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— C’est de la part de qui ? m’enquis-je sans grande amabilité.

— Je suis membre de la Commission pour les contacts. Mon nom est Gorbovski. (Je m’assis.) J’ai grand besoin de parler avec Guénnadi Youriévitch. Mais peut-être dort-il ?

— Tout de suite, Léonid Andreïevitch, bredouillai-je. Une petite minute, Léonid Andreïevitch … (Je branchai hâtivement l’intercom.) Komov est demandé au poste de pilotage, dis-je. Appel urgent de la base.

— Pas tellement urgent … protesta Gorbovski.

— C’est Léonid Andreïevitch Gorbovski qui appelle ! ajoutai-je solennellement dans l’intercom pour que Komov ne traînât pas trop.

— Jeune homme … commença Gorbovski.

— Au quart, Stas Popov, cybertechnicien ! débitai-je. Rien à signaler !

Gorbovski se tut, puis prononça, incertain :

— Repos …

Retentit le bruit de pas précipités, et Komov entra rapidement dans le poste de pilotage. Ses traits étaient tirés, ses yeux vitreux, soulignés de cernes sombres. Je me levai et lui cédai ma place.

— Komov à l’écoute. C’est vous, Léonid Andreïevitch ?

— C’est moi, bonjour … Écoutez, Guénnadi, ne pouvons-nous pas nous arranger pour nous voir ? Ici il y a plein de je ne sais quels boutons …

Komov m’adressa un seul regard, et mes mains se tendirent d’elles-mêmes vers le tableau et branchèrent le viseur. Nous autres, les radios, gardons en général le viseur coupé. Pour des raisons diverses.

— Ah, fit Gorbovski, satisfait. Maintenant je commence à vous voir.

L’image apparut également sur notre petit écran, le visage long et comme légèrement enfoncé de Léonid Andreïevitch que je connaissais grâce aux portraits et aux descriptions. Il est vrai que sur ses portraits il ressemblait à un philosophe antique, tandis que là il avait l’air quelque peu triste, déçu. Une éraflure — à mon avis toute fraîche — ornait, à ma grande stupéfaction, son large nez de canard. Quand l’image se stabilisa, je reculai et m’assis très doucement à la place de l’officier de quart. Un pressentiment m’avertissait fortement que j’allais être viré. Je me mis alors à scruter consciencieusement les environs torturés par l’ouragan.

— Premièrement, merci beaucoup, Guénnadi. J’ai feuilleté votre documentation et je dois vous dire que c’est quelque chose de vraiment singulier. Follement intéressant. Inventif, élégant … fulgurant …

— J’en suis flatté, répliqua brièvement Komov. Mais ?

— Pourquoi « mais » ? s’étonna Gorbovski. « Et », vous voulez dire. La plupart des membres de la Commission sont du même avis. Il est difficile de croire qu’un travail si colossal a été fait en espace de deux jours seulement.

— Je n’y suis pour rien, rétorqua sèchement Komov. Des circonstances propices, voilà tout.

— Non, ne minimisez pas vos mérites, protesta vivement Gorbovski. Avouez que vous saviez d’avance à qui vous aviez affaire. Ce n’est pas simple, savoir d’avance. Et puis, votre esprit de décision, votre intuition … énergie …

— J’en suis flatté, Léonid Andreïevitch, répéta Komov, baissant légèrement la voix.

Gorbovski se tut quelques instants et soudain demanda très bas :

— Guénnadi, comment vous imaginez-vous le futur destin du Petit ?

La sensation qu’on allait me prier de quitter le poste de pilotage sur-le-champ, sans tarder, dans un clin d’œil, aussi rapidement et directement que possible, atteignit en moi son apogée. Je me recroquevillai et cessai de respirer.

— Le Petit sera l’intermédiaire entre la Terre et les aborigènes.

— Je vois. Ce serait magnifique. Et si le contact n’a pas lieu ?

— Léonid Andreïevitch, prononça Komov durement. Parlons sans ambages. Disons à haute voix ce que chacun de nous pense maintenant et ce que nous craignons le plus. Je m’efforce de transformer le Petit en une arme de la Terre. Pour y arriver, j’essaie avec tous les moyens qui me sont accessibles, sans pitié aucune, si j’ose m’exprimer ainsi, de recréer en lui un être humain.

La difficulté réside dans le fait que la mentalité humaine, le comportement terrien envers le monde sont, semble-t-il, totalement étrangers aux aborigènes qui ont élevé le Petit. Ils nous évitent, ils ne veulent pas de nous. Le subconscient du Petit est entièrement imbibé de cette réaction à notre égard. Heureusement ou malheureusement, les aborigènes ont laissé chez le Petit assez de facteurs humains pour que nous ayons la possibilité de nous emparer de sa conscience. La situation qui vient de se produire est critique. Le conflit est très pénible et très risqué, je le comprends parfaitement, mais nous allons le résoudre. C’est tout au plus quelques jours qu’il me faut pour préparer le Petit. Je lui dévoilerai la vraie situation, je libérerai son subconscient, et il deviendra intégralement notre allié. Vous ne pouvez pas ne pas vous rendre compte, Léonid Andreïevitch, de la valeur d’une telle alliance pour nous … Je prévois une multitude de difficultés. Par exemple, le rejet subconscient de principe risque de se transformer chez le Petit — après que nous lui aurons montré le vrai état de choses — en une aspiration consciente de préserver de nous sa « maison », ses sauveurs et ses éducateurs. Peut-être de nouvelles tensions dangereuses surgiront-elles. Néanmoins je suis sûr que nous arriverons à convaincre le Petit que nos deux civilisations sont des partenaires égaux avec leurs qualités et leurs défauts. Alors, en tant qu’intermédiaire entre nous, il aura la chance de puiser toute sa vie des deux côtés, sans craindre ni pour les uns, ni pour les autres. Il sera fier de son statut exceptionnel, son existence sera pleine de joies, intense … (Komov se tut.) Nous devons, nous sommes obligés de prendre des risques. Un tel cas ne se représentera jamais. Voici mon point de vue, Léonid Andreïevitch.

— Je comprends. Je connais vos idées, je les apprécie … Je sais au nom de quoi vous proposez de courir le risque. Mais avouez que ça ne doit pas dépasser certaines limites. Croyez-moi, dès le début je partageais votre opinion. Je savais ce que nous risquions, j’avais peur, pourtant je me disais sans cesse : et si ça marche ? Quelles perspectives, quelles possibilités ! Je pensais à une autre chose également. Que nous aurons toujours le temps de battre en retraite. Je n’envisageais pas une seconde que ce garçon s’avérerait aussi sociable, que les événements iraient aussi loin au bout de deux jours seulement. (Gorbovski fit une pause.) Guénnadi, il n’y aura pas de contact. Il est temps de sonner la retraite.

— Il y aura le contact !

— Il n’y aura pas de contact, répéta doucement mais avec persistance Gorbovski. Vous vous rendez clairement compte, Guénnadi, que nous avons affaire à une civilisation repliée sur elle-même. Avec une intelligence en circuit fermé.

— Ce n’est pas un circuit fermé, protesta Komov. C’est un quasi-circuit fermé. Ils ont stérilisé la planète et, de toute évidence, la maintiennent dans cet état. On ne sait pas pourquoi ils ont sauvé et élevé le Petit. Enfin, ils sont bien informés sur l’humanité. C’est un quasi-circuit fermé, Léonid Andreïevitch.

— Vous savez, Guénnadi, le circuit fermé absolu est une idéalisation théorique. Naturellement, il reste toujours une certaine activité fonctionnelle dirigée vers l’extérieur, par exemple sanitaire et hygiénique. Quant au Petit … Ce ne sont, certes, que des suppositions, mais si cette civilisation est suffisamment ancienne, son esprit d’humanisme aurait pu muter en un réflexe social non conditionné, en instinct social. L’enfant a été sauvé simplement parce qu’ils éprouvaient le besoin d’une telle action …

— C’est possible, admit Komov. Pour l’instant il ne s’agit pas de forger des suppositions. Ce qui importe, c’est que c’est un quasi-circuit fermé, que les passages secrets vers le contact demeurent ouverts. Il est indéniable que le processus de rapprochement sera très long. Peut-être nous faudra-t-il un délai d’un et demi ou de deux ordres plus long que celui que nécessite le rapprochement avec une civilisation ordinaire au circuit ouvert … Non, Léonid Andreïevitch. J’ai réfléchi au problème et, comme vous le constatez fort bien vous-même, vous ne m’avez rien dit de nouveau. Votre opinion contre la mienne, voilà tout. Vous proposez d’abandonner, et moi, je veux utiliser cette dernière chance jusqu’au bout.