalité, c’était une dune saisie par des buissons. À mesure que nous montions, la surface sablonneuse devenait plus dure sous nos pas. Une fois, hissés sur la crête, nous regardâmes alentour. Les nuages de brouillard dissimulaient l’astronef à nos yeux, mais la piste d’atterrissage restait nettement visible. Le revêtement crénelé brillait gaiement sous le soleil, le ballon abandonné au milieu, orphelin, se détachait en noir ; autour de lui piétinait ce lourdaud de Tom en proie à l’hésitation — de toute évidence, il se débattait avec un dilemme au-dessus de ses forces enlever cet objet étranger de la piste ou, si besoin était, sacrifier sa vie pour cette chose oubliée par un homme.