J’aimerais que ma bite soit prélevée de ma dépouille, un jour, et exposée dans une galerie de Saint-Germain-des-Prés, non pas en qualité de phénomène, ce qui ne serait réalisable qu’avec le sexe de Bérurier, mais en tant qu’œuvre d’art. Et on placerait à côté d’elle la liste de toutes les belles qui l’ont dégustée : les illustres seulement, telles la reine Babiola ou Mme Tâtechère.
Elle s’est assise près de moi, mais plus haut, le dos contre le montant du plumard. Elle me caresse le visage de ses doigts légers. C’est l’extase. Les sœurs Brontë en cale sèche, le cœur content, comme dit l’admirable Trenet.
Je soupire :
— Tu accepterais de vivre avec moi ?
La caresse qu’elle me prodiguait sur la joue ne s’interrompt pas.
— Vous ne savez rien de moi !
— Juste ton nom, et c’est plus que suffisant. Je ne te demanderai jamais rien de plus ; ne rencontrerai aucun des personnages qui te sont familiers, fût-ce ta mère. On voguera dans un éternel présent. Il ne sera question que d’amour entre nous. Tout autre sujet sera prohibé.
— Vous vous lasseriez vite d’une telle vie.
— Peut-être, mais nous l’aurions vécue.
— Vous êtes un être rare.
Que répondre ?
Je suis ému. On m’a souvent traité d’homme, jamais « d’être ». Et c’est vrai que je suis cela avant tout, et avec une sourde violence : un être humain.
— Ta liqueur m’a fait du bien ; je vais pouvoir me remettre en marche.
— Pour aller où ?
— Oh ! pas loin d’ici.
— A l’hôtel ?
— Non : chez le père Lhours où travaillait ta pauvre sœur.
— A cette heure !
— C’est la meilleure pour l’explorer tranquillement.
Je te le répète, ce qui m’emballe particulièrement chez ma jolie Espanche, c’est sa soumission à ma volonté. Macho, qu’il est, l’Antonio, hein ? Je vois d’ici la levée de fourches chez certaines « trices » qui vont encore me traiter de despote. Mais qu’y puis-je ? J’ai pas envie de me refaire : je serais capable de me louper encore une fois.
Comme l’a dit un coureur du Tour de France, après la mort de son coéquipier italien : « Avec ou sans casque, on est vraiment peu de chose. » Moi, y a lurette que j’en porte plus.
Interjection demande :
— Comment allez-vous y entrer, vous n’avez pas la clé ?
— Je possède toutes les clés en une, ma chérie.
Toujours sa manière de ne pas insister. Elle émet une idée, et quoi que tu en fasses, s’abstient de la développer. Ses objections sont à pièce unique. Elle est constructive à l’économie.
Au bout d’un peu, on décarre. Je devrais sans doute lui dire de rester chez elle et de pioncer, mais j’ai trop besoin de sa présence.
— Stoppe avant la maison, si tu veux bien.
Elle.
Je m’extrais. Ça gire un chouïe sous ma coiffe. J’embarde en marchant. La chérie me biche par une aile. Ainsi fait-on avec son papa quand il a trop éclusé à la noce de la cousine Adèle. Le paveton me paraît plus souple que du caoutchouc Mousse.
Le principal Miborgne n’a pas fermé à clé la porte du jardinet ; celle-ci lance une plainte de poulie rouillée en s’ouvrant.
— Attendez-moi là, ma puce.
Je ne crois pas qu’elle apprécie le « ma puce », non plus que mon ordre. Pourtant, obéissant à sa docilité naturelle, elle s’immobilise après s’être assise sur le muret soutenant la grille.
Bibi biche le cher sésame et va tutoyer les serrures. No problème. J’entre chez le défunt marin en toute facilité. Une sale odeur saisit mes narines que l’air des bords de Seine a salubrifiées.
Mon stylo-torche est fidèle au poste dans ma fouille intérieure. Son faisceau intense me guide jusqu’à la cave. Certaines marches sont encore souillées par le sang de la pauvre Maria, lequel est devenu d’un brun écœurant.
Voici la porte donnant sur le collecteur. Je l’ouvre sans barguigner (d’ailleurs je ne barguigne jamais). Une fraîcheur putride me seringue le tarbouif. Ecœurante. Je débouche dans un conduit d’un mètre soixante où grouille une faune que ma loupiote met en fuite. Un ruisseau fangeux coule dans ce tunnel peu profond, frangé d’un immonde limon.
Je promène ma luce sur ces putricités. Dans le lit de l’égout, d’étranges épaves gisent : cafetières cabossées, brocs sans fond, bouteilles de toutes contenances, débris de mobilier, chats crevés en décomposition, carcasses de vélo, tampons périodiques neutralisés en fin de mission, voitures d’enfant, masques à gaz, ressorts à boudin, machines à coudre, fœtus en tout genre.
J’hésite sur la direction à choisir : amont ou aval ? Une inspection du sol me fait opter pour l’aval ; en effet, je distingue nettement des traces de pas imprimées dans le sol de la courte rive du ruisseau.
Je m’engage donc vers la Seine où se jette l’égout. Selon mon estimation, le fleuve doit se trouver à une bonne centaine de mètres. J’avance, courbé, vacillant, regrettant de ne pas être chaussé de bottes car, à tout bout de champ, je me file une pattoune dans la gadoue.
De temps à autre je dois m’arrêter pour cause d’essoufflement et de titubance exagérée. Elle a raison, ma petite chérie : si je m’obstine à ne pas tenir compte de mon état, il va empirer. Ça signifie quoi, « empirer » ? Qu’une septicémie risque de se déclarer et que le bel Antonio ira se faire plomber les molaires avec l’argile du cimetière. Malgré cette perspective peu alléchante, je vais, vais de toute mon énergie, enfonçant mes paturons dans l’eau pourrie qui malodore à m’en flanquer la gerbe.
Mon guignol bat la breloque. Qu’à la fin, je suis dans l’obligation de m’asseoir sur la carcasse d’une cuisinière à gaz coincée dans le tunnel.
Pendant que je me reprends, je promène la lumière de ma lampe au plafond. C’est alors que j’avise une chose déconcertante. Un fil électrique court le long de la voûte. Il est fixé à des pitons chromés qui semblent assez récents. Je me demande fortement quel est l’usage de cette installation qui ne sert pas à l’éclairement.
Courageusement, en embardant, sacrant, je continue mon déplacement dans le boyau fangeux. Parfois, j’éclaire le plafond pour constater que le câble est toujours là, comme un fil de trolley.
J’arrive au bout du tunnel. Il cesse dans un luxuriant buisson d’arbrisseaux : des enfants de peupliers pour la plupart, qui s’élèvent parmi des plantes exubérantes aux feuilles en palette de peintre. La Seine est là, à quelques mètres, « miroir d’argent sous la lune », écrivait une romancière dont on a ablaté les ovaires qui finissaient par être nazes.
Ayant atteint l’embouchure de mon boyau, je cherche ce qu’il advient du fameux fil. Il me faut un sacré bout de moment pour découvrir qu’au sortir du collecteur, il s’élève verticalement jusqu’aux branchages d’un arbre et disparaît parmi les feuilles.
Comme tu t’en doutes, je n’ai pas la force de me hisser dans le peuplier. Ma seule ressource c’est de le retapisser depuis le sol. Après pas mal d’investigueries je finis par le discerner. Il quitte l’arbre pour en rallier un autre. Je comprends alors que ces jeunes peupliers tiennent lieu de poteaux. Dès lors, il m’est relativement aisé de suivre le cheminement du câble. J’éprouve une exaltation radieuse ; j’ai l’éblouissante sensation que cet étrange fil d’Ariane va me guider vers des révélations merveilleuses.