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— Eloignez-vous, tout va céder !

Sous leurs pieds, le roc bougeait.

— Je… Je vais aller chercher des gens avec des étais et des trucs ! lança Snibril. On va vite te sortir de là ! Ne bouge pas !

Glurk émit un nouveau grognement tandis que Snibril se ruait au-dehors.

Forficule apparut dans la fumée, un lambeau de ses robes noué en travers de son visage, poussant devant lui un troupeau de fêtards ahuris. Il les fit passer sous les bras de Glurk.

— Mais qu’est-ce que tu fiches, tu es encore là ? demanda-t-il.

— J’vais entrer dans la légende, répondit Glurk.

Fléau sortit des volutes à tâtons, un chiffon pressé contre sa bouche.

— Venez, lança-t-il. Brocando a ouvert la porte dérobée.

— Aide-moi avec cet idiot, lui demanda Forficule.

— Il m’a l’air bien coincé, jugea Fléau.

— J’vais être un héros.

— Tais-toi donc, intima Forficule. Voilà ce qui arrive quand on raconte des histoires à une tête creuse. Mais quelle idée idiote, aussi, de se loger comme ça sous une porte…

Glurk fit pivoter sa tête avec difficulté.

— Hein ?

— Une vraie tête de bois, voilà comment j’appelle ça, conclut Forficule.

Le plafond au bout de la grande salle s’effondra.

— Comment… ? Espèce de vieux… commença à dire Glurk.

Il se redressa sur un genou, avant de soulever lentement le linteau au-dessus de sa tête. Puis il fit un pas en avant et agita un doigt sous le nez de Forficule.

— J’ai sauvé un nombre considérable… essaya-t-il de dire.

Puis il tomba de tout son long.

— Parfait. Ça a marché. Empoignez-le, ordonna Forficule. Ce mur va s’écrouler.

Chacun le prit par un bras et s’écarta à grand-peine tandis que le linteau s’écrasait sur le sol, le fendant sous le choc. Forficule inspecta le plafond, les yeux plissés.

— Vite !

Brocando se tenait auprès de la porte menant à l’escalier dérobé.

— Allons, allons !

Glurk se mit à tousser. Forficule lui enfonça un chiffon dans la main.

— Couvre-t’en le nez et la bouche, conseilla-t-il. C’est un tissu humide. Ça aide, contre la fumée. Une notion importante de protection.

— Ça a goût de vin, marmonna Glurk d’une voix pâteuse, tandis qu’ils le poussaient et le tiraient par la porte.

— C’est tout ce dont je disposais, expliqua Forficule. Maintenant… couchez-vous !

Tout le plafond s’effondra.

Ils dévalèrent l’escalier en courant, ceux qui portaient Glurk le tenant entre eux, comme un bélier pendant un siège. Le grondement mourut, et on n’entendit plus que leurs piétinements sur le sol de pierre.

— Ne laissons pas les poils nous cacher la forêt ! ahana Brocando.

— Ce qui signifie ? demanda Forficule, essoufflé.

— Que les ennuis ne sont pas terminés : nous n’avons pas emporté de torches !

Forficule, le souffle court, poussa un borborygme :

— Beurk !

Ils s’amassèrent devant la petite porte en bas des marches, et restèrent vautrés dans les ténèbres, le temps de reprendre leur souffle.

— Bon, plus question de repasser par là-haut, annonça la voix de Brocando. La porte est enfouie sous les décombres, à l’heure qu’il est.

— Tu penses pouvoir retrouver le chemin de la statue, dans le noir ?

— C’était la première fois que j’empruntais ce passage ! se lamenta Brocando.

— Mais il doit bien y avoir d’autres issues, suggéra Forficule.

Il songeait aux profondes crevasses, aux cavernes pleines de courants d’air de la Trame et aux légendes qui couraient sur leurs habitants. Bien entendu, il n’y croyait pas une seconde. Il les leur avait racontées, parce que la transmission d’une mythologie orale est très importante pour le développement d’une culture, mais il ne croyait absolument pas aux monstres surnaturels. Il fut couvert de chair de poule. Il espéra qu’eux non plus ne croyaient pas en lui.

Dans les ténèbres, il entendit couiner une porte.

— Si nous restons groupés et que nous vérifions chaque pas que nous faisons, nous devrions nous en tirer sans mal, expliqua la voix chevrotante de Brocando. Nous sommes quatre. Qui aurait l’audace de s’en prendre à nous ?

— Des tas de bestioles.

— Bon, c’est pas faux. Mais à part elles ?

Glurk pesait de plus en plus lourd à mesure que le temps passait. Ils le retinrent dans le noir le long de rebords étroits et le halèrent à travers ce qui devait être d’immenses cavernes, d’après les modifications de l’air qui les enveloppait. Ils le transportèrent la tête la première, ils le transportèrent les pieds en avant ; de temps en temps, ils l’adossèrent contre la racine d’un poil pendant qu’ils gravissaient péniblement d’étranges passages. Ils se frayèrent un chemin dans l’épaisseur des racines, et contournèrent des gouffres si profonds qu’une brise chaude s’en exhalait.

Ils finirent par s’asseoir pour prendre du repos. Ils avaient marché sans trêve. Ce n’était pas comme s’ils avaient eu une destination précise en tête, après tout.

— Qu’y a-t-il en dessous de la Trame ? demanda Brocando.

— Le Plancher, répondit la voix de Forficule dans les ténèbres.

— Et encore dessous ?

— Plus rien. Il faut un soubassement à tout. C’est le Plancher. Rien ne va plus bas. Autant demander ce qu’il y a au-dessus du Tapis.

— Justement, qu’y a-t-il au-dessus du…

— Comment voulez-vous que je le sache ? On a bien assez de problèmes ici-bas en ce moment pour se soucier de ce qu’il peut y avoir là-haut.

— Quand même… le Tapis ne peut pas s’étendre à l’infini.

— En tout cas, il s’étale suffisamment loin pour mon goût ! répliqua Forficule avec agacement.

Brocando sentit l’air se mouvoir au niveau de son visage. Parler aux gens dans le noir complet donnait une sensation bizarre. Ils se trouvaient peut-être au bord d’un nouveau gouffre sans même s’en douter. Il fallait tout faire à tâtons.

— Forficule ? demanda-t-il.

— Quoi encore ?

— Et les moizes ? Est-ce qu’ils descendent jusqu’ici ?

— Il est à vous, ce tunnel. Vous êtes mieux placé que moi pour répondre. Mais je n’arrive pas à imaginer pour quelle raison ils feraient ça. Je ne pense pas que ça puisse leur plaire tellement plus qu’à nous.

— Exact.

Le silence tomba.

— C’est vous qui avez dit ça ?

— Je croyais que c’était toi.

— Brocando ?

— Forficule ?

— Fléau ?

— Quoi ?

— C’est que, figurez-vous, souffla la voix de Gormaliche à l’oreille de Forficule, nous voyons dans le noir, nous.

Il n’y eut pas de combat. Comment voulez-vous vous battre quand vous risquez autant d’atteindre un ami qu’un ennemi ?

Le pire, c’étaient les ténèbres. Et puis les griffes qui s’emparèrent d’eux, comme un enfant saisit un jouet.

— Tiens, tiens, fit Gormaliche depuis une position toute proche. Quelle heureuse surprise !

— Mon frère se trouve avec vous ? demanda Brocando.

Après un silence, Gormaliche répondit :

— En quelque sorte, oui. Maintenant, vous allez faire ce que je vous dirai. Le petit roi va s’accrocher à la queue de Purgish. Le vieil homme à la ceinture du roi. Le soldat dumii à la ceinture du vieil homme. Si quelqu’un lâche prise ou tente de s’enfuir, il est mort.

Brocando, qui comptait raisonnablement vite, pour un roi, demanda :

— Mais vous oub… Aïeeuuu !