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Les Munrungues avaient aidé le peuple de Brocando à réparer les murailles et les constructions, bien que le roc lui-même soit visiblement de guingois, désormais. Mais comme quelqu’un le fit remarquer, au moins, si le grand Découdre revenait, ils connaissaient désormais le passage vers la Trame. Là-dessous, rien ne pourrait les atteindre.

Snibril y réfléchissait en chevauchant Roland à travers les poils, en quête de nouvelles traces.

On peut toujours se réfugier dans la Trame, se disait-il. Arrêter de vivre comme des gens normaux. Nous tapir dans le noir.

Les Fulgurognes pensent qu’aucun ennemi n’est trop grand pour qu’on s’attaque à lui, mais le grand Découdre… on ne l’a même jamais vu.

Les Dumiis n’ont pas la même mentalité. Quand un ennemi est trop gros, ils estiment qu’il vaut mieux aller s’en chercher un plus petit.

Peut-être que Forficule a raison. On ne peut pas arrêter le grand Découdre. Mais au moins, on peut arrêter d’en avoir peur.

— Je vais à Uzure, annonça-t-il ce soir-là à la tribu.

Ils le dévisagèrent avec une expression horrifiée.

D’un point de vue pratique, en supposant qu’il ait survécu, Glurk était toujours leur chef. S’il était mort, alors, le relais passait à Snibril. Les enfants de Glurk étaient tous trop jeunes. Personne ne voulait perdre un chef pour la deuxième fois.

— Tu ne peux pas nous abandonner, s’indigna Dodor Plinte, le cordonnier de la tribu. Tu es notre chef.

— Uzure est importante, répliqua Snibril. Sans l’Empire, nous ne serions que de simples chasseurs.

Les Munrungues échangèrent des regards.

— Mais c’est ce que nous sommes : de simples chasseurs, fit Plinte.

— Oui, mais au moins on en est conscient, dit Snibril. Et puis, on est devenu plus compliqué que ça.

— C’est bien vrai, remarqua Crouly Woulf, qui avait presque le même âge que Forficule. Les gens ne se tapent plus aussi souvent sur le crâne à coups de massue qu’au temps où j’étais gosse. On se dispute davantage.

— Ça veut pas dire qu’on soit meilleur pour autant ! protesta Plinte.

Crouly Woulf se frictionna l’occiput.

— Chais pas, dit-il. Les gens sont plus grands, de nos jours. Et ils gémissent moins souvent.

— Peuh ! Les Fulgurognes n’entretiennent aucune relation avec l’Empire, eux, contra Plinte. Et ils se débrouillent.

— Ils les combattent, répliqua simplement Snibril. C’est étonnant les choses qui peuvent déteindre sur vous, même quand vous vous battez contre quelqu’un. Des idées comme… comme l’idée de ne pas tuer les gens sans arrêt, ce genre-là.

Un Fulgurogne leva la main.

— Ça, c’est bien vrai. Autrefois, le roi n’arrêtait pas de balancer les gens du haut du roc.

— Il le fait toujours, observa un autre Fulgurogne.

— Oui, mais ça le fait moins rire. Et il explique qu’il fait ça pour leur bien.

— Vous voyez bien, fit Snibril, à bout d’arguments. Les Dumiis ont une influence. Même sur leurs ennemis. Je pars vers le sud. Peut-être que je retrouverai les autres. Peut-être que l’Empire pourra nous aider.

— Oui, mais tu es notre chef… répéta Plinte.

— Alors, je me conduirai en chef ! trancha Snibril. Qui m’accompagne ?

Quelques Munrungues, parmi les plus jeunes, levèrent le bras. Un Fulgurogne se redressa.

— Va-t-il falloir affronter des forces insurmontables ? s’enquit-il.

— C’est probable.

— Epatant ! Comptez sur nous pour vous accompagner !

Une foule de Fulgurognes opina. Un autre demanda :

— Est-ce qu’on aura l’occasion de combattre jusqu’à la mort ?

— Vous aurez peut-être la chance de combattre jusqu’à la mort de l’ennemi.

— Et c’est aussi bien ?

— C’est beaucoup mieux.

— Bon. Alors, c’est d’accord. On vient avec vous !

En fin de compte, trois cent cinquante Fulgurognes et cinquante Munrungues se portèrent volontaires pour partir. Sur le Roc, leurs familles seraient aussi en sécurité ici que partout ailleurs sur le Tapis, s’accordèrent-ils à penser. Mais il fallait que quelqu’un demeure sur place. Tout pourrait arriver.

Quatre cents, songea Snibril. Qui sait quels effectifs nous allons affronter ?

D’un autre côté, puisqu’on ignore à combien d’ennemis nous allons devoir faire face, quatre cents hommes suffiront peut-être.

Choisissez toujours un ennemi plus gros. Il constitue une cible plus facile.

Nous devons nous rendre à Uzure. D’une certaine façon, c’est là que tout a commencé pour nous. C’est là que les gens ont commencé à comprendre qu’il y avait mieux à faire que de cogner autrui sur le crâne.

15

Deux jours avaient passé.

Dans un bosquet de poils rouges en lisière des territoires bleus, sept Vivants se battaient contre les moizes. On n’avait encore jamais vu de Vivants se faire attaquer.

Ils ne portaient jamais d’armes, excepté celles qu’ils avaient fabriquées pour les vendre.

Cette meute de moizes était nombreuse et conduite par un chef plus rusé et habile que d’ordinaire. Il voulait davantage d’armes. Les Vivants semblaient une proie facile.

Il commençait à regretter sa décision.

Les Vivants ne portaient pas d’armes, mais ils possédaient des outils. Et un marteau constitue bel et bien une arme, si vous frappez sur un crâne plutôt que sur un clou. Ils étaient regroupés autour de leur énorme chaudron à vernis et ils ripostaient – à coups de marteau, maniant des louches à vernis en guise de matraques et des morceaux de poils enflammés comme des lances grossières.

Mais ils étaient écrasés sous le nombre. Ils allaient tous périr. Et ils le savaient.

Un observateur le savait lui aussi.

Culaïna la thunorgue les regardait depuis le couvert des poils. Il serait impossible de raconter la façon dont une thunorgue voit les choses. Autant décrire les étoiles à un poisson. Comment expliquer qu’elle suivait le combat un million de fois, simultanément, et qu’à chaque fois les Vivants étaient défaits ? Ce n’est pas une bonne description. Mais il faudra s’en contenter.

Pourtant, parmi toutes les issues de la bataille, il y en avait une, unique comme une perle sur une plage de sable noir, qui était différente.

Elle se détourna sans bouger, et se concentra sur celle-là…

Des gens jaillirent des poils. Les moizes se retournèrent pour livrer bataille, mais ils se retrouvaient subitement pris entre deux feux.

Les Fulgurognes et les Munrungues avaient élaboré une tactique de combat infaillible. Les grands Munrungues se tenaient derrière les petits Fulgurognes et se battaient par-dessus leurs têtes ; aucun ennemi n’avait grand-chose à espérer quand on l’attaquait sur deux niveaux à la fois.

Le combat fut bref, et terriblement efficace.

Au bout de quelques minutes, les derniers moizes prirent la fuite. Certains des nouveaux assaillants se détachèrent du groupe pour les suivre.

Enfin, tout fut consommé – en cet instant, en cette perle sur la plage où quelqu’un, dont toute la vie était affaire de choix, avait été assez proche pour choisir.

Athan le maître de four, le chef du groupe, leva les yeux avec horreur quand un blanc palefroi traversa les rangs de ses sauveteurs. Une petite silhouette le chevauchait.