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— Guénnadi, je ne suis pas le seul à penser que le contact n’aura pas lieu, fit très doucement Gorbovski.

— Qui d’autre, voyons cela ? s’enquit Komov avec une légère ironie. August-Johann-Maria Bader ?

— Non, pas uniquement Bader. À franchement parler, je vous ai dissimulé un atout, Guénnadi … Ne vous est-il jamais venu à l’esprit que Choura Sémionov n’avait pas effacé son journal de bord sur la planète même, mais alors qu’il était encore dans le cosmos ; pas parce qu’il avait vu des monstres intelligents, mais parce que encore dans le cosmos il avait été attaqué et s’était dit qu’une civilisation hautement développée et agressive régnait sur la planète ? Nous, cette idée nous est venue. Pas sur-le-champ, cela va de soi ; au début nous avons simplement tiré des conclusions justes à partir d’une prémisse erronée, comme vous. Toutefois, dès que cette pensée nous a effleurés, nous nous sommes mis à fouiller l’espace entourant la planète. Et voilà qu’il y a deux heures nous avons reçu l’information qu’il est enfin découvert.

Gorbovski se tut.

Je faisais de titanesques efforts pour ne pas crier : « Qui ? Qui est découvert ? » À mon avis, Gorbovski s’attendait à une telle exclamation. Mais en vain. Komov gardait le silence. Gorbovski fut obligé de continuer :

— Il est superbement camouflé. Il absorbe presque la totalité des rayons. Nous ne l’aurions jamais trouvé si nous ne l’avions pas cherché expressément, et encore, il nous a fallu appliquer un moyen complètement nouveau — on m’a expliqué, pourtant je n’ai pas compris ce que c’était exactement — je ne sais quel concentrateur de vide. Bref, nous l’avons repéré à tâtons et pris à l’abordage. Un satellite-automate, quelque chose du genre sentinelle armée. Selon certains détails de sa construction, ce sont les Pèlerins qui l’ont placé là. Il y a très longtemps, une centaine de milliers d’années environ. Heureusement pour les participants au projet Arche, il ne portait que deux charges. La première a été lancée dans la nuit des temps, nous ne saurons probablement jamais sur qui. La seconde a été pour les Sémionov. Les Pèlerins considéraient cette planète comme interdite, je ne vois pas d’autre explication. La question se pose pourquoi ? À la lumière de ce que nous savons, il ne peut y avoir qu’une réponse : d’après leur propre expérience ils ont déduit que la civilisation locale n’était pas sujette à la communication, qui plus est, elle représentait un circuit fermé, qui plus est, un contact risquait de provoquer dans son sein de sérieux ébranlements. Si je n’avais de mon côté qu’August-Johann-Maria Bader … mais, si ma mémoire est bonne, vous avez toujours évoqué les Pèlerins avec un grand respect, Guénnadi. (Gorbovski se tut à nouveau.) Cependant, il ne s’agit pas que de cela. Dans une situation semblable, nous aurions pu, même en dépit de l’avis des Pèlerins, nous permettre des tentatives très prudentes, très étalées dans le temps, d’ouvrir le circuit fermé des aborigènes. Au pire des cas, notre expérience se serait enrichie d’un résultat négatif de plus. Nous aurions installé sur la planète un signal adéquat et regagné nos pénates. L’affaire se serait limitée à nos deux civilisations … Seulement le problème est qu’entre nos civilisations, comme entre le marteau et l’enclume, se trouve maintenant une troisième, et depuis quelques jours déjà nous portons la responsabilité entière de cette troisième civilisation, Guénnadi, de son unique représentant, le Petit.

J’entendis Komov soupirer profondément, et un long silence s’installa. Lorsque Komov se remit à parler, sa voix sonnait de façon inhabituelle, elle était un peu cassée. Il parla des Pèlerins. Au début il s’étonna que les Pèlerins, en plaçant à côté de la planète un satellite de garde, eussent pris un risque qui frisait le crime, puis il se rappela lui-même les données indirectes selon lesquelles les Pèlerins voyageaient toujours en escadres et que pour eux tout astronef stellaire solitaire ne pouvait être rien d’autre qu’une sonde automatique. Il mentionna également le fait que, commencée il y a cinquante ans, l’époque barbare des vols solitaires pour des recherches libres touchait à sa fin — trop de victimes, trop d’erreurs absurdes, trop peu de profit. « Oui, approuva Gorbovski, moi aussi, j’y ai pensé ». Ensuite Komov évoqua les disparitions mystérieuses des éclaireurs automatiques lancés vers certaines planètes.

« Nous manquions invariablement de temps pour analyser ces disparitions, et voilà que maintenant nous les voyons sous un autre jour ». « Juste ! confirma avec enthousiasme Gorbovski. Ça, je n’y ai pas songé, c’est une pensée fort intéressante ». Ils parlèrent du satellite de garde, s’étonnèrent qu’il ne portât que deux charges, tentèrent de se faire une idée sur les notions que les Pèlerins, dans ce cas, pouvaient avoir concernant l’habitabilité de l’univers, aboutirent à la conclusion que leurs opinions ne différaient pas outre mesure des nôtres, mais furent obligés à constater que les Pèlerins, apparemment, avaient eu l’intention de revenir ici et que pourtant ils n’y revinrent pas, on ne sait pourquoi. Borovik devait avoir raison de supposer que les Pèlerins avaient quitté notre Galaxie. Komov suggéra avec une pointe de malice que les aborigènes étaient justement les Pèlerins — ils se seraient rangés, saturés de l’information extérieure. Gorbovski, fidèle à lui-même, refit allusion aux idées de Komov et, plaisantant à son tour, se mit à l’interroger pour savoir comment il fallait juger une telle évolution chez les Pèlerins sous le jour de la théorie du progrès vertical.

Puis ils abordèrent la question de la santé du Dr Mboga, sautèrent brusquement sur l’apaisement de je ne sais quel Empire Insulaire et sur le rôle qu’avait joué dans cet apaisement un certain Charles-Louis qu’ils appelaient curieusement Pèlerin aussi. En douceur, imperceptiblement, ils quittèrent Charles-Louis pour le problème des limites de la compétence du Conseil de la Sécurité Galactique, s’accordèrent sur le point que seules les civilisations humanoïdes pouvaient se réclamer de cette compétence … Très vite je cessai de comprendre leur conversation et, surtout pourquoi ils parlaient précisément de cela.

— Je vous ai complètement exténué, Guénnadi, pardonnez-moi. Allez vous reposer. J’ai eu beaucoup de plaisir à bavarder avec vous. Cela fait un bout de temps que nous ne nous sommes pas vus.

— Nous ne tarderons pas à nous revoir, je pense, répliqua Komov avec amertume.

— Oui, dans deux jours, à mon avis. Bader est déjà en chemin pour vous rejoindre. Borovik aussi. Je crois qu’après-demain toute la Comcone sera à la base.

— Donc, à après-demain.

— Saluez de ma part votre officier de quart … Stas, il me semble. Il est … comment dirais-je … très service service. Et Yakov également, saluez Yakov sans faute ! Ainsi que les autres, bien entendu.

Ils se dirent au revoir.

Je restais assis doucement comme une souris et continuais à écarquiller bêtement les yeux sur l’écran panoramique, sans rien voir, sans rien comprendre. Les minutes s’écoulaient, insupportablement longues. L’envie de me tourner m’ankylosa le cou et me faisait un point sous l’omoplate. Je voyais parfaitement que Komov était écrasé. En tout cas, moi, je me sentais écrasé, raide. Je cherchais une réponse pour Komov, mais dans ma tête ne bourdonnait stupidement qu’un leitmotiv « Qu’est-ce que j’en ai à fiche, de ces Pèlerins ? La belle affaire, les Pèlerins ! Moi-même, dans un sens, je suis un Pèlerin … »