Après les peupliers, il oblique carrément sur l’agglomération, traverse une zone en friche et pique en direction d’une maisonnette sans goût ni grâce. C’est la bicoque de banlieue destinée à plus humbles que les modestes. Carrée, toit à deux pentes, crépi d’un crémasse pisseux, volets déglingués qui furent verts avant d’être décapés par les intempéries. La maison en question doit comporter tout juste trois pièces, et des pas grandes. Elle est entourée d’un jardinet inculte où des rosiers se sont lentement transformés en ronces. Une antenne de télé semble presque anachronique sur cette guitoune agonisante. Autre signe d’opulence : une Saab 900 décapotable du dernier modèle.
Je m’en approche, indécis, troublé, avec le battant qui chamade à en perdre ses bretelles.
Juste que je m’interroge sur l’heure, une horloge de ville dont je ne peux déterminer si elle est laïque ou religieuse, y va de dix coups bien sonnés.
Le gars ma pomme (en américain : my apple) commence par mémoriser le numéro de la chignole, laquelle est immatriculée dans les Alpes-Maritimes. Ensuite de quoice, je promène le faisçal du stylo magique à l’intérieur du véhicule, mais sans rien découvrir qui vaille un coup de cidre.
Me sens gonflé à bloc, malgré mon état branlant. J’ôte mes groles boueuses comme il est chaudement recommandé de le faire dans les manuels du parfait détective, en vente dans les bureaux de tabac et à la cour d’Angleterre, afin d’opérer un tour complet de la maison. Je perçois la rumeur creuse de la téloche, ce qui dénote une présence.
De plus en plus décidé, je tente d’aller coller un œil au trou de serrure, mais sans en retirer d’avantage. Alors je brusque les choses, ce qui est hautement déraisonnable. Tout autre flic, à ma place, s’assurerait le concours de ses collègues. Las ! cela impliquerait de la paperasserie, tout un zef de chiasse auquel j’ai toujours répugné, car il est le synonyme d’ankylose.
A moi, mon cher sésame !
Essayant de garder le geste assuré, je coule mon passe magique dans une Yale à mine patibulaire. Le genre ergoteuse, pleine de petits trucs viceloques qui font perdre du temps aux gentils casseurs en exercice. J’agis avec le max de discrétion, mon ouïe aiguisée comme une lame de voyou. Bon, ça se passe. J’espère que le ou les habitants de la crèche s’intéressent à leur émission de téloche.
Opération réussie ! la sournoise cesse d’obstructionner. Je reprends ma respirance, patiente un brin pour que s’atténuent les battements de mon palpitant. Il est rétif, l’apôtre, depuis que mes soufflets ont encaissé un morceau de ferraille calibrée !
Ayant retrouvé ma sérénité organique, je décide de tenter l’aventure. Pour commencer, je dégage mon camarade Tu-tues de mes brailles et le glisse sur mon ventre afin qu’il soit plus aisé à emparer. Voilà, à toi de chanter ta romance, d’Artagnan ! Je pousse la porte avec un luxe de précautions dont la nomenclature nécessiterait vingt pages sans interlignes, écrites en petite italique.
Mais qui est-ce qui l’a in the babe, Gontrand ? Messire moi-même, ce pour la raison primordiale que cette vachasse de lourde est équipée d’une chaîne de sécurité. Alors là et dans mon cas, c’est purement catastrophique, Angélique. Tu m’objecteras que j’ai toujours la ressource de la faire sauter d’un coup d’épaule ; seulement je n’ai pas le courage de jouer les boutoirs. Et si je l’avais, ce coup de force ferait du barouf.
Déconcerté, je balance sur la suite de mes investigations. Abandonner momentanément la partie ? Non, mais tu me connais ?
Sans m’arrêter de phosphorer, j’explore mes fouilles toujours équipées de gadgets intéressants, dus à Mathias pour la plupart. C’est ainsi que je déniche, dans une pocket secrète ménagée dans le pli de mon bénoche, une mince scie à métaux large de deux millimètres et longue de dix centimètres. Elle est faite dans un métal extrêmement dur. Ce que je vais entreprendre est culotté, certes, mais n’est-ce point là ma vocation que de l’être ? aurait dit le cher roi Dagobert qui n’a immortalisé son règne que parce qu’il s’est assis sur sa braguette.
Je scie avec une infinie lenteur, en tenant le panneau le plus ouvert possible afin de tendre la chaînette. Il me semble que la lame produit un bruit terrible. Je prie avec ardeur pour que la téloche couvre ce grignotement âpre. Me persuade que c’est le « qui-vive » qui amplifie la morsure de la lame ; qu’en fait, elle est ténue et se perd dans les déconnades du poste.
Au bout d’un instant la scie est engagée dans le métal du maillon.
Et alors, au plus intense de mon effort, un autre son retentit. Un crachotement sec.
Stupéfait, je sens un frelon contre ma tempe et, avec ahurissement, constate qu’un trou du diamètre d’une pièce de cinquante centimes vient d’être pratiqué dans le panneau de bois.
Heureusement que mes réflexes demeurent rapides, malgré l’état « comme ma queue » (dirait Gérard) dans lequel je stagne plus ou moins. Au sol ! Vite !
Bien m’en chope car trois autres bastos perforent la porte.
Je reste allongé à terre. Comme on dit puis dans les books à trois francs six pences : « un liquide chaud » ruisselle dans mon cou. Manifestement c’est pas ma période de chance ; j’aimerais prendre connaissance de mon horoscope établi par la jolie Elizabeth Teissier, voir ce qu’elle raconte cette semaine sur les Cancers du 1er décan. Doit y avoir une planète à la mords-moi-le-paf qui nous fait de l’ombre, je sens.
La porte est déponée, un rectangle de clarté tombe sur moi. Je m’astreins à ne pas broncher d’un poil de zob ! L’instant est aussi solennel que celui de ma première communion. Il est clair que quelqu’un a défouraillé de l’intérieur avec un tromblon équipé d’un silencieux. La maisonnette étant isolée, il en a rien à branler, ledit quelqu’un, de me finir d’une bastos dans le cigare. Au point où il en est, il aurait tort de se gêner, l’artiste équarrisseur.
Deux ombres se projettent près de moi, que je n’ai pas le temps d’admirer.
Une voix masculine dit :
— C’est ce salaud de flic !
— Il est mort ? demande une femme à la voix grave.
— Peu importe ; avec celle que je vais lui mettre dans le cervelet, le doute sera dissipé.
Dis donc, Sana, te voilà prévenu, non ? C’est le moment de faire quelque chose de positif pour toi si tu as envie de passer Noël avec ta vieille maman. Ma main serre la crosse de l’ami Tu-tues. Putain ! Dans mon délabrement physique, j’oubliais d’ôter le cran de sûreté.
Le flingueur s’approche.
Allons, faut aller au charbon, mon pauvre Antoine ! Oublie tes souffrances, ta faiblesse et le reste !
Compte tenu de mon état, comme disait Charles Quint, ça s’opère plutôt bien. C’est ma fulgurance qui emporte le morcif car elle déconcerte mon « tueur », lequel me croyait out. Lorsqu’il a la présence d’esprit de lever son arme, c’est Messire Mézigue qui défouraille le premier. Il s’en biche deux very bioutifoules. Une dans le bras droit (et il en lâche son composteur), l’autre dans le baquet (ce qui va le gêner pour digérer le plat de lentilles contre lequel il a échangé son droit d’aînesse).
Il s’incline en avant. Ses lunettes à monture d’or choient sur les opus incertains qui essaient d’agrémenter le seuil. Je rampe pour m’emparer de son parabellum : une fort belle pièce d’artillerie, ma foi.
C’est en exécutant ce mouvement que le tournis me prend.
Mon dernier sentiment est un renoncement indicible. J’ai la certitude éperdue que tout ça est terriblement vain, stupide et sans conséquences notoires.