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Il me fait :

— Niente, grand ! Cette couche de poussière n’a pas été dérangée depuis le premier septennat du président Mitterrand. Notre pauvre Rouquin a des berlues ; faut dire qu’on l’a trépané…

Force m’est d’en conviendre. Ma position agenouillée me filant le tournis, il m’aide à me relever de ses poignes puissantes et m’installe dans le fauteuil du vieux. Je ferme les yeux.

Tu sais que dans les cas d’extrême faiblesse, ça fatigue de voir le monde. Je ne suis plus qu’un amalgame de sensations confuses. Je me dis que le père Lhours était à cette place, beurré comme un petit Lu, lorsqu’il entendait les loups de la pleine lune. A force, ces sales bêtes le hantaient, devaient lui apparaître dans ses hallucinances de pochard. Ça se mettait à ressembler à des crises terminales de delirium tremens. Au fil du temps, son existence recluse virait à l’obsession, au cauchemar. Que lui faisait-on payer de si grave, à ce forban ? Ses tourmenteurs savaient-ils qu’il souffrait d’un chou-fleur en phase finale ? Voulaient-ils qu’il expie avant de périr de « sa bonne mort » ?

Quelque chose d’indicible, d’obscur, m’assure que je tiens le « bambou », dirait Béru — le disparu.

Mon instinct de flic « SAIT » que je ne me trompe pas et que l’on a voulu tuer Martin Lhours avant qu’il ne meure ! Le tuer seulement pour qu’il n’ait pas droit à ce que les braves gens appellent « sa bonne mort », je te répète.

Tout a une raison, une logique, y compris les actes les plus fous. Si on a créé pour le retraité une fantasmagorie aussi élaborée, c’est qu’il y a une raison valable à la base.

Mais laquelle ? Quand je le saurai, j’aurai la clé de l’énigme.

On se penche sur moi. Je sens une ombre et une odeur forte. Soulève mes stores. Jérémie est là, appuyé des deux mains aux accoudoirs de mon siège. Il me montre au moins cent dents éclatantes, des dents de piano.

— Je te réveille ?

— Je ne dormais pas : je réfléchissais.

— En ronflant ?

— Je n’ai jamais ronflé.

— Y a un commencement à tout. Peut-être cela provient-il de ton poumon fané ?

Et brusquement sa bouille hilare devient sérieuse.

— J’ai une bonne nouvelle à t’apprendre, camarade directeur.

J’entrave illico.

— Tu as déniché les trucs dont parlait le Rouillé ?

— Si, signore ! Ils se trouvaient dans une chambre voisine apparemment désaffectée. Et le plus bœuf…

— Buffle ! corrigé-je, par marotte.

— Je vois que tu vas mieux, tes boutades à connotation raciste reviennent au galop ! Dans le fond tu es un Lepéniste qui s’ignore ! Donc, le plus buffle, c’est que Mathias avait tout laissé en état, sans rajuster la lame du parquet.

— Ce qui prouve formellement la haute incompétence de cette vieille pédale de Miborgne ! Il ne se sera même pas donné le mal d’explorer en détail toutes les chambres !

Je vais pour me pencher sur la latte enlevée, mais le tournicoton me rebiche d’importance et je suis sur le point de basculer en avant toute. Le primate des savanes me retient in extremis afin de me piloter jusqu’à un nouveau fauteuil, voltaire celui-là. Après quoi, il place une chaise devant moi, pour me servir de table, et va ramasser le contenu de la placarde. Celle-ci recelait les objets ci-après : un immense portefeuille d’arrière-grand-père, un étui de daim contenant un objet lourd, une barre d’or de dix kilos, une enveloppe de papier kraft assez rebondie.

— Par quoi commence le Sherlock Holmes au poumon composté ? s’enquiert le camarade Y a-bon.

En guise de réponse, j’ouvre l’étui de daim et le renverse. Une superbe rivière de diamants choit sur le cannage du siège. Point n’est besoin de se visser une loupe d’horloger dans le vasistas pour réaliser qu’il s’agit de cailloux authentiques.

— Ça vaut une soupe, un truc pareil ! bavoche le Mâchuré.

— Plus ! enchéris-je. Tu le proposerais à mes amis de chez Cartier, ils choperaient la danse de Saint-Guy.

Poursuivant mes investigations, je déchire sans vergogne l’enveloppe. Elle contient une dizaine de photos en noir et blanc, déjà anciennes, qui représentent un homme et une femme nus en train de s’expédier au septième ciel en port payé. Les multiples phases d’une troussée à grand spectacle se trouvent résumées sur ces images : turlute et minette préalables, enfourchement cosaque, levrette au long cours, bavouillage à la langoureuse, coït pyramidal et écrémage final récolté à la menteuse caméléonesque ! Un complet, quoi ! Le couple a dû s’en payer une vraie tranche d’anniversaire ! L’ultime photo le représente k.-o. sur le plumard, comme désarticulé par la furia amoureuse.

Je repasse en revue la troussée. La femme est jolie, pleine d’une grâce vaguement désuète. N’a pas du tout la frime à grimper au chibre avec fougue, encore moins à sucer des asperges. L’homme, quant à lui, manque un peu de romantisme ; mais un mâle en pleine fornique en conserve-t-il ? C’est un grand blond, avec un torse d’athlète et une biroute de bonne prestance, le genre de queue que tu peux emmener dans le monde sans complexes.

Je retourne les images. Chacune comporte au dos la même annotation : Adèle Lhours, née de Magonfle, avec Gérard de Barrayage, le 11 avril 1946.

En silence, je passe le reportage au Noirpiot.

Il le compulse avec calme, sans sourciller ni bander, ce qui dénote chez lui un self-control digne des loges, dirait un maçon de mes amis[8].

N’après quoi, il se lève.

— Je vais téléphoner à la Maison mère pour réclamer des infos sur ce Gérard de Barrayage, déclare-t-il.

Reste à inventorier le grand larfouillet. Il sent le vieux cuir de jadis et il est si vaste que tu pourrais te faire confectionner une paire de bottes de cheval avec.

J’en retire plusieurs feuillets jaunis et une photographie. Cette dernière représente l’officier de marine en uniforme de lieutenant de vaisseau, donnant son bras galonné à la même Adèle dont la tête est amoureusement inclinée sur son épaulette, autant que les conventions le permettaient. Elle a rédigé d’une belle écriture aristocratique : A toi toujours. Dédèle. Comme quoi on peut avoir du sang bleu et écrire des niaiseries à l’encre noire !

Je moule alors le beau couple romantique pour prendre connaissance des différents papiers.

Premier document :

Je soussignée, Adèle de Magonfle, épouse Lhours, déclare faire don à mon époux, le lieutenant de vaisseau Martin Lhours, de la rivière de diamants qui m’a été donnée par mon père à l’occasion de mon mariage et qui se trouve dans notre famille depuis que l’empereur Napoléon III l’a offerte à mon aïeule Constance-Amélie.

Fait à Paris, le 29 juin 1946

Second document :

Je soussignée, Adèle de Magonfle, épouse Lhours, reconnais entretenir une liaison amoureuse avec M. Gérard de Barrayage depuis janvier 1944. Ma fille Antoinette est issue de ces amours. Mon époux naviguant à l’époque de sa conception, l’obstétricien, ami de la famille, a accepté de déclarer que mon accouchement était prématuré.

Fait à Paris, le 18 avril 1946.

Troisième document :

Je soussigné, Martin Lhours, domicilié à Murger-sur-Seine, 23 avenue Marie-France Dayot, sain de corps et d’esprit, déclare que ceci est mon testament.

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A ce propos : la bise à D.D.S.