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Y a des jours, les hommes ne sont plus fréquentables. On espère en eux, mais autant chier dans un piano à queue sans tirer la chasse ! En fin de compte, t’es seulâbre, mon grand, tel un noyau dans une pêche.

M. Sébastien, le taulier, m’a fait apporter de l’Aspirine par une gonzesse moche comme trois culs mal torchés. Je m’étais ingaffé que j’avais la bite à l’air. C’est son regard exorbité qui m’a alerté. Mais ma réaction a été trop tardive ; quand j’ai remonté le drap sur ma hallebarde, elle avait contracté un complexe de démesurance, question chopine. Les gugus qui allaient la tirer devraient s’apporter avec des rapières de zouaves pontificaux.

Mes comprimés avalés, j’ai pu prendre un peu de repos. J’avais le goût de sa petite chaglatte dans la clape, Edith. Pas désagréable. Je préfère encore ça au caviar.

Même sans vodka.

J’en ai écrasé tant mal que bien, malgré mes souffrances. Combien de temps ? Impossible de te le préciser. J’ai fait un cauchemar abominable. L’humanité était réduite en esclavage par des gonziers loqués en clodos. Le dessus de notre pauvre petite planète se trouvait déserté et on vivait enfouis dans des grottes profondes plus vastes que la France. Les hommes valides continuaient de creuser tandis qu’on anéantissait purement et simplement les autres. Comme par magie, ils cessaient d’être, selon une volonté supérieure. Je planais au-dessus de cette populace condamnée, attentif aux bourreaux aussi bien qu’aux victimes. Soudain, j’ai vu l’un des kapos faire un signe à un prisonnier. Tous deux étaient gras, voire bedonnants. Ils se sont isolés dans un local invisible dont la porte était en roche. Là, l’occupant s’est assis sur un tabouret et l’occupé a entrepris de lui turluter le Nestor qu’il avait en trognon de chou et d’un vilain gris de viande morte.

Cette vision est à ce point gerbante qu’elle me réveille.

Je retrouve la piaule du petit café-hôtel-restaurant.

Le jour agonise dans les vitres. Je distingue une ombre chinoise devant la fenêtre : celle d’Edith. Elle ne porte que sa pauvre marinière cradoche ; le bas de son corps fluet est dénudé. Elle se tient à califourchon sur une chaise ; de ce fait, sa chaglatte reste écarquillée.

Avec une attention qui la voue à l’immobilité, la gosse reluque au-dehors avec mes jumelles. Ça doit être intéressant car son matage dure.

— C’est beau ou c’est triste ? l’à-brûle-pourpoints-je.

Elle émet un léger cri et manque de lâcher l’instrument d’optique.

Elle murmure :

— Curieux…

— Que regardes-tu ?

— Une vieille bonne femme.

— Que fait-elle de si captivant ?

— Elle glisse des prospectus dans les boîtes aux lettres de l’avenue.

— Qu’y a-t-il d’étrange à cela ?

— C’est pas une femme, c’est un homme ! Pour lors, je m’arrache du plumzingue et clopine à la croisée.

La personne en question atteint le bout de mon champ visuel. Elle claudique. Vêtue de fringues noires, elle porte une sorte de sacoche en bandoulière, d’où elle extrait des prospectus roses qu’elle plie en deux pour les introduire dans les boîtes accrochées aux grilles des pavillons.

J’empare les jumelles. Fectivement, celles-ci dissipent l’illuse. C’est bien d’un homme qu’il s’agit. Ses joues rasées de près sont bleues de barbe, comme l’écrirait la comtesse de Paris et Grande Ceinture, qui en a également. De plus, la distributrice de prospectus a des épaules de routier et des pinceaux qui lui permettent de conserver la position verticale pour dormir.

L’envie me point de me sabouler en grande vitesse pour aller bavarder avec ce personnage. Seulement voilà : je suis plus faiblard que le mec qui vient de traverser l’Atlantique en pédalo après avoir oublié sa musette de ravito.

— Fonce ! enjoins-je à ma bichette d’amour. Suis ce type et tâche de voir où il crèche !

Pendant qu’elle saute dans son jean, je prends de l’affiche et le lui tends.

— Surtout, fais gaffe de ne pas le paumer !

Je la regarde vélocer, depuis la fenêtre. La nuit est à peu près tombée et l’avenue Marie-France Dayot se pare de grisailles vaporeuses.

La gamine sort en trombe de l’immeuble et bombe en direction de la fausse bonne femme que, désormais, je ne puis plus apercevoir.

Vanné par mon nouvel effort, je me recouche, haletant.

Je crois « qu’ils » ont raison, tous : j’abuse !

Après une plombe d’attente, Edith n’est toujours pas de retour. Lors, un remords me taraude. N’ai-je pas commis une nouvelle imprudence en envoyant cette gamine filer un suspect ?

Manière de me requinquer, j’appelle la maison où Félicie, morte d’angoisse me répond :

— Mais, mon grand, tu n’y penses pas ! Quitter l’hôpital, dans ton état !

— Ne te tracasse pas, m’man, je suis dans une clinique privée tout ce qu’il y a de smart. Le ministre, qui m’a obligé de me planquer par mesure de sécurité. Sitôt que je pourrai te donner mon adresse, je le ferai. Tu as pu obtenir des renseignements à propos de Béru ?

— Je pense, oui.

— Alors ?

— Il semble qu’il a pris un taxi de sa propre initiative ; la voiture était une 404 blanche.

— Formide ! Tu sais que tu es une collaboratrice super, m’man ! Je vais illico communiquer le tuyau au service compétent.

— Antoine, mon chéri, on te soigne bien, au moins ?

— Un vrai chapon, m’man !

La comparaison n’a rien de rassurant car les chapons sont élevés pour être mangés.

16

CHEVAUX DE LONGCHAMP

Le gazier de la roulante est un évasif. D’abord il ne me connaît pas et m’a enjoint de répéter mon blase, ce qui incite à la modestie. Comme il manque par trop d’empressement, je lui dis de me passer l’officier de police Rondebière, ce dont il s’acquitte avec la promptitude d’un mouton auquel on ordonnerait de sodomiser la louve de Rome.

Ayant obtenu l’intéressé, je lui demande d’où sort la crevure bougonnante à laquelle je viens de parler. Il m’apprend qu’il s’agit d’un nouveau. A quoi je rétorque que cézigue va devenir un ancien dans les meilleurs délais car je vais m’occuper de sa carrière dès que je serai sur patte. Cette bile épanchée, je lui ordonne de me retrouver le taxoche ayant chargé Bérurier devant son immeuble le jour de sa disparition, lui communique les renseignements à ma dispose.

J’ai juste le temps de raccrocher avant de perdre conscience. C’est pas ma joie de vivre en ce moment. J’aurais dû repeindre notre tonnelle au lieu de m’élancer dans cette croisade en comparaison de laquelle celle de Godefroi de Bouillon n’était qu’une « extension » des Croisières Paquet.

Je refais surface biscotte quelqu’un vient de pénétrer dans ma chambre. Je reconnais Sébastien, le taulier.

— Excusez-moi, murmure-t-il, je voulais savoir si vous auriez besoin de quelque chose ? Mathilde, ma serveuse, dit qu’elle vous a entendu gémir.

— Je devais rêver, désarticulé-je.

— Vous ne voulez pas un potage ?

— Pas faim.

— Vous savez que vous n’avez pas l’air brillant du tout. Selon moi faudrait vous hospitaliser.

— Vous rigolez. Une nuit de sommeil, et demain je serai beau comme une bite fraîche !

— N’en tous les cas, vous devriez boire.

— D’accord.

— Je vous fais monter une tisane ?