Выбрать главу

— Oui, fit le Petit. Je viendrai.

Et, sans tarder, il se traîna péniblement vers le marécage. Pendant quelque temps nous le regardâmes s’éloigner, puis Maïka cria « Petit ! », se mit à courir, le rattrapa et marcha à ses côtés. Je ramassai ma pelisse, l’enfilai, trouvai celle de Maïka et les suivis, indécis. Dans mon âme il y avait un arrière-goût désagréable, je ne comprenais pas pourquoi. Apparemment, tout s’est terminé heureusement. Le Petit a promis de revenir, donc, il s’est quand même attaché à nous, donc, sans nous il se sent maintenant bien pire qu’avec nous … « Il s’habituera, me répétai-je. Ça ne fait rien, il s’habituera … » Je vis Maïka s’arrêter le Petit se traîna plus loin. Maïka fit demi-tour et, encerclant ses épaules et ses bras, courut à ma rencontre. Je lui passai sa pelisse et demandai :

— Alors ?

— Ça va, dit-elle. (Ses yeux étaient transparents et emplis d’une étrange hardiesse.)

— Je pense que finalement … commençai-je, et je m’interrompis. Maïka, tu as perdu ton « troisième œil » !

— Je ne l’ai pas perdu.

CHAPITRE VIII

DOUTES ET DÉCISIONS

Le Petit s’éloignait de l’astronef vers l’ouest, longeant la ligne du rivage, directement à travers les dunes et de la broussaille. Au début, le « troisième œil » l’intéressait. Il s’arrêtait, enlevait le bandeau, le tournait entre ses mains, et alors sur notre écran de réception se profilait tantôt le ciel pâle, tantôt le visage-masque d’un vert bleuâtre, tantôt le sable givré. Puis il laissa le bandeau en paix. Je ne sais pas s’il ne marchait pas comme d’habitude ou s’il n’avait pas mis le bandeau tout à fait correctement, toujours est-il que cela donnait l’impression que l’objectif n’était pas dirigé dans l’axe de sa marche, mais quelque peu à droite. Sur l’écran flottait l’image saccadée de dunes monotones, de buissons frileux ; parfois surgissaient des sommets gris de montagnes ou apparaissait soudain l’océan noir aux icebergs étincelants sur l’horizon.

À mon avis, le Petit avançait sans but précis ; simplement il allait à l’aventure, aussi loin que possible de nous. À plusieurs reprises il escalada les crêtes des dunes et regarda de notre côté. Alors sur l’écran de réception se voyait le cône d’un blanc éblouissant de notre ER-2, la bande argentée de la piste d’atterrissage, un Tom orange mélancoliquement adossé contre un mur de la station météorologique inachevée. Cependant, nous ne découvrîmes pas le Petit sur l’écran panoramique.

Environ une heure plus tard, le Petit bifurqua brusquement vers les montagnes. À présent, le soleil tapait droit dans l’objectif, et la visibilité en pâtit. Bientôt les dunes se terminèrent, le Petit se traînait maintenant dans la forêt clairsemée, enjambant des branches pourries, se faufilant entre des troncs noueux à l’écorce tachetée et décollée, marchant sur de la terre brune, imbibée d’eau glaciale. Une fois il grimpa sur une roche de granit solitaire, y demeura quelques minutes, regardant alentour, puis sauta en bas, ramassa par terre deux petites branchettes noires et gluantes et reprit son chemin, les tapant l’une contre l’autre. Au début le bruit était désordonné, ensuite un rythme y naquit ; à ce rythme se mêlait tantôt un bourdonnement, tantôt un grondement. Ce son, ininterrompu et désagréable, allait croissant. Très certainement c’était le Petit lui-même qui grondait et bourdonnait — peut-être une chanson, peut-être aussi un monologue.

À présent il errait, tapant, bourdonnant et grondant, tandis que des terrains pierreux, des rocs couverts de mousse et d’énormes débris de roches s’apercevaient de plus en plus souvent entre les arbres. Soudain, sur l’écran surgit un lac. Sans s’arrêter, le Petit y entra, l’espace d’un instant nous aperçûmes l’eau agitée, puis l’image se ternit et s’éteignit ; le Petit avait plongé.

Il resta sous l’eau très longtemps, je pensais déjà qu’il avait noyé le transmetteur et que nous ne reverrions désormais aucune image, mais au bout d’une dizaine de minutes elle revint trouble, délavée, fluide. Au début nous ne distinguâmes presque rien ; bientôt sur la partie droite de l’écran se découpa une paume sur laquelle sautillait et se tortillait un laid poisson panthien.

Lorsque l’objectif de « l’œil » se nettoya définitivement, le Petit était en train de courir. Des troncs d’arbres fonçaient sur nous et, au dernier moment, s’éclipsaient à une vitesse fulgurante à droite ou à gauche. Il courait très vite, pourtant nous n’entendions ni le martèlement de ses talons, ni sa respiration ; seul, le vent bruissait et le soleil apparaissait brièvement derrière les branches nues enchevêtrées. Subitement, quelque chose d’incompréhensible se produisit le Petit stoppa d’un seul coup devant une roche grise et y plongea ses bras jusqu’aux coudes. Je ne sais pas, peut-être y avait-il une ouverture bien camouflée. À mon avis, il n’y en avait pas. Quand, au bout de quelques secondes il en extirpa ses bras, ils étaient noirs et brillants ; cette chose noire et brillante dégoulinait du bout de ses doigts et tombait par terre lourdement, avec un net tambourinement mouillé. Puis les bras disparurent de notre champ de vision, et le Petit courut plus loin.

Il s’arrêta devant un édifice bizarre, on aurait dit une tour penchée, et je mis du temps à comprendre que c’était les ruines du vaisseau Pélican. Maintenant je voyais avec mes propres yeux quel terrible choc il avait subi lors de sa chute, et ce que lui avaient fait de longues années passées sur cette planète. Le spectacle n’était pas des plus réjouissants. Entre-temps, le Petit s’en approcha lentement, jeta un regard dans le trou béant de la trappe — pour un instant l’écran sombra dans une obscurité totale, puis il contourna aussi lentement le malheureux astronef. Il stationna de nouveau devant la trappe, leva sa main et appuya sa paume noire aux doigts écartés contre le bord rongé par l’érosion. Il resta ainsi une minute environ, se remit à bourdonner et à gronder, et il me sembla que de petits filets de fumée bleuâtre s’élevaient de sous ses doigts. Il finit par détacher ses mains et recula d’un pas. Sur le revêtement mort, noirci, se voyait distinctement une empreinte en relief — une main aux doigts écartés.

— Toi alors, mon grillon du foyer, prononça la riche voix de baryton.

— Mon lapin bleu !.. enchaîna une tendre voix féminine.

— Zika ! chuchota presque le baryton. Mon petit Zika chéri !

Le bébé pleura.

L’empreinte de la paume s’écarta subitement de côté et disparut. À présent sur l’écran on apercevait un flanc de montagne — le granit sillonné de fissures, de vieux éboulements, des éclats de pierres pointues étincelant de leurs facettes cassées, des plans d’une herbe chétive et drue, des crevasses d’un noir insondable. Le Petit escaladait la pente, nous voyions ses mains qui s’accrochaient à des protubérances, des cailloux granuleux descendaient par saccades vers le bas de l’écran, nous entendions sa respiration égale et bruyante. Puis le mouvement devint souple et rapide, j’eus des taches devant les yeux, le flanc de la montagne s’éloigna soudain, chutant quelque part de côté et nous perçûmes le rire du Petit, brusque, rauque, qui s’arrêta sur-le-champ. Le Petit volait, c’était indiscutable.

Un ciel gris lilas luisait sur l’écran ; vers son bord puisaient je ne sais quelles loques troubles et opaques, tels des morceaux de mousseline poussiéreuse. Le soleil lilas éblouissant traversa lentement l’écran, la mousseline poussiéreuse recouvrit le tout et s’évapora aussitôt. Nous vîmes au loin en bas un plateau nappé d’une brume mauve, les cicatrices effroyables de gorges sans fond, des pics invraisemblablement aigus, coiffés de neiges éternelles — un monde glacial sans joie s’étirant au-delà de l’horizon, mort, craquelé, hérissé. Puis nous distinguâmes le genou puissant, laqué à en lancer des reflets, du Petit suspendu au-dessus de l’abîme et sa main noire fortement agrippée à un rien palpable. À franchement parler, à cet instant je cessai de croire mes yeux et vérifiai si l’enregistrement suivait bien son cours. Il le suivait. Mais Wanderkhouzé aussi semblait perplexe ; quant à Maïka, elle plissait ses paupières, incrédule, et tournait la tête dans tous les sens comme si son col la gênait. Seul Komov, immobile, gardait un calme absolu, assis, les coudes appuyés sur la console, le menton posé sur ses doigts entrelacés.