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— La belle affaire ! Elle a appuyé sur une mauvaise touche, elle s’est trompée …

— Oui, en effet, soutint Wanderkhouzé. C’est ce qui a dû se passer. Elle voulait certainement brancher le projecteur infrarouge. Les touches sont voisines. Qu’en pensez-vous, Guénnadi ?

Komov gardait le silence. Il manipulait je ne sais quoi sur le tableau. Je ne voulais pas le regarder. Je branchai l’appareil et fixai mes yeux ostensiblement ailleurs.

— C’est sûr que c’est fâcheux, bredouillait Wanderkhouzé. Zut de zut … Ça risque réellement d’avoir des conséquences … Atteinte active … Pas agréable, j’imagine … Heu … Tous, nous avons les nerfs tendus ces derniers temps, Guénnadi. Pas étonnant que la gamine se soit trompée … Moi aussi, vous savez, je voulais faire quelque chose pour améliorer un peu l’image … Pauvre Petit. Je crois que c’est lui qui a crié …

— Tenez, intervint Komov. Admirez. Trois poses et demie.

Wanderkhouzé souffla, préoccupé. Je ne pus me contenir et me retournai vers eux. Derrière leurs têtes rapprochées on ne voyait rien ; je me levai, donc, et vins plus près. L’écran montrait ce que j’avais aperçu au dernier moment sans avoir eu le temps de bien saisir. L’image était excellente, et néanmoins je ne la comprenais absolument pas. Plusieurs personnes, plusieurs petites silhouettes noires, totalement identiques, disposées en échiquier. Elles semblaient se tenir sur une place plane et fortement éclairée. Les silhouettes de devant plus grandes, celles de derrière, en accord avec les lois de la perspective, plus petites. Du reste, les rangs paraissaient sans fin et, quelque part au loin, ils fondaient en lignes noires sans interstices.

— C’est le Petit, dit Komov. Vous le reconnaissez ?

Je compris effectivement, c’était le Petit reproduit, comme dans des miroirs infinis, un nombre illimité de fois.

— Cela rappelle un reflet multiple, marmonna Wanderkhouzé.

— Un reflet … répéta Komov. Et où est dans ce cas le reflet de la lampe ? Et où est l’ombre du Petit ?

— Je ne sais pas, avoua franchement Wanderkhouzé. C’est vrai, l’ombre devrait y être.

— Et vous, qu’en pensez-vous, Stas ? demanda Komov sans se retourner.

— Rien, fis-je brièvement, et je regagnai ma place. En vérité, je pensais, bien sûr, je pensais si dur que mon cerveau en grinçait, seulement sans aucun résultat. Ça évoquait en moi surtout un dessin formaliste à la plume.

— Oui, nous n’avons pas appris grand-chose, constata Komov. Et même ce peu se révèle inutilisable …

— Oh là là …

Wanderkhouzé se leva lourdement et sortit.

Moi aussi j’eus très envie de sortir et de voir comment allait Maïka. Je consultai le chronomètre — il restait encore une dizaine de minutes avant la fin de l’émission. Komov faisait du bruit avec ses papiers en travaillant derrière mon dos. Puis sa main passa par-dessus mon épaule, et le formulaire bleu des radiogrammes se posa sur le tableau devant moi.

— C’est une note explicative. Envoyez-la aussitôt après la transmission de l’enregistrement.

Je lus le radiogramme.

ER-2, KOMOV À LA BASE, À GORBOVSKI. COPIE CENTRE, À BADER. VOUS ENVOYONS L’ENREGISTREMENT DE L’ÉMETTEUR TYPE T.G. PORTEUR — LE PETIT. L’ENREGISTREMENT S’EST EFFECTUÉ DE 13.46 À 17.02. A ÉTÉ INTERROMPU À CAUSE DU BRANCHEMENT INVOLONTAIRE DE LA LAMPE-FLASH IMPUTABLE À MA NÉGLIGENCE. POUR L’INSTANT LA SITUATION EST INDÉTERMINÉE.

Je ne compris pas et relus le texte. Puis je me tournai vers Komov. Il conservait la même position, le menton sur ses doigts entrelacés, contemplant l’écran panoramique. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’une vague chaude de reconnaissance m’engloutit des pieds à la tête. Non, ce n’était pas ça. J’éprouvais trop peu de sympathie pour cet homme. Mais on ne pouvait pas ne pas lui rendre son dû. Tout le monde n’aurait pas agi aussi courageusement et simplement dans une telle situation. Et peu importait, en définitive, pourquoi il avait agi ainsi : avait-il eu pitié de Maïka (douteux), avait-il eu honte d’avoir été aussi brutal (plus vraisemblable) ou parce qu’il appartenait à cette catégorie de supérieurs qui considèrent avec une sincérité totale que les fautes de leurs subordonnés sont leurs propres fautes. Bref, le danger pour Maïka de jaillir du cosmos en bouchon de champagne diminua considérablement ; quant à la position et à la renommée de Komov, elles baissèrent joliment. Bon, Guénnadi Youriévitch, à l’occasion, ce sera pris en considération. Il sied d’encourager un comportement pareil autant que possible. Quant à Maïka, elle va entendre ce qu’elle va entendre. Que diable ! Elle n’est quand même pas une petite fille ! Jouer ici à la poupée !

L’émetteur tinta et se débrancha ; je m’attaquai au radiogramme. Wanderkhouzé entra, poussant devant lui une petite table à roulettes. Sans le moindre bruit, avec une adresse extraordinaire qui aurait fait honneur au cyber le plus qualifié, il posa le plateau avec des assiettes près du coude droit de Komov. Komov remercia distraitement. Je me versai un verre de jus de tomate, le bus et m’en versai un autre.

— Et la salade ? demanda Wanderkhouzé, chagriné.

Je secouai la tête et prononçai dans le dos de Komov :

— J’ai tout terminé. Puis-je disposer ?

— Oui, répondit Komov sans se tourner. Ne quittez pas l’astronef.

Dans le couloir, Wanderkhouzé m’annonça :

— Maïka est en train de déjeuner.

— Fichue hystérique, lançai-je, hargneux.

— Au contraire. Je dirais qu’elle est calme et contente. Et pas une trace de repentir.

Nous entrâmes ensemble dans le mess des officiers. Maïka, installée à table, mangeait un potage et lisait un livre.

— Salut, prisonnière, fis-je, m’asseyant devant elle avec mon verre.

Maïka se détacha de son livre et me regarda, un œil plissé.

— Comment ça va du côté des supérieurs ? s’enquit-elle.

— Il est dans une douloureuse méditation, répondis-je en l’examinant. Il décide s’il faut te faire pendre immédiatement à la vergue avant, ou bien t’amener jusqu’à Douvres où l’on te pendra à une chaîne.

— Et quoi de neuf à l’horizon ?

— Sans changement.

— Oui. Maintenant il ne viendra plus.

Elle le prononça avec une satisfaction évidente. Ses yeux brillaient, gais et hardis, comme tantôt. Je bus du jus de tomate et louchai sur Wanderkhouzé. La mine contrite, il ingurgitait ma salade. Soudain il me vint à l’esprit que notre commandant était aux anges de ne pas avoir à commander notre joyeuse compagnie.

— Oui. Il semblerait que tu nous as saboté le contact, continuai-je.

— J’avoue, répliqua brièvement Maïka, et elle replongea dans son livre. (Seulement elle ne lisait pas. Elle attendait la suite.)

— Espérons que la situation n’est pas si grave que ça, avança Wanderkhouzé. Espérons que ce n’est qu’une complication de plus.

— Pensez-vous que le Petit reviendra ? demandai-je.

— Je pense que oui. (Wanderkhouzé soupira.) Il aime trop poser des questions. Et à présent il en a un tas de nouvelles. (Il finit la salade et se leva.) Je vais au poste de pilotage, annonça-t-il. En vérité, c’est une bien vilaine histoire. Je te comprends, Maïka, mais je ne te justifie aucunement. Tu vois, ce sont des choses qui ne se font pas …

Maïka garda le silence, et Wanderkhouzé s’en alla, poussant la petite table devant lui. Dès que ses pas s’éteignirent, j’interrogeai, m’efforçant de parler poliment, mais sévèrement :