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Glurk fut donc le seul à voir les pones bondir de la plate-forme, l’une après l’autre.

Leurs petites ailes se déployèrent. Elles étaient trop réduites pour supporter les pones – pourtant elles étaient opérationnelles. Elles bourdonnèrent fébrilement et les pones restèrent suspendues en l’air, flottant paisiblement entre les poils.

Chargée du seul poids d’Acrelangue, la plate-forme ralentit sa chute et heurta la poussière avec un choc sonore. Acrelangue s’éloigna d’un pas lourd tandis que, tout autour d’eux, des pones atterrissaient entre les poils comme des fruits mûrs.

Les autres levèrent les yeux vers le visage de Glurk.

— Tu savais que nous n’allions pas nous écraser ! l’accusa Forficule.

— Je l’espérais. J’en étais pas absolument convaincu, même après tout ce que Culaïna avait pu me dire.

— C’est qui, Culaïna ? C’est cette elle dont tu parlais ? s’enquit Forficule.

Il se sentait encore assez secoué. Il était plutôt brave homme à sa manière, mais savoir plus de choses que Glurk était un des rares domaines dans lesquels il avait la certitude d’exceller. La situation actuelle le désorientait.

Une autre pone atterrit dans la poussière à côté d’eux. Elles sont plus légères qu’on ne pourrait le penser, pensa-t-il. Des ballons munis d’ailes. Pas étonnant qu’elles n’aiment pas les objets pointus.

— C’est difficile de définir Culaïna, dit Glurk. Je crois que c’est une Vivante, à sa façon.

— A sa façon ?

— Il faudra que tu lui poses la question. Nous allons la rejoindre.

La tête d’Acrelangue s’inclina et l’animal commença à progresser d’une démarche pesante entre les poils.

— Il n’en est pas question, intervint Fléau. Nous devons nous rendre à Uzure !

— Rentrer à Périlleuse, tu veux dire !

— Quelques jours de trajet à peine nous séparent d’Uzure. Il faut que je les informe de ce qui s’est passé ici !

— Ils sont peut-être déjà au courant, fit remarquer Forficule, lugubre.

— Ils ignorent tout, répondit Glurk.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— Nous sommes les seuls à connaître l’existence de l’armée moize, assura Glurk. Il faudra aller à Uzure, pour prévenir la population. Mais d’abord, on doit rebrousser chemin et discuter avec Culaïna.

— Ta fameuse Vivante ? Mais pourquoi ? demanda Forficule.

— Pour lui raconter ce que nous venons de voir, répondit Glurk en souriant avec une expression un peu interloquée. (Il se gratta l’occiput.) Comme ça, elle se souviendra de ce que nous allons lui dire, et elle pourra me l’avoir raconté il y a deux jours. Quand je l’ai rencontrée.

Brocando ouvrit la bouche, mais Forficule lui intima le silence d’un geste de la main.

— Les Vivants conservent le souvenir du futur autant que du passé, dit-il. Mais… Voyons, ils n’en parlent jamais à personne, Glurk !

— Elle, si, répliqua Glurk. Ne faites donc pas cette tête. Vous me croyez capable d’inventer ce genre d’histoire ?

13

— J’ai vraiment eu aucune difficulté à vous suivre, expliqua Glurk. Je veux dire, vingt personnes, ça laisse des traces, pas de problème. La moitié du temps, je devais faire attention à pas venir buter contre vous. Et puis, je me suis dit… Ils se dirigent vers le sud en ligne droite, alors autant que je passe devant, pour reconnaître le territoire et voir ce qui se passe. Une seule personne progresse plus vite qu’une vingtaine, alors pourquoi pas ? En plus, j’avais une snargue comme monture. Elles réagissent bien quand on leur témoigne un peu de gentillesse. Remarquez, faut aussi se montrer pas mal cruel. Et voilà comment j’ai rencontré Culaïna. Elle est vraiment très bizarre.

Il y eut un silence. Puis Forficule annonça :

— Je crois qu’on n’a pas tout compris à ton histoire.

— Vous allez voir où elle habite, reprit Glurk. Je… euh… Je crois pas que les gens puissent voir où c’est, à moins qu’elle le souhaite. En tout cas, moi, j’ai jamais rien vu de pareil. Voilà, elle se tenait là, et… et… Elle m’a dit où vous vous rendiez, comment je pouvais m’agripper au fond de cette plate-forme de levage, faucher l’armure d’un Vortegorne et libérer les pones, comment elles savaient voler… tout, quoi.

— Mais comment savait-elle tout ça ? demanda Brocando.

— Parce qu’on va aller le lui raconter, expliqua Glurk. Me demande pas de t’expliquer comment ça fonctionne.

— Leurs souvenirs englobent le futur en même temps que le passé, dit Fléau.

— Mais ils n’ont pas le droit de raconter ! s’exclama Forficule. Sinon, il pourrait se passer des choses terribles !

— Ça, j’en sais trop rien, répondit Glurk, prudent. Moi, je vois les choses comme ça : on vous a libérés… Ça a pas l’air si terrible que ça.

— Mais il faut rejoindre la tribu, dit Forficule.

— Et mon peuple ! renchérit Brocando. Ils ont besoin de nous !

— J’ai réfléchi à ça, dit Glurk. Il y a deux cents Munrungues et trois mille Fulgurognes, tous armés et groupés et… Vous croyez qu’ils ont besoin de nous ? Y a de bons petits gars, dans la tribu. Et Snibril se trouve avec eux… Non ?

— Ben… dit Brocando. Oui. On l’espère.

— Alors, tout va bien. Et tes gens savent se battre. On est quatre dans une région qu’on connaît pas, bourrée d’ennemis… Je crois bien que c’est nous qui avons besoin d’eux. Enfin, bref, faut qu’on aille voir Culaïna.

— Mais elle t’a prévenu, et tout a marché comme prévu, rétorqua Brocando. On pourra la remercier une autre fois…

— Non, objecta Forficule. Si Glurk dit vrai et qu’elle lui a révélé une partie de l’avenir dont elle se souvenait et que nous n’y allions pas… Alors, j’ignore ce qui pourrait se passer. Tout l’univers du Tapis pourrait se retrouver en pelote, je ne sais pas. Ça pourrait être la pire catastrophe qui se soit jamais produite.

— Pire que quoi ? demanda Brocando.

— Pire que tout ce que vous pourriez imaginer, répondit Glurk.

Tout le monde médita un moment.

— Elle doit t’accorder une grande confiance, finit par dire Fléau.

Pendant le reste de la journée, les pones continuèrent leur route. Le quatuor sommeillait sur le dos d’Acrelangue, ou contemplait en silence les ombres qui s’allongeaient. Mais la plupart du temps, chacun était préoccupé par ses soucis.

Sous leurs pas se déployait une poussière abondamment boisée dans laquelle de petites créatures invisibles bourdonnaient et bruissaient. Sur la peluche vert tendre qui pendait en riches tentures au-dessus d’eux, poussaient des fleurs, des fleurs de peluche, plus grandes qu’un homme, aux pétales luisant de mille nuances de vert, de l’olive profond jusqu’au jaune acide, et répandant des effluves qui emplissaient les clairières de leurs relents verts.

— Voilà quelque chose de très intéressant, commenta Forficule en se redressant sur la selle.

C’était la première parole prononcée depuis près d’une heure.

Il s’arrêta et fixa l’autre extrémité de la clairière. Toutes les pones tournèrent la tête dans cette direction.