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» À ce moment Goulard s’approcha de lui, et pour la seconde fois: “Ainsi, interrogea-t-il, vous vous avouez coupable!” De la tête, Monistrol fit: “Oui, oui!…”, puis d’une voix rauque: “Je vous en prie, laissez-moi seul!” dit-il.

» C’est ce que nous avons fait, après avoir eu soin, toutefois, de placer un surveillant en observation au guichet de la cellule, pour le cas où le gaillard essayerait d’attenter à ses jours…

» Goulard et Poltin sont restés là-bas, et moi, me voilà!…

– C’est précis, grommela le commissaire, c’est on ne peut plus précis…

C’était aussi l’opinion du juge, car il murmura:

– Comment, après cela, douter de la culpabilité de Monistrol?

Moi, j’étais confondu, et cependant mes convictions étaient inébranlables. Et même, j’ouvrais la bouche pour hasarder une objection, quand monsieur Méchinet me prévint.

– Tout cela est bel et bon!… s’écria-t-il. Seulement, si nous admettons que Monistrol est l’assassin, nous sommes aussi forcés d’admettre que c’est lui qui a écrit son nom là, par terre… et dame! ça, c’est roide…

– Bast! interrompit le commissaire, du moment où l’inculpé avoue, à quoi bon se préoccuper d’une circonstance que l’instruction expliquera…

Mais l’observation de mon voisin avait réveillé toutes les perplexités du juge. Aussi, sans se prononcer:

– Je vais me rendre à la préfecture, déclara-t-il, je veux interroger Monistrol ce soir même.

Et après avoir recommandé au commissaire de police de bien remplir toutes les formalités et d’attendre les médecins mandés pour l’autopsie du cadavre, il s’éloigna, suivi de son greffier, et de l’agent qui était venu nous annoncer le succès de l’arrestation.

– Pourvu que ces diables de médecins ne se fassent pas trop attendre! gronda le commissaire, qui songeait à son dîner.

Ni monsieur Méchinet ni moi ne lui répondîmes. Nous demeurions debout, en face l’un de l’autre, obsédés évidemment par la même idée.

– Après tout, murmura mon voisin, peut-être est-ce le vieux qui a écrit…

– Avec la main gauche, alors?… Est-ce possible!… Sans compter que la mort de ce pauvre bonhomme a dû être instantanée…

– En êtes-vous sûr?…

– D’après sa blessure, j’en ferais le serment… D’ailleurs, des médecins vont venir, qui vous diront si j’ai raison ou tort…

Monsieur Méchinet tracassait son nez avec une véritable frénésie.

– Peut-être, en effet, y a-t-il là-dessous quelque mystère, dit-il… ce serait à voir…

» C’est une enquête à refaire… Soit, refaisons-la… Et pour commencer, interrogeons la portière…

Et courant à l’escalier, il se pencha sur la rampe, criant:

– La concierge!… Hé! la concierge! montez un peu, s’il vous plaît…

V

En attendant que montât la concierge, monsieur Méchinet procédait à un rapide et sagace examen du théâtre du crime.

Mais c’est surtout la serrure de la porte d’entrée de l’appartement qui attirait son attention. Elle était intacte et la clef y jouait sans difficulté. Cette circonstance écartait absolument l’idée d’un malfaiteur étranger s’introduisant de nuit à l’aide de fausses clefs.

De mon côté, machinalement, ou plutôt inspiré par l’étonnant instinct qui s’était révélé en moi, je venais de ramasser ce bouchon à demi recouvert de cire verte que j’avais remarqué à terre.

Il avait servi, et du côté de la cire, gardait les traces du tire-bouchon; mais, de l’autre bout, se voyait une sorte d’entaille assez profonde, produite évidemment par un instrument tranchant et aigu.

Soupçonnant l’importance de ma découverte, je la communiquai à monsieur Méchinet, et il ne put retenir une exclamation de plaisir.

– Enfin! s’écria-t-il, nous tenons donc enfin un indice!… Ce bouchon, c’est l’assassin qui l’a laissé tomber ici… Il y avait fiché la pointe fragile de l’arme dont il s’est servi. Conclusion: l’instrument du meurtre est un poignard à manche fixe, et non un de ces couteaux qui se ferment… Avec ce bouchon, je suis sûr d’arriver au coupable quel qu’il soit!…

Le commissaire de police achevait sa besogne dans la chambre, nous étions, monsieur Méchinet et moi, restés dans le salon, lorsque nous fûmes interrompus par le bruit d’une respiration haletante.

Presque aussitôt, se montra la puissante commère que j’avais aperçue dans le vestibule pérorant au milieu des locataires.

C’était la portière, plus rouge, s’il est possible, qu’à notre arrivée.

– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur? demanda-t-elle à monsieur Méchinet.

– Asseyez-vous, madame, répondit-il.

– Mais, monsieur, c’est que j’ai du monde en bas…

– On vous attendra… je vous dis de vous asseoir.

Interloquée par le ton de monsieur Méchinet, elle obéit. Alors lui, la fixant de ses terribles petits yeux gris:

– J’ai besoin de certains renseignements, commença-t-il, et je vais vous interroger. Dans votre intérêt, je vous conseille de répondre sans détours. Et d’abord, quel est le nom de ce pauvre bonhomme qui a été assassiné?

– Il s’appelait Pigoreau, mon bon monsieur, mais il était surtout connu sous le nom d’Anténor, qu’il avait pris autrefois, comme étant plus en rapport avec son commerce.

– Habitait-il la maison depuis longtemps?

– Depuis huit ans.

– Où demeurait-il avant?

– Rue Richelieu, où il avait son magasin… car il avait été établi, il avait été coiffeur, et c’est dans cet état qu’il avait gagné sa fortune.

– Il passait donc pour riche?

– J’ai entendu dire à sa nièce qu’il ne se laisserait pas couper le cou pour un million.

À cet égard, la prévention devait être fixée, puisqu’on avait inventorié les papiers du pauvre vieux.

– Maintenant, poursuivit monsieur Méchinet, quelle espèce d’homme était ce sieur Pigoreau, dit Anténor?

– Oh! la crème des hommes, cher bon monsieur, répondit la concierge… Il était bien tracassier, maniaque, grigou comme il n’est pas possible, mais il n’était pas fier… Et si drôle, avec cela!… On aurait passé ses nuits à l’écouter, quand il était en train… C’est qu’il en savait de ces histoires! Pensez donc, un ancien coiffeur, qui avait, comme il disait, frisé les plus belles femmes de Paris…

– Comment vivait-il?

– Comme tout le monde… Comme les gens qui ont des rentes, s’entend, et qui cependant tiennent à leur monnaie.

– Pouvez-vous me donner quelques détails?

– Oh! pour cela, je le pense, vu que c’est moi qui avais soin de son ménage… Et cela ne me donnait guère de peine, car il faisait presque tout, balayant, époussetant et frottant lui-même… C’était sa manie, quoi! Donc, tous les jours que le bon Dieu faisait, à midi battant, je lui montais une tasse de chocolat. Il la buvait, il avalait par-dessus un grand verre d’eau, et c’était son déjeuner. Après il s’habillait, et ça le menait jusqu’à deux heures, car il était coquet et soigneux de sa personne plus qu’une mariée. Sitôt paré, il sortait pour se promener dans Paris. À six heures, il s’en allait dîner dans une pension bourgeoise, chez les demoiselles Gomet, rue de la Paix. Après son dîner il courait prendre sa demi-tasse et faire sa fine partie au café Guerbois… et à onze heures il rentrait se coucher. Enfin, il n’avait qu’un défaut, le pauvre bonhomme… Il était porté sur le sexe. Même souvent, je lui disais: «À votre âge, n’avez-vous pas de honte!…» Mais on n’est pas parfait, et on comprend ça d’un ancien parfumeur, qui avait eu dans sa vie des tas de bonnes fortunes…