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— Tu l’as fait exprès ou par hasard ?

— À ton avis ? riposta Maïka, fixant le livre.

— Komov a pris la faute sur lui.

— C’est-à-dire ?

— Il se trouve que la lampe-flash a été allumée à cause de sa négligence.

— Charmant.

Maïka posa son livre et s’étira. Un geste magnifique.

— C’est tout ce que tu trouves à répondre ?

— Et que veux-tu, au juste ? Un aveu sincère ? Le repentir ? Les larmes versées sur ton épaule ?

Je bus une autre gorgée de jus. Je me retenais.

— En premier lieu je voudrais savoir : ça a été exprès ou par hasard ?

— Exprès. Plus loin ?

— Plus loin j’aimerais entendre pourquoi tu l’as fait.

— Pour mettre fin une fois pour toutes à cette chose inqualifiable. Plus loin ?

— Quelle chose inqualifiable ? De quoi parles-tu ?

— Parce que c’est révoltant ! jeta avec force Maïka. Parce que c’est inhumain. Parce que je ne pouvais pas rester, les bras croisés, à contempler cette comédie ignoble devenir une tragédie. (Elle jeta violemment son livre.) Et ne me lance pas ces regards fulgurants ! Je n’ai pas besoin qu’on prenne ma défense ! Ah, qu’il est généreux ! Le préféré du docteur Mboga ! Quoi qu’il en soit, je m’en vais ! J’irai dans une école et j’enseignerai aux gamins comment saisir à temps par la manche ces fanatiques des idées abstraites et les crétins qui leur font écho !

J’avais l’intention louable de maintenir un ton poli, correct jusqu’à la fin. Mais là ma patience vint à son terme. À vrai dire, côté patience, chez moi, ça ne va pas très loin.

— C'est insolent ! criai-je, ne trouvant pas les mots. Tu es insolente ! Insolente !

Je tentai de boire une autre gorgée, seulement il s’avéra que mon verre était vide. Sans m’en rendre compte, je l’avais sifflé en entier.

— Plus loin ? enchaîna Maïka avec un sourire méprisant.

— Terminé.

Je scrutais sombrement mon verre vide. En effet, je n’avais plus rien à dire. J’avais dépensé mes cartouches. Apparemment, je n’étais pas venu voir Maïka pour éclaircir le problème, mais simplement pour lui passer un savon.

— Si c’est tout, va au poste de pilotage embrasser ton cher Komov. Et par la même occasion Tom et tes autres trucs cybernétiques. Mais nous, tu vois, nous sommes des gens : rien de ce qui est humain ne nous est étranger.

Je repoussai mon verre et me levai. La conversation n’avait plus de raison d’être. Tout était clair. J’avais eu une camarade et voilà que je ne l’avais plus. Eh bien, je n’en mourrais pas.

— Bon appétit.

Je me dirigeai vers le couloir, les jambes raides. Mon cœur battait la chamade, mes lèvres tremblaient d’une manière dégoûtante. Je m’enfermai dans ma cabine, m’écroulai sur la couchette et enfouis mon nez dans l’oreiller. Dans le vide amer et insondable qui emplissait ma tête tournoyaient, se heurtaient et éclataient des mots non prononcés. C’est bête. Bête !.. Bon, d’accord, tu n’aimes pas cette entreprise. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde ! Finalement, on ne t’a pas invitée, tu t’es retrouvée ici par hasard, alors conduis-toi décemment ! Vu que tu ne piges rien aux contacts, intendante de malheur … Relève tes fichus croquis et suis les ordres ! Que comprends-tu des idées abstraites ? Du reste, où les as-tu vues, ces idées abstraites ? Aujourd’hui une idée est abstraite et demain, sans elle l’histoire s’arrêtera … Bon, admettons qu’elle te déplaît. Refuse alors ! Ça allait si bien, on venait à peine de se lier d’amitié avec le Petit, un gars si merveilleux, intelligent comme pas un, avec lui on aurait pu déplacer les montagnes. Intendante. Et cela s’appelle une amie ! Voilà qu’il n’y a plus ni Petit, ni amie. Komov aussi, en a fait de belles : il fonce à la façon d’un tout-terrain, sans se soucier de ce qu’il écrase, ne demande de conseils à personne, n’explique rien convenablement … Eh non, m’entraîner encore une fois à participer à un contact — mon œil ! Dès que ce remue-ménage se termine, je dépose immédiatement une demande pour le projet Arche-2, avec Vadik, avec Tania, avec Ninon-la-grosse-tête, à la fin des fins. Je bosserai comme une bête, sans jacasseries, sans me laisser distraire par quoi que ce soit. Plus de contacts ! Sans m’en apercevoir je sombrai dans un sommeil si profond que même un coup d’arquebuse ne m’aurait pas réveillé, comme disait mon arrière-grand-père. Il ne faut pas oublier que les deux derniers jours je n’avais pas seulement dormi quatre heures. Wanderkhouzé eut un mal de chien à me secouer. C’était mon tour de quart.

— Et Maïka ? demandai-je, encore somnolent, mais je me rattrapai aussitôt. D’ailleurs, Wanderkhouzé fit semblant de ne pas m’avoir entendu.

Je pris une douche, m’habillai et me rendis au poste de pilotage. Les sensations désagréables de tout à l’heure m’envahirent de nouveau. Je n’avais envie de parler à personne, ni de voir personne. Wanderkhouzé me passa la garde et s’en alla dormir, m’informant que rien ne se passait autour du vaisseau et que Komov me remplacerait d’ici six heures.

À bord, il était exactement vingt-deux heures. Des feux célestes jouaient au-dessus de la crête, un vent fort soufflait de l’océan, déchirait en lambeaux la coiffe brumeuse du marécage chaud, plaquait contre le sable gelé des buissons dénudés, lançait sur la plage des flocons d’écume qui se transformaient aussitôt en glace. Un Tom solitaire pointait sur la piste d’atterrissage, légèrement penché à la rencontre du vent. Tous ses signaux lumineux annonçaient qu’il avait un temps mort, aucune mission à accomplir et qu’il se tenait prêt à exécuter n’importe quel ordre. Un paysage très triste. Je branchai l’acoustique extérieure, écoutai pendant une minute le hurlement de l’océan, le sifflement et le hululement du vent, le martèlement des gouttes glaciales sur le revêtement de l’astronef et me débranchai.

J’essayai de m’imaginer ce que le Petit était en train de faire, me rappelai le brouillard chaud à alvéoles, les caillots délavés de lumière ou, plus exactement, pas de lumière, naturellement, mais de chaleur ; la lueur égale, les rangées mystérieuses des reflets qui n’en étaient pas … Eh bien, il doit y être sûrement au chaud, confortablement installé dans une ambiance familière, il a de quoi réfléchir, ça oui. Blotti dans un coin pierreux, il doit souffrir douloureusement de la peine que Maïka lui a infligée. (« Ma-man … » « Oui, mon lapin bleu. ») Du point de vue du Petit, cela semblait certainement d’une malhonnêteté extrême. À sa place, je ne reviendrais plus jamais ici … Et Komov qui a été si content quand Maïka avait enfilé son bandeau sur la tête du Petit. « Bravo, Maya, avait-il dit. C’est une bonne occasion, moi, je n’aurais pas pris le risque … » Au demeurant, cette idée serait restée inutile. Les constructeurs du TG n’avaient pas réfléchi à fond. Par exemple, il aurait fallu y installer un objectif stéréo … bien que ça va sans dire, un TG soit prévu pour un tout autre usage … Néanmoins, nous avons réussi à voir certaines choses. Le Petit qui volait en est une. Seulement — comment volait-il, pourquoi, sur quoi ? Et cette scène devant les ruines du Pélican … Une planète de créatures invisibles. Oui, on aurait certes pu voir ici pas mal de curiosités si Komov avait donné l’autorisation d’envoyer le gardien-éclaireur. Peut-être l’autoriserait-il maintenant ? D’ailleurs, on n’a pas vraiment besoin du gardien-éclaireur. Pour le premier temps, il suffirait simplement de passer le radar-testeur sur l’horizon …

Le radio-appel chanta. Je m’approchai de l’émetteur. Une voix inconnue demanda Komov, très poliment, je dirais même timidement.