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– Quoi, madame, m’écriai-je, vous croyez Monistrol coupable!…

Après un moment d’hésitation, elle répondit:

– Oui.

Puis très vivement:

– Mais je suis sûre, entendez-vous, absolument sûre, que l’idée du meurtre vient de la femme. Sur vingt crimes commis par les hommes, quinze ont été conçus, ruminés et inspirés par des femmes… demandez à Méchinet. La déposition de la concierge eût dû vous éclairer. Qu’est-ce que cette madame Monistrol? Une personne remarquablement belle, vous a-t-on dit, coquette, ambitieuse, rongée de convoitises et qui mène son mari par le bout du nez. Or quelle était sa position? Mesquine, étroite, précaire. Elle en souffrait, et la preuve c’est qu’elle a demandé à son oncle de lui prêter cent mille francs. Il les lui a refusés, faisant ainsi avorter ses espérances. Croyez-vous qu’elle ne lui en a pas voulu mortellement!… Allez, elle a dû se répéter bien souvent: “S’il mourait, cependant, ce vieil avare, nous serions riches, mon mari et moi!…” Et quand elle le voyait bien portant et solide comme un chêne, fatalement elle se disait: “Il vivra cent ans… quand il nous laissera son héritage, nous n’aurons plus de dents pour le croquer… et qui sait même s’il ne nous enterrera pas!…” De là à concevoir l’idée d’un crime, y a-t-il donc si loin?… Et la résolution une fois arrêtée dans son esprit, elle aura préparé son mari de longue main, elle l’aura familiarisé avec la pensée d’un assassinat, elle lui aura mis, comme on dit, le couteau à la main… Et lui, un jour, menacé de la faillite, affolé par les lamentations de sa femme, il a fait le coup…

– Tout cela est logique, approuvait monsieur Méchinet.

Très logique, sans doute, mais que devenaient les circonstances relevées par nous?

– Alors, madame, dis-je, vous supposez Monistrol assez bête pour s’être dénoncé en écrivant son nom…

Elle haussa légèrement les épaules, et répondit:

– Est-ce une bêtise? Moi, je soutiens que non, puisque c’est votre argument le plus fort en faveur de son innocence.

Le raisonnement était si spécieux que j’en demeurai un moment interdit. Puis, me remettant:

– Mais il s’avoue coupable, madame, insistai-je.

– Excellent moyen pour engager la justice à démontrer son innocence…

– Oh!

– Vous en êtes la preuve, cher monsieur Godeuil.

– Eh! madame, le malheureux ne sait pas comment son oncle a été tué!…

– Pardon, il a paru ne pas le savoir… ce qui n’est pas la même chose.

La discussion s’animait, et elle eût duré longtemps encore, si monsieur Méchinet n’y eût mis un terme.

– Allons, allons, dit-il bonnement à sa femme, tu es par trop romanesque, ce soir…

Et s’adressant à moi:

– Quant à vous, poursuivit-il, j’irai vous prendre demain, et nous irons ensemble chez madame Monistrol… Et sur ce, comme je tombe de sommeil, bonne nuit…

Il dut dormir, lui, mais moi, je ne pus fermer l’œil.

Une voix secrète s’élevait du plus profond de moi-même, qui me criait que Monistrol était innocent.

Mon imagination me représentait avec une vivacité douloureuse les tortures de ce malheureux, seul dans sa cellule du dépôt…

Mais pourquoi avait-il avoué?…

VIII

Ce qui me manquait alors – cent fois, depuis, j’ai eu l’occasion de m’en rendre compte -, c’était l’expérience, la pratique du métier; c’était surtout la notion exacte des moyens d’action et d’investigation de la police.

Je sentais vaguement que cette enquête avait été mal, ou plutôt légèrement conduite, mais j’aurais été bien embarrassé de dire pourquoi, de dire surtout ce qu’il eût fallu faire.

Je ne m’en intéressais pas moins passionnément à Monistrol.

Il me semblait que sa cause était la mienne même. Et c’était bien natureclass="underline" ma jeune vanité se trouvait en jeu. N’était-ce pas une remarque de moi qui avait élevé les premiers doutes sur la culpabilité de ce malheureux?

– Je me dois, me disais-je, de démontrer son innocence.

Malheureusement, les discussions de la soirée m’avaient tellement troublé que je ne savais plus sur quel fait précis échafauder mon système.

Ainsi qu’il arrive toujours quand on applique trop longtemps son esprit à la solution d’un problème, mes idées se brouillaient comme un écheveau aux mains d’un enfant. Je n’y voyais plus clair, c’était le chaos.

Enfoncé dans mon fauteuil, je me torturais la cervelle, lorsque sur les neuf heures du matin, monsieur Méchinet, fidèle à sa promesse de la veille, vint me prendre.

– Allons! allons! fit-il, en me secouant brusquement, car je ne l’avais pas entendu entrer; en route!…

– Je suis à vous, dis-je en me dressant.

Nous descendîmes en hâte, et je remarquai alors que mon digne voisin était vêtu avec plus de soin que de coutume.

Il avait réussi à se donner ces apparences débonnaires et cossues qui séduisent par-dessus tout le boutiquier parisien.

Sa gaieté était celle de l’homme sûr de soi, qui marche à une victoire certaine.

Bientôt nous fûmes dans la rue, et tandis que nous cheminions:

– Eh bien! me demanda-t-il, que pensez-vous de ma femme?… Je passe pour un malin, à la préfecture, et cependant je la consulte – Molière consultait bien sa servante -, et souvent je m’en suis bien trouvé. Elle a un faible: pour elle, il n’est pas de crimes bêtes, et son imagination prête à tous les scélérats des combinaisons diaboliques… Mais comme j’ai justement le défaut opposé, comme je suis un peu trop positif, peut-être, il est rare que de nos consultations ne jaillisse pas la vérité…

– Quoi! m’écriai-je, vous pensez avoir pénétré le mystère de l’affaire Monistrol!…

Il s’arrêta court, tira sa tabatière, aspira trois ou quatre de ses prises imaginaires, et d’un ton de vaniteuse discrétion:

– J’ai du moins le moyen de le pénétrer, répondit-il.

Cependant nous arrivions au haut de la rue Vivienne, non loin de l’établissement de Monistrol.

– Attention! me dit monsieur Méchinet; suivez-moi, et, quoi qu’il arrive, ne vous étonnez de rien.

Il fit bien de me prévenir. J’aurais été sans cela singulièrement surpris de le voir entrer brusquement chez un marchand de parapluies.

Raide et grave comme un Anglais, il se fit montrer tout ce qu’il y avait dans la boutique, ne trouva rien à sa fantaisie et finit par demander s’il ne serait pas possible de lui fabriquer un parapluie dont il fournirait le modèle.

On lui répondit que ce serait la chose la plus simple du monde, et il sortit en annonçant qu’il reviendrait le lendemain.

Et, certes, la demi-heure qu’il avait passée dans ce magasin n’avait pas été perdue.

Tout en examinant les objets qu’on lui soumettait, il avait eu l’art de tirer des marchands tout ce qu’ils savaient des époux Monistrol.

Art facile, en somme, car l’affaire du «petit vieux des Batignolles», et l’arrestation du bijoutier en faux avaient profondément ému le quartier et faisaient le sujet de toutes les conversations.

– Voilà, me dit-il quand nous fûmes dehors, comment on obtient des renseignements exacts… Dès que les gens savent à qui ils ont affaire, ils posent, ils font des phrases, et alors adieu la vérité vraie…