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Le Petit était déjà en train de tomber. Le désert pierreux s’approchait à une vitesse fantastique, pivotant légèrement autour d’un axe invisible, et l’on comprenait où cet axe partait, vers une fissure noire qui avait fendu le champ brun encombré de débris de rochers. La fissure grandissait, s’élargissait, l’un de ses bords éclairé par le soleil semblait poli et totalement vertical ; il ne pouvait même pas s’agir d’en voir le fond — un noir absolu y régnait. Le Petit plongea en flèche dans ce noir ; l’image disparut, et Maïka, tendant la main, augmenta la puissance. Mais même alors on n’arrivait à rien discerner sinon des bandes grises indéterminables qui ruisselaient sur l’écran. Puis le Petit émit un hurlement strident, et le mouvement s’arrêta. « Il s’est tué ! » pensai-je, épouvanté. Maïka saisit mon poignet et le serra de toutes ses forces.

Des taches troubles immobiles se profilaient sur l’écran, les alentours étaient gris et noirs, on entendait des sons étranges — un glougloutement, un craquettement rauque, un sifflement. Le contour noir et familier d’une main aux doigts écartés surgit et disparut. Les taches troubles flottèrent, s’interchangeant : le craquettement et le glougloutement tantôt s’amplifiaient, tantôt s’atténuaient ; un petit feu orange s’alluma et s’éteignit, puis encore un et encore un … Quelque chose rugit brièvement et fut rattrapé par une suite d’échos. « Envoyez l’infra », ordonna Komov entre ses dents. Maïka saisit la manette de l’amplificateur infrarouge et le tourna jusqu’au bout. L’écran s’éclaircit immédiatement ; néanmoins, je ne comprenais toujours rien.

L’espace entier s’emplissait d’un brouillard phosphorescent. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas d’un brouillard ordinaire, on y devinait une structure, semblable à une coupe d’un tissu organique vu sous un microscope mal réglé. Dans ce brouillard structuré se laissaient entrevoir par endroits des condensations plus claires ainsi que des tas de grains sombres qui pulsaient. L’ensemble paraissait suspendu dans l’air, parfois cela s’estompait complètement, puis se manifestait à nouveau. Le Petit, lui, marchait à travers comme si tout ça n’existait pas ; il marchait, ses mains luisantes aux doigts écartés tendus devant lui ; le brouillard qui l’enveloppait glougloutait, sifflait, ruisselait, émettait un tic-tac sonore.

Il marcha ainsi un moment, et nous mîmes du temps à remarquer que le dessin de la structure pâlissait et fondait ; bientôt il ne resta sur l’écran qu’une lueur laiteuse et les contours à peine visibles des doigts écartés du Petit. C’est alors qu’il s’arrêta. Nous le comprîmes parce que les sons ne s’approchaient ni ne s’éloignaient plus. Ces mêmes sons. Toute une avalanche, toute une cascade de sons. Grondements rauques, marmonnements de basse, piaillements étranglés … quelque chose éclata et s’envola en éclaboussures résonnantes … bourdonnement, grincement, coups de cuivre … Puis dans cette lueur égale percèrent des taches sombres, des dizaines de taches sombres, grandes et petites ; initialement troubles, elles acquéraient des contours de plus en plus précis, devenaient semblables à quelque chose d’étonnamment connu. Soudain je trouvai. C’était totalement impossible, mais désormais je ne pouvais chasser cette pensée. Des gens. Des dizaines, des centaines de gens, une foule entière alignée en ordre précis et offerte à la vue comme si on la regardait légèrement d’en haut … À cet instant quelque chose se produisit. L’espace d’une fraction de seconde l’image devint absolument nette. Du reste, cela dura trop peu de temps pour qu’on pût voir quoi que ce fût. Immédiatement après un cri désespéré jaillit, l’image se retourna et s’évanouit définitivement. Aussitôt, Komov, fou de rage, lança :

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

Devant l’écran mort Komov se tenait debout, anormalement droit, ses poings serrés appuyés contre le tableau de commande. Il regardait Maïka. Elle était pâle, mais calme. Elle se leva aussi et à présent se trouvait face à face avec Komov. Elle ne disait rien.

— Que s’est-il passé ? s’enquit prudemment Wanderkhouzé. Apparemment lui non plus ne comprenait rien.

— Ou bien vous êtes une criminelle ou bien … (Komov s’arrêta.) Je vous révoque du groupe de contact. Interdiction de quitter l’astronef, d’entrer au poste de pilotage et au poste DMA. Sortez d’ici.

Maïka, toujours sans un mot, se retourna et sortit. N’hésitant pas une seconde, je la suivis.

— Popov ! cingla Komov.

Je m’arrêtai.

— Je vous prie de transmettre sur-le-champ cet enregistrement au Centre. Urgent.

Il me fixait droit dans les yeux, et je me sentis mal. Je n’avais encore jamais vu un Komov pareil. Un Komov pareil avait le droit indiscutable d’ordonner, de consigner et, bref, d’étouffer dans l’œuf toute révolte. J’éprouvais la sensation que j’allais me déchirer en deux. « Comme le Petit », me passa par la tête.

Wanderkhouzé s’éclaircit la voix :

— Écoutez, Guénnadi. Faut-il vraiment le transmettre au Centre ? Étant donné que Gorbovski est déjà à la base, ne serait-il pas mieux d’informer directement la base, qu’en pensez-vous ?

Komov continuait à me scruter. Ses yeux étrécis semblaient des glaçons.

— Oui, bien sûr, prononça-t-il d’ailleurs, avec un calme absolu. La copie à la base, pour Gorbovski. Je vous remercie, Yakov. Popov, au travail.

Il ne me resta qu’à obéir. Mais j’étais mécontent. Si nous portions des casquettes comme dans les temps anciens, j’aurais tourné la visière en arrière. Seulement je n’avais pas de casquette et, sortant la cassette du recorder, je me limitai à demander avec défi :

— Que s’est-il passé, à proprement parler ? Qu’a-t-elle fait de si grave ?

Pendant un moment Komov se tut. Il se trouvait de nouveau dans son fauteuil et, mordillant sa lèvre, tambourinait l’accoudoir avec ses doigts. Wanderkhouzé, ses favoris en bataille, le regardait aussi dans l’expectative.

— Elle a branché le projecteur, répondit finalement Komov.

Je ne compris pas immédiatement.

— Quel projecteur ?

Komov, sans un mot, m’indiqua du doigt une touche enfoncée.

— Ah, fit Wanderkhouzé, affligé.

Moi, je ne dis rien. Je pris la cassette et allai vers l’émetteur. Pour être franc, je n’avais rien à dire. On fichait les gens hors du cosmos avec bruit, couverts de honte, pour des fautes bien moindres que celle-ci. Maïka avait branché la lampe-flash de secours montée dans le bandeau. On pouvait s’imaginer ce que ressentirent les habitants de la caverne quand, dans le noir éternel, s’alluma l’espace d’une seconde un petit soleil. Grâce à ce flash on arrive, à partir de l’orbite, à découvrir un éclaireur sans connaissance même sur la face éclairée de la planète … même s’il est enfoui sous un éboulement. Ce projecteur émet des rayons dans l’éventail de l’ultraviolet jusqu’aux ondes ultra courtes. Il n’est pas encore arrivé de cas où un éclaireur ne pût faire fuir grâce à ce flash l’animal le plus dément, le plus sanguinaire. Même les takhorgs qui n’ont jamais peur de rien freinent avec leurs pattes de derrière, stoppant leur élan irrésistible. « Elle est devenue folle, pensai-je, désespéré. Complètement dingue … » N’empêche qu’à haute voix je ripostai en m’installant devant l’émetteur :