Выбрать главу

C’est alors que je remarquai des traces sur le sable gelé, des taches sombres et humides sur du givre argenté. Le Petit était passé par ici, très récemment. Il s’était assis sur la crête, puis s’était levé et avait descendu la pente, s’éloignant du vaisseau. La chaînette de ses pas partait dans le taillis qui emplissait le fond du vallon entre les dunes. « Petit ! » appelai-je de nouveau, et de nouveau il ne répondit pas. Je me mis à descendre dans le vallon.

Je le trouvai aussitôt. Le Petit était couché face à terre, étiré de tout son long, la joue collée au sol, la tête encerclée de ses bras. Il semblait particulièrement étrange et impossible ici, il ne cadrait absolument pas avec ce paysage glacial. Il le contredisait. L’espace d’une seconde j’eus même peur que quelque chose lui soit arrivé. Je m’accroupis à côté de lui, prononçai son nom, puis, devant son silence, lui donnai une claque légère sur son derrière nu et maigre. Je le touchais pour la première fois et faillis hurler de surprise il me parut être chaud comme un fer à repasser.

— A-t-il trouvé ? demanda le Petit sans lever sa tête.

— Il réfléchit. Une question difficile.

— Et comment saurai-je qu’il a trouvé ?

— Tu viendras, et il te le dira immédiatement.

— Ma-man, dit soudain le Petit.

— Oui, mon lapin bleu, murmura Maïka.

Le Petit s’assit, il coula de la position couchée dans la position assise.

— Répète ! exigea-t-il.

— Oui, mon lapin bleu. (Le visage de Maïka pâlit, les taches de rousseur y surgirent brusquement.)

— Phénoménal ! s’exclama le Petit, la contemplant du bas en haut. Casse-noisettes !

J’éclaircis ma voix :

— Nous t’attendions, Petit.

Il tourna ces yeux vers moi. J’eus beaucoup de mal à ne pas détourner les miens. Son visage était malgré tout passablement terrifiant.

— Pourquoi m’attendais-tu ?

— Comment ça, pourquoi … (Je me sentis un peu déconcerté, mais eus aussitôt une illumination.) Nous nous ennuyons sans toi. Nous sommes mal sans toi. Il n’y a pas de plaisir, tu comprends ?

Le Petit bondit sur ses pieds et se rassit immédiatement. Il s’assit très inconfortablement — moi, je n’aurais pas tenu deux secondes dans cette position.

— Tu es mal sans moi ?

— Oui, confirmai-je résolument.

— Phénoménal. Tu es mal sans moi, je suis mal sans toi. Ch-charade !

— Pourquoi donc une charade ? m’affligeai-je. Si nous ne pouvions pas être ensemble, alors là, ce serait une charade. Tandis que nous nous sommes rencontrés, nous pouvons jouer … Tu vois, tu aimes jouer, mais tu l’as toujours fait seul …

— Non, protesta le Petit. Au début seulement. Une fois je suis allé m’amuser au bord du lac et j’ai vu mon image dans l’eau. J’ai voulu jouer avec elle, elle s’est désagrégée. Et j’ai eu très envie d’avoir des images, beaucoup d’images pour m’amuser avec. Et c’est devenu ainsi.

Il sauta et courut, léger, en cercle, laissant derrière ses fantômes surprenants — noirs, blancs, jaunes, rouges. Ensuite il s’assit au milieu et regarda fièrement autour de lui. Je dois vous avouer que c’était un sacré spectacle un gamin nu sur le sable entouré d’une douzaine de statues multicolores dans des positions différentes.

— Phénoménal, commentai-je, et je regardai Maïka pour l’inviter à participer ne serait-ce qu’un peu à la conversation.

Je me sentais gêné de parler sans cesse pendant qu’elle se taisait. Mais elle ne dit rien, se bornant à regarder sombrement, tandis que les fantômes ondulaient et fondaient lentement, émettant une odeur d’ammoniaque.

— Je voulais demander depuis longtemps, fit le Petit, pourquoi vous enveloppez-vous ? Qu’est-ce que c’est ? (Il bondit vers moi et tira sur le pan de ma pelisse.)

— C’est un vêtement.

— Un vêtement, répéta-t-il. Pourquoi ?

Je lui parlai des vêtements. Je ne suis pas Komov. De ma vie je n’avais jamais tenu de cours, surtout sur les vêtements. Mais sans fausse modestie je peux affirmer que ma conférence eut du succès.

— Tous les gens portent des vêtements ? interrogea le Petit, ébahi.

— Tous, dis-je pour en finir avec cette question. (Je ne comprenais pas complètement ce qui le stupéfiait autant.)

— Mais il y a beaucoup de gens ! Combien ?

— Quinze milliards.

— Quinze milliards. (Il pointa devant lui un doigt sans ongle, se mit à le plier et le redresser.) Quinze milliards ! (Il jeta un coup d’œil sur les restes illusoires des fantômes. Ses yeux s’assombrirent.) Et tous, ils portent des vêtements … Et encore quoi ?

— Je ne comprends pas.

— Que font-ils encore ?

J’aspirai à pleins poumons et entrepris de raconter ce que faisaient les gens. C’est bien sûr bizarre, pourtant jusqu’à présent je ne m’étais jamais posé cette question. J’ai peur d’avoir donné au Petit l’impression qu’en majorité l’humanité s’occupait de cybertechnique. Au demeurant, décidai-je, pour un début ce ne fut pas si mal. Il est vrai que le Petit ne se démenait pas comme lors des conférences de Komov, ne se mettait pas en nœud, néanmoins il écoutait avec un air envoûté. Lorsque je terminai, complètement embrouillé, désespéré par mon incapacité de lui donner une idée sur l’art, il posa immédiatement une nouvelle question :

— Tant de choses à faire. Pourquoi venir ici ?

— Maïka, raconte-lui, suppliai-je d’une voix enrouée. Mon nez est tout gelé …

Maïka me lança un regard froid, mais se mit à raconter mollement et, à mon avis, de façon très ennuyeuse, le projet Arche de glorieuse mémoire. Je ne pus me retenir, commençai à l’interrompre, essayant de colorer son exposé avec des détails pittoresques, apportai des rectifications et finalement je me retrouvai de nouveau seul à parler. J’estimai nécessaire de conclure mon récit par une morale.

— Juge toi-même, dis-je. Nous avons failli déclencher une grande entreprise, cependant dès que nous avons compris que ta planète était occupée, nous avons immédiatement renoncé à notre projet.

— Donc, les gens savent apprendre l’avenir ? demanda le Petit. Non, c’est inexact. S’ils le savaient, ils seraient partis d’ici depuis longtemps.

Je ne trouvai pas quoi lui répondre. Le sujet me parut glissant.

— Écoute, Petit, fis-je, viens jouer. Tu vas voir comme c’est intéressant de jouer avec des gens.

Le Petit se taisait. J’envoyai un regard furibond à Maïka. Que lui arrivait-il donc, je ne pouvais quand même pas porter à moi seul le contact sur mes épaules !

— Viens jouer, Petit, me soutint Maïka sans aucun enthousiasme. Ou, si tu veux, je te ferai faire un tour dans une machine volante.

— Tu vas voler dans les airs, renchéris-je, et tout sera en bas : montagnes, marécages, iceberg …

— Non, refusa le Petit. Voler est un plaisir ordinaire. Je sais voler moi-même.

Je sursautai :

— Comment ça, toi-même ?

Les rides coururent un instant sur son visage, ses épaules montèrent et s’abaissèrent.

— Pas de mots, dit-il. Quand j’ai envie, je vole.

— Vole alors ! laissai-je échapper.

— Je ne veux pas maintenant, répondit-il, impatient. Maintenant j’ai du plaisir avec vous. (Il bondit sur ses pieds.) Je veux jouer ! déclara-t-il. Où ?

— Courons jusqu’au vaisseau, proposai-je.

Il émit un hurlement à vous fendre l’âme, et l’écho n’avait pas encore eu le temps de s’évanouir dans les dunes que nous filions déjà à travers les buissons pour arriver le premier. Je mis une croix sur Maïka : qu’elle fasse à sa guise.